Saints bretons à découvrir

« La mort est, avec l’amitié, indissociable de Kerpape, comme la vie! »

Amzer-lenn / Temps de lecture : 11 min

Cet article n’est pas exactement dans la ligne éditoriale d’Ar Gedour, mais ce qui ressort de cette « tranche de vie » nous invite à vous le proposer. Bonne lecture !

Sur la côte sud du Morbihan, commune de PLOEMEUR,  Kerpape présente une magnifique vue maritime sur la rade de LORIENT, fermée à l’est par la presqu’île de GAVRE et au sud par l’île de GROIX.

Je ne vous raconterai pas de quelle façon le saint évêque fondateur de TREGUIER, Tugdual, encore nommé Pabu ou Pape, que la légende raconte qu’il aurait été, a donné son nom au site ; toujours est-il qu’il m’intimidait, d’abord par son entrée, aussi gardée que l’aubette de l’arsenal, et aussi pour ce qu’on dit qu’il s’y fait : reconstruire des hommes et des femmes abimées par la vie, aussi n’y allais je que rarement, et avec beaucoup de discrétion, promener ma chienne, le soir, sur la plage, entre Kerguelen et Kerroch.

Un jour, j’ai pu pénétrer dans les locaux à la faveur de la visite que je faisais à un ami qui y était en soin pour une méchante fracture à l’épaule ; j’ai pu admirer la magnifique vue sur la mer dont il jouissait de sa chambre, ouverte sur un balcon plein de soleil, comme à la terrasse d’un grand hôtel de la riviera méditerranéenne,  je la lui enviais.

Quelques mois plus tard, j’y séjournerai plusieurs semaines durant,  en qualité de pensionnaire, à la suite d’un accident cardiaque qui m’avait surpris, à BREST, en pleine activité professionnelle.

C’était au mois de janvier et on commençait à sentir que les jours rallongeaient et que la vie allait reprendre ses droits

Je partageais ma chambre avec un ancien qui m’a enseigné les us et coutumes de la maison : le matin, réveillés par la jolie épouse du maire, en personne – elle est infirmière -, pour la température et la tension, puis, après les ablutions et le petit déjeuner en salle, nous partions à travers de longs couloirs parcourus de malades en fauteuil roulant et de blouses blanches en vélo, de conserve, clopin-clopant, une bonne dizaine de cardiaques de tous sexes, mais principalement masculins et de tous âges, je n’avais pas 60 ans et étais parmi les plus jeunes, à l’autre bout du bâtiment, du côté de la piscine, pour, bardés de capteurs divers, une séance de vélo éprouvante qui ne nous faisait pas avancer d’un centimètre vers l’Ile de GROIX que nous apercevions derrière la baie vitrée, pourtant tantôt toute proche, tantôt très loin, quelque fois même carrément effacée, en fonction du temps, clair ou bouché, voire brumeux.

L’après-midi, nous marchions péniblement le long de la côte, aussi, en salle, nous tirions à l’arc, ce que j’appréciais particulièrement pour l’aide apportée à la maitrise

kerpape
@Photo Kerpape – DR

de l’équilibre, la sûreté du coup d’œil, le retour de la force et de l’adresse que l’infarctus du myocarde et la pose de stent m’avait fait perdre.

A la fin de notre séjour, nous avons, enfin, pu goûter à la piscine d’eau de mer à 27° qui venait d’être rénovée et aux bons soins de Jean-Claude qui nous a redonné goût à la vie par sa bonne humeur et ses bons mots : nous avions, comme tout malade en général, quelque peu perdu le sens de l’humour et le détachement nécessaire à l’auto dérision, signe de bonne santé, de corps et d’esprit.

Les repas se déroulaient en bonne compagnie, dans notre unité, où était logés, avec les cardiaques, les brulés et les diabétiques  insulino-dépendant de type 1, dans leur chaise roulante,  amputés, souvent jeunes, d’un membre inférieur, leur entrain naturel nous faisait relativiser nos propres petites misères.

Mes voisins de table étaient, principalement, Lucien l’alsacien, ancien chauffeur routier retiré à Sainte Anne d’Auray et Yves Le Bail, le couvreur retraité de Saint Philibert, devenu mon ami ; ils s’étonnaient de mon accessibilité malgré, selon eux, une différence d’état qui m’assimilait, à leurs yeux, à la caste intellectuelle dirigeante ; ils opinaient quand je leur affirmais que, devant la maladie  la souffrance et la mort, nous sommes tous égaux, artisans salariés comme patrons intellectuels.

La cuisine était d’honnête facture, mais restait dans le cadre d’une restauration collective d’établissement hospitalier, le service était parfait, sous l’œil attentif d’une hôtesse dont l’autorité ferme mais souriante s’exerçaient avec efficacité tant sur le personnel hôtelier et soignant que sur les pensionnaires eux-mêmes.

C’est ainsi que si, malgré les objurgations de l’infirmière-tabacologue, je n’avais pas pris la décision immédiate d’arrêter de fumer, j’avais néanmoins accepté de différer au lendemain l’allumage de ma prochaine cigarette ; au bout de quelques semaines d’un tel traitement, l’idée même de recommencer à inhaler, même demain, la fumée de tabac m’est devenue insupportable ; depuis, j’ai donc cessé totalement de fumer, sans autres procédés médico- chimiques ou subterfuges psycho- pédagogiques.

Bon, les bâtiments ne sont plus de la première jeunesse et affichent leur presque demi- siècle de vie dans l’air marin souvent tempétueux et chargé de sel ; sans que l’entretien en soit totalement délaissé, on sent bien qu’il est réduit à la portion congrue, l’effort budgétaire étant principalement  porté sur le personnel, nombreux, son embauche, sa qualité, sa gestion, c’est une question de choix politique.

Il n’y a qu’à voir la surface consacrée aux parkings réservés au personnel.

Tous les métiers sont exercés à Kerpape, depuis la médecine spécialisée de pointe, les kinés que l’on voit à la piscine, suant et souffrant autant que leur patient pour tenter de réparer ce qui a été détruit ou abimé, les moniteurs qui apprennent à piloter les voitures adaptées aux divers handicaps, les menuisiers et plaquistes qui vont confectionner la gouttière qui, ainsi, grandira avec l’enfant et lui permettra de se tenir droit, jusqu’aux informaticiens qui conçoivent le matériel roulant ou statique permettant, sans le masquer, de réduire quotidiennement le handicap, du moins, d’en atténuer les sujétions domestiques.

Et puis, il y a l’équipe des jardiniers : le soin apporté aux espaces verts, régulièrement fleuris, tondus, émondés, balayés au moment requis qui font de l’endroit un lieu propice au rétablissement à tous égards, démontre la volonté des responsables de ne pas négliger l’aspect extérieur du site, comme un exemple donné à ceux qui auraient, à juste titre, tendance à tout laisser aller.

La session de 3 semaines achevée, avant de regagner nos foyers respectifs, nous avons senti, avec d’autres, Yves, Lucien et moi, la nécessité 1°) de ne pas rester tout seul dans notre coin, 2°) de maintenir un minimum d’exercice physique régulier tout au long de l’année.

C’est ainsi que nous nous sommes mis à fréquenter régulièrement la piscine, chaque semaine, du début septembre jusqu’à la fin juin, sous l’égide de l’association Cœur et Santé, initialement le mardi et le vendredi matin, puis, une fois par semaine, le vendredi matin, aujourd’hui, le jeudi, de 10 à 11.

Les sourires de Solange, Patrick et Catherine nous accueillaient au moment d’inscrire nos noms sur le cahier de présence prévu à cet effet, après les salutations d’usage, en français et en breton, les nouvelles, le bulletin météo, c’est celui de la belle Christine, notre monitrice qui, avec beaucoup de patience, nous prend en charge et nous fait travailler par des mouvements divers dont, seule, elle a le secret.

Je ne dis pas qu’il n’y a pas quelque fois des chahuts de gamins septuagénaires tout heureux de retrouver, avec les copains et copines, un peu de la gaieté de leurs jeunes années définitivement envolées, mais l’ambiance reste studieuse et Christine y veille avec gentillesse et une conscience toute professionnelle de championne de triathlon qu’elle est devenue à force d’entraînement, grâce à nous…

Mon ami Yves est décédé, il y a deux ans, d’un cancer ; malgré son absence cruelle qui m’a laissé désemparé, j’ai décidé de continuer à fréquenter la piscine, avec une périodicité réduite par la direction pour en permettre l’accès au plus grand nombre et en lisser l’occupation : de bihebdomadaires, les séances n’ont plus lieu qu’une fois par semaine, le jeudi matin, dorénavant.

Solange, qui m’évoquait par son prénom, mon Berry natal, a péri dans un accident de la circulation quelques mois après avoir pris sa retraite.

Patrick, et son sens de la dérision allié à un respect de la personne jamais démenti, vient de mourir de la crise cardiaque qu’il n’a pas vu venir, lui qui vivait au milieu de malades qui le croyaient invulnérable ; je lui avais remis en riant, la semaine précédente, les bouquets de roses rouges qu’à l’occasion de la rentrée, j’avais acheté à l’intention de Catherine, en arrêt de travail, et de Christine, absente.

Il les avait acceptés, l’œil moqueur, avec un sourire complice.

La mort est, avec l’amitié, indissociable de Kerpape, comme la vie.

Après chaque séance de piscine je fais quelques longueurs à la nage avant de sortir et prendre ma douche, à cette occasion, chaque semaine, j’échangeais quelques propos avec un membre de l’association archéologique de PLOEMEUR et l’ancienne directrice de l’école de GESTEL ; un jour celle-ci n’est plus venue, « elle aura changé ses horaires », disait- on pour se rassurer, nous ne l’avons jamais revue…

Mon archéologue est resté seul, il se sentait bien dans la piscine qui lui faisait oublier ses douleurs, il se plaignait que l’on veuille réduire de nouveau et modifier ses heures, toujours est-il que, lui aussi, a fini, un jour, par disparaître de mon horizon aquatique…

Je m’en étais inquiété, mais, bon…

En feuilletant, par hasard, un numéro ancien de la revue de l’association archéologique de PLOEMEUR, j’y vis, en première page, la photo de mon camarade de piscine, je l’ai bien reconnu, c’est bien lui ; il s’agissait d’une notice nécrologique, il était mort et enterré depuis de nombreux mois sans que je l’ai su, ni même pu le savoir.

A Kerpape, on se voit nus, ou presque, en maillot de bain, seule la tête et quelque fois, le torse émergent de l’eau ; tout habillé et dans un autre contexte, on ne se reconnait pas.

A Kerpape, on a n’a pas de nom, quelque fois un prénom, on se connait « de tête », bien sûr, et c’est tout, mais c’est déjà beaucoup.

A Kerpape, on est inquiet dès qu’on ne se voit plus à l’occasion de notre séance hebdomadaire, une fois, ça va, c’est un contretemps ; deux fois on s’interpelle ; trois fois, on va aux nouvelles, et ce n’est pas simple !

Patrick m’aurait dit ce que devient Yannick, le supporter du FC Lorient, que je n’ai pas vu depuis la rentrée dans son fauteuil roulant bardé de sticks orange aux couleurs de son club de foot préféré.

Jeudi dernier, il n’y avait pas un seul Louis au cours de Christine : Louis le para et son copain Dédé, le joueur de boules sont, avec leurs épouses, « aux eaux » – ce qui nous fait bien rigoler – Louis le sage a subi une légère intervention chirurgicale bénigne, ce qui m’a rassuré, quant au gros Louis, je reste inquiet …

Jeannine est venue sans sa copine Annick, mais elle nous rassure sur son absence due simplement  à une panne d’oreiller.

« A jeudi prochain ! » nous promet Christine chaque semaine à la fin de son cours

Pourvu qu’elle soit entendue !

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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