L’EGLISE DE BRETAGNE, UNE EGLISE DESINCARNEE…

Amzer-lenn / Temps de lecture : 13 min

Nos articles ne sont pas ici pour taper gratuitement sur notre Eglise catholique et le clergé, mais ont vocation a essayer de faire comprendre la réalité de certaines situations, de manière à générer une prise de conscience pour pouvoir avancer efficacement et faire changer les choses ad majorem Dei gloriam (pour une plus grande gloire de Dieu). Rappelons que l’abbé Yann-Vari Perrot disait que “la Bretagne doit se préserver de ces deux poisons qui menacent de la tuer : la francisation et la laïcité. La francisation précédera la laïcité, et la laïcité détruira la foi, l’âme bretonne”. La francisation, c’est fait. La laïcisation, c’est en cours. A nous de travailler – avec nos prêtres – à ce que cette âme ne soit pas détruite. Et pour ce faire, un langage de vérité, parfois dérangeant, est nécessaire.

ruines landevennecPour le Breton catholique attaché à la culture bretonne dans toutes ses expressions et traditions, dont la langue, et qui entend  vivre sa foi par celles-ci, il y a aujourd’hui le fait qu’il se retrouve dans la situation d’un orphelin. Pire, il a le sentiment d’être un étranger dans les églises de ses ancêtres. Car l’Eglise de Bretagne, aujourd’hui, n’est plus du tout comme elle le fut par le passé, en phase avec l’identité des Bretons. Cette Eglise est devenue comme apatride, interchangeable, se comportant en « corps étranger » : ainsi, une messe dans une paroisse bretonne est exactement à l’image d’une messe dans une paroisse de banlieue de n’importe quelle grande ville de France, car toute âme bretonne en a été exclue. Cette Eglise, ce clergé  et les équipes paroissiales -même de bonne volonté – n’ont souvent plus, comme disait le Pape François, « l’odeur de leurs brebis ».

LA DISPARITION DU CLERGE BRETON

Le clergé véritablement breton, c’est-à-dire qui avait une culture religieuse et profane bretonne et qui était bretonnant, a désormais cessé d’exister… ou presque ! Les derniers représentants de ce clergé breton achèvent de disparaître, pour laisser la place à un clergé, toutes sensibilités confondues, véritablement apatride ; à quelques exceptions près, c’est le qualificatif qui convient. Un clergé pour qui la culture bretonne ne représente strictement rien, tout au plus un gadget  folklorique sympathique lors des pardons de quartiers,  une option culturelle parmi de multiples autres options. Dans différents articles nous avons déjà abordé ce déni d’inculturation de l’Eglise en Bretagne, alors même que sur d’autres continents l’Eglise en général se fait, avec raison, l’avocate des cultures des pays de mission.

Certes, en telle ou telle paroisse, des efforts sont parfois faits pour donner à nos cantiques, à certains signes extérieurs de traditions, une petite place lors des Pardons ; une petite place obtenue non sans conflits avec les « petits Kapos » de certaines équipes liturgiques foncièrement incultes et hostiles à tout ce qui est breton et tout ce qui est traditionnel. Cela relève trop souvent d’une « bonne volonté » condescendante, et il n’y a rien qui semble vouloir s’organiser dans la durée pour octroyer à la culture, à la langue bretonne la place première qui lui revient de droit. Entendons-nous bien, l’Eglise de 2016 en Bretagne n’est plus celle des années 1950, et encore moins des années 1930. Il est donc inutile de nous chercher chicane sur cette question en nous taxant de nostalgiques d’époques révolues. Nous savons parfaitement qu’une Eglise vivante de Bretagne se doit de tenir compte des réalités, et l’une de ces réalités est que, hélas, la Bretagne bretonnante n’existe plus. Aujourd’hui, la société bretonne est entièrement francisée, déculturée et glisse lentement vers un cosmopolitisme où même « l’expression française » dans la foi deviendra elle aussi au fil du temps une « option » parmi d’autres.

Nous avons également dans de précédents articles expliqué comment l’Eglise de Bretagne en est arrivé là, à ne plus être en osmose avec la culture du peuple qui lui était confié. Il n’est pas exagéré de parler de trahison par rejet pensé / voulu de la culture, de la langue bretonne, pour lui substituer, surtout à partir des années soixante,  une autre culture ; mais le processus vers une Eglise désincarnée était déjà en marche depuis longtemps.

 

UNE  EGLISE  BRETONNE QUI  NE VOULAIT PLUS  ETRE  BRETONNE

Une Eglise désincarnée : l’expression est d’un prêtre, décédé en 2000, l’abbé Aimé Lebreton.  Disons tout d’abord un mot sur ce prêtre, typique d’un clergé jadis breton.

L’abbé Lebreton, né à Prat (Côtes d’Armor) en 1913, ordonné en 1940, donc assez tardivement pour avoir fait partie de ce clergé breton bretonnant qui militait activement au sein des Bleun-Brug de l’abbé Perrot, ne fut pas effectivement un militant dans ce sens, il fut même assez longtemps étranger à la cause bretonne, sans pour autant s’en désintéresser. Pendant la guerre, il entra dans le maquis de Carnoët, et ce n’est certainement pas dans ce climat qu’il trouva son « chemin de Damas breton ». Il le trouva en 1959 en adhérant au Mouvement pour l’organisation de la Bretagne (MOB).  C’est ainsi qu’il sera amené à connaître et fréquenter de nombreuses personnalités des milieux culturels, politiques, économiques  bretons, mais aussi des personnalités religieuses bretonnes, qui précisément appartenaient à ce clergé militant breton bretonnant, témoins de cette Eglise de Bretagne vraiment bretonne.

Dans les années 1972-1975, il témoigne courageusement en faveur des prisonniers FLB. Lui-même va se retrouver inculpé pour détention… d’explosifs. Dans ces années -là, en tant que prêtre, il sera également militant d’une Eglise d’expression bretonne progressiste. Le paradoxe est que ce choix le fera finalement militer pour une Eglise dont les idées conciliaires travaillaient à éliminer le peu de bretonnité qui restait dans l’Eglise. C’est cette mouvance progressiste qui va achever de détruire ce qui subsistait de l’œuvre de l’abbé Perrot et du Bleun-Brug, ou encore détourner  l’abbaye de Landévennec de sa voie bretonne, et bien sûr la primauté de la langue, de la culture, des traditions bretonnes à l’église. De même, c’est encore cette mouvance progressiste qui va détruire l’œuvre de Dom Alexis Presse à l’abbaye de Boquen.

L’abbé Lebreton sera de ces prêtres militants bretons sincères, qui feront le choix d’une Eglise progressiste qui n’avait que faire de la culture bretonne, mais ils refuseront de le voir. Cet aveuglement est d’ailleurs, depuis Mai-68,  exactement celui du milieu culturel et politique breton militant, qui par ses choix idéologiques travaille à détruire ce qu’il prétend défendre.

L’abbé Lebreton va donc s’apercevoir qu’au sein de l’Eglise de Bretagne, sur le plan breton, quelque chose cloche. Il est aussi de ceux qui ont salué avec enthousiasme l’une des recommandations de la réforme liturgique conciliaire autorisant l’usage des langues vernaculaires à l’église. Dans son esprit, celui de ses confrères et des catholiques bretons progressistes, cette autorisation va enfin donner à la langue bretonne toute sa place dans la liturgie, dans l’expression de la foi, d’autant que parallèlement le latin, le chant grégorien sont considérés comme appartenant au passé et à éliminer (ce qui rappelons-le contredit l’article 116 de la constitution liturgique Sacrosanctum Concilium issue du Concile Vatican II,  qui donne toujours au latin, au chant grégorien la première place dans la liturgie catholique). Las ! Le latin, le chant grégorien éliminés, la place laissée vacante ne va pas revenir à la langue bretonne, aux cantiques bretons, mais au français, aux cantiques français, pour le plus grand bénéfice de certaines maisons d’éditions de livrets de chants et d’auteurs-compositeurs dont d’ailleurs la majorité des « œuvres » va sans scrupules puiser dans les riches répertoires de cantiques et chants des provinces ; dans ce « pillage » le répertoire breton est très sollicité.

Ce constat, après bien d’autres, l’abbé Lebreton va donc le faire. Il ne pourra également que constater que l’Eglise est perçue par la mouvance militante bretonne comme l’ennemie de la culture et de la langue bretonne, provoquant une désertion de la pratique religieuse.  En 1976, dans la revue « Bretagne aujourd’hui» (1), aujourd’hui disparue et qui était une publication du néo-Bleun-Brug progressiste, il est questionné sur ce qu’il pense de l’Eglise de Bretagne :

La grande erreur de l’Eglise en Bretagne, c’est d’avoir prêché une foi désincarnée, d’avoir prêché la désincarnation… (abbé Lebreton- 1976)

Bretagne Aujourd’hui – Cette Eglise de Bretagne, qu’en pensez-vous ?

Abbé Lebreton – La grande erreur de l’Eglise en Bretagne, c’est d’avoir prêché une foi désincarnée, d’avoir bâti une Eglise à côté de l’homme, à côté de l’homme breton. Au fond, elle a prêché la désincarnation. Quelle erreur théologique grave quand on sait que Dieu a investi toute sa divinité dans un corps d’homme bien personnalisé, quand on sait qu’il s’est incarné dans un peuple bien typé, dans une histoire !

Dieu a vécu la vie du peuple hébreu. Les prêtres en Bretagne ont oublié le Jésus de Bethléem. Il faut pourtant que l’Eglise s’incarne dans l’environnement qui fait l’homme d’un pays. La première pierre de l’Eglise en Bretagne devrait être l’homme breton. L’Eglise, au lieu de bâtir sue cette pierre, a construit quelque chose pour lui, à côté de lui. Il y a peut-être une Eglise en Bretagne, il n’y a certainement pas d’Eglise de Bretagne. Chaque peuple est une pâte bien déterminée. Si le ferment évangélique veut travailler cette pâte, il doit être à l’intérieur et non pas a côté. Les prêtres bretons ont le ferment en main. Mais ils ne le mettent pas dans la pâte. Comment s’étonner que les églises bretonnes se vident, que les paroisses soient désertées ?

Je n’hésite pas à le dire : l’Eglise a manqué à sa mission en Bretagne. Une Eglise qui néglige la langue, la culture, les combats de l’homme, ne peut rien bâtir de valable.

B.A – Vous trouvez donc aisément des motivations chrétiennes à votre combat breton.

A.L – Assurément. Chaque peuple en vivant tel qu’en lui-même, doit contribuer à la Création, en apportant sa coloration particulière au canevas que Dieu a tracé. Chaque pays à un message à passer au monde, comme chaque phare a son feu pour indiquer la route aux navigateurs. Le jour où un peuple ne peut plus donner son message, le monde est appauvri et aussi en danger. Les bateaux qui vont passer au large risquent de sombrer.

La Bretagne est un beau phare à la pointe de l’Europe. Deux groupes s’acharnent à démolir ce phare : le pouvoir parisien et aussi l’Eglise, par ses institutions, par son manque d’esprit missionnaire, par ses écoles »

UN PHARE DE L’OCCIDENT

Propos plein de bon sens, et nous étions en 1976 ; depuis la situation s’est aggravée au point de rendre presque irréversible cette Eglise désincarnée. Mais ce que ne dit pas l’abbé Lebreton,  c’est que ses propos sont directement inspirés de ceux que tenait l’abbé Perrot pour que l’Eglise en Bretagne soit une véritable Eglise de Bretagne. Précisément, le fondateur du Bleun-Brug voulait que la Bretagne soit ce « Phare de l’Occident, de l’Europe », que Landévennec soit ce « Cœur breton » (Kalon Breiz), tout comme Dom Alexis Presse le souhaitait pour  Boquen, qui seraient ces phares qui éclairent  la Bretagne et l’Europe :

« Dans toute l’Europe, chaque pays possède ses «Haut-Lieux spirituels» sur lesquels les plus belles cathédrales, les plus beaux monastères ont été bâtis. Des lieux, qui sont pour ces nations, et les autres nations autant de « Phares » qui les éclairent, à condition qu’ils veulent bien emprunter, comme les navires en mer, la bonne route qu’ils leur indiquent, sans quoi, c’est le naufrage inévitable sur les récifs des idéologies.

La Bretagne est une terre privilégiée, par sa Foi, son Histoire, comme la France d’ailleurs, pour être ce « Phare », car notre route ne sera jamais trop éclairée par trop de phares, je dirais même qu’ils n’y en a pas encore assez. Et pour la Bretagne, ce « Phare » ne peut qu’être l’Abbaye de Saint Gwennolé, c’est un devoir pour l’Eglise, pour le clergé, pour tous les Bretons d’en avoir conscience. Puissent Saint Gwennolé, Sainte Anne, Saint Yves, le Christ et la Vierge Marie, avec tous nos Saints bretons s’unir pour que la Bretagne reste à jamais leur terre bénite, et que de la Terre de Saint Gwennolé coule le fleuve de la Foi qui irriguera la Terre bretonne, et même comme par le fait d’une heureuse inondation, irriguera  bien au-delà ; et que les nations puissent dire : « Cette eau, c’est l’eau de la Foi bretonne qui nous arrive, nous pouvons la boire sans crainte !» (Abbé Perrot)

 

L’abbé Lebreton découvrira cela au contact de ces prêtres bretons qui furent aussi les compagnons de combat de l’abbé Perrot, et ces prêtres,  ces religieux, ces évêques furent très nombreux.  Malheureusement, dès le début du 20 ème siècle, des forces progressistes, des idéologies habillées d’un hypocrite manteau «d’humanisme chrétien» vont inlassablement travailler à détruire cette Eglise de Bretagne bretonne. A partir des années 1955, et grâce aux interprétations ultra-progressistes du Concile Vatican II, ces forces vont avoir le champ libre pour liquider cette Eglise bretonne ; ce clergé breton n’en assurant plus la relève, d’où le grand vide spirituel d’aujourd’hui et la pénurie de vocations qui va avec.

Le pape Benoît XVI nous avait averti : « Les nations ne doivent jamais accepter de voir disparaître ce qui fait leur identité propre » (2). L’Eglise en Bretagne, les catholiques bretons eux-mêmes, ont accepté de voir disparaître leur identité au profit d’une « identité cosmopolite » évoluant dans une Eglise désincarnée, ne satisfaisant finalement que des croyants sans réelles identités, eux aussi interchangeables…

Quant aux autres… ils sont partis sur la pointe des pieds pour ne plus revenir. A moins que…

Notes :

(1) Revue « Bretagne Aujourd’hui, numéro 22, mai-juin 1976.

(2) « Servir l’identité de la nation », allocution de Lourdes, 14 septembre 2008.

 

 

 

À propos du rédacteur Youenn Caouissin

Auteur de nombreux articles dans la presse bretonne, il dresse pour Ar Gedour les portraits de hauts personnages de l'histoire religieuse bretonne, ou encore des articles sur l'aspect culturel et spirituel breton.

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Un commentaire

  1. oh la la, ça sent le mémoire pour le DUET !!….
    bon courage
    YD

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