Quittant Roc’h-Morvan (La Roche-Maurice), dont la tour surveille le cours de l’Elorn –Elusorna– « fleuve à plusieurs sources », la voie romaine menant à Chateaulin passe par La Martyre -Ar Merzer-, dit un panneau. Ce nom breton est un nom de proximité, d’usage local. Le vrai nom du lieu est Merzer-Salaün. Aux visiteurs on y explique que Merzer veut dire « martyre » et que dans l’église, en 874, fut assassiné le roi de Bretagne Salomon, meurtre dont témoigne le nom « Merzer ».
Tout faux. Merther est un nom brittonique issu du latin martyrium, qui désigne une basilique possédant des reliques d’un ou plusieurs saints. Ce nom n’implique pas qu’il y ait eu une mise à mort. Ces basiliques datent du cinquième ou du sixième siècle, et le Salomon du neuvième n’y est pas à sa place. Les chercheurs sérieux situent ailleurs son assassinat (à Plélauf –Plelanw, sur le Blavet, suivant les dernières recherches.)
Salaün Wledig (de son titre breton), n’est pas notre seul Salomon. Salomo filius Geruntii, né sur la fin du 4ème siècle de Nonnechia, alias Sainte Nonwen ou Nolwenn, était frère de Riwal Wledig, de Iestin, de Cadou, de Congar, de Erbin. Il était oncle de saint Tudwal. Il aurait eu pour épouse Caecilia, fille du patrice Flavius Constantius, beau-frère de l’ empereur Honorius. Bref, notre premier Salomon n’était pas un premier venu.
Suivant le récit de la Translation des reliques de Saint Mathieu (rédigée au 11ème siècle par un évêque de Léon), c’est ce Salomon qui reçut les reliques de l apôtre, amenées d’Ethiopie par des marins bretons. Le texte mentionne la basilica de ce « roi » du 5ème siècle, et on pense naturellement que c’est elle qui hébergea en premier le corps saint, ét fut, de ce fait, promue martyrium.
La Translation, oeuvre d’un « Paulinien », autant dire « saintpolitain » relève du genre hagiographique, avec sa dose de miracles, d’érudition cléricale et de self-boosting diocésain. Comme tous les hagiographes du 11ème siècle, Paulinien n’a, d’ histoire et de chronologie, que des notions chaotiques. Néanmoins, avec L.Fleuriot et Gw.Le Duc, il me paraît qu’il part d’un événement historique (je l’expose en détail par ailleurs). Au 5ème siècle les Bretons fréquentaient l’Orient, en particulier l’Egypte. Notre Pélage (saint Merin) était ami de saint Cyrille d’Alexandrie. La célèbre petite croix d’ivoire de Milizac est un reliquaire éthiopien. Le canal de Nechao donnait toujours accès à la Mer Rouge. Le voyage de commerçants bretons dans ces parages ne fait aucune difficulté. Aussi retrouverons-nous Saint Matthieu et ses voyages.
En fait d’ événement historique, Paulinien rapporte que Salomon se fit des ennemis en interdisant un commerce d’ esclaves. Ce commerce a effectivement été un problème à cette époque, comme en témoigne la lettre de saint Patric à Corotic, fils de Cunedag. Enfin, il fait assassiner Salomon dans sa basilique. Mais comme à cette occasion il confond le Salomon du 5ème siècle avec celui du 9ème, il doit à tort attribuer une mort violente à Salaün ab Gerent.
Cependant, puisque sa basilique s’appelle Martyrium, elle a hébergé les reliques d’un saint, et il serait extraordinaire que notre Salaün n’ ait pas honoré Matthieu de sa basilique, et sa basilique de Saint Matthieu.
On voudrait en savoir plus sur ce tïern de la génération de la sortie de l’Empire, qui a donné son nom non seulement à Lansalaün en Paule, *Pagulum, énigmatique « mini-pagus », mais encore à Silfiac (de Salomiacum), Plouzélambre (*Plebs Salomonis), Plessala (Ploe+Sala(v). Il a par là mis en Bretagne une marque de plus de relief que ses frères et soeurs. Le culte qu’on lui a rendu permet d’imaginer que, tenant au sérieux le sens de son nom, il fut un facteur de paix.
A cette heure, dans l’amnésie d’une Bretagne anesthésiée, on méconnaît Salomon et on ignore Matthieu. Cela ne vaut-il pas une volée de boulets rouges ?