Notre-Dame de Koad Keo : vie, mort et résurrection d’un bijou marial (1ère partie)

Amzer-lenn / Temps de lecture : 10 min

Suite à l’incendie de la chapelle de Koat Keo en Scrignac, nous revenons sur l’histoire de ce petit sanctuaire breton. Ar Gedour clôture son appel au don pour la reconstruction le 31 août 2019. Vous pouvez encore le faire en cliquant ici.

Les campagnes bretonnes sont les écrins des milliers de chapelles dédiées à nos saints et nos saintes qui construisirent la Bretagne  chrétienne. C’est bien dans ce trésor architectural et spirituel que s’incarne la véritable âme bretonne, sa culture, ses traditions dans leurs authenticité.  L’abbé Perrot disait :

« Les chapelles bretonnes sont des pages de notre Histoire. Toutes, mêmes les plus humbles, trop souvent oubliées, étaient les témoins silencieux de la foi de nos ancêtres qui avaient priés, chantés, confiés leurs joies et leurs peines à leurs murs. »

Et il ajoutait :

« Une église en ruine n’est jamais romantique, car ses pierres qui pleurent témoignent de l’indifférence spirituelle et culturelle des héritiers de ceux qui les ont construites, elles témoignent plus encore de la ruine des âmes qui les ont amené à cet état.»

Le récent incendie de juillet dernier qui a ravagé la toiture et l’intérieur de la chapelle Notre Dame de Koad-Kéo en Scrignac, vient nous rappeler que nos sanctuaires, justement des plus humbles comme des plus prestigieux comme il y a quelques années la cathédrale Saint Donatien de Nantes, ou  Notre-Dame de Paris, sont aussi très vulnérables, qu’un « rien » peut à tout moment les réduire en cendres, et qu’ils doivent constamment êtres l’objet de notre attention.  L’un des meilleurs moyens  de bien les protéger, n’est-il pas justement qu’ils retrouvent toute leur vie spirituelle  au lieu d’être, pour beaucoup d’entre eux, les tombeaux de la foi.

 

NOTRE DAME DE KOAD-KEO : UN TRES ANCIEN ET PRESTIGIEUX LIEUX DE PELERINAGE

Scrignac, vaste paroisse des Monts d’Arrée, a le privilège de posséder avec Notre-Dame de Koad-Kéo une jolie chapelle, alliant traditions architecturales bretonnes et style moderne :  un vrai bijou marial.

 La dévotion à la Vierge Marie sous le vocable Notre-Dame de Koad-Kéo est très ancienne.  Au VII ème siècle, un moine d’origine galloise serait venu s’établir en ermite dans cette région très sauvage des Monts d’Arrée. Un modeste sanctuaire a dû exister dédié à la Mère du Christ, faisant oublier, sauf le nom, le culte du saint qui y vécu. A ce modeste édifice dont on ne sait pratiquement rien, succéda au XIIIe siècle une magnifique chapelle qui avait toutes les apparences d’une église d’importance. Le sanctuaire bénéficia pour sa construction de l’attention toute particulière du pape Clément VII, qui par une bulle de 1388, accordera des indulgences à tous ceux qui donneraient une offrande :

« Capella Beate Marie de Coatquayo, sita  infra  parrachiam ecclésiae Distriniac Corisopitensis diocésis » (1)

Aux temps de la Bretagne indépendante, les ducs et duchesses de Bretagne vinrent y prier pour leur Duché, car Koad-Kéo avait alors autant d’importance que Notre-Dame du Folgoat, les abbayes de Landévennec et du Relecq. La guerre de Cent ans ruinera  en partie le sanctuaire, qui retrouvera malgré tout sa splendeur. Or, en ce temps-là, la vaste paroisse de Scrignac aux si nombreuses chapelles et calvaires n’était pas la terre déchristianisée qu’elle devint au milieu du 19ème siècle surtout. Les Bretons de toutes conditions y  accoururent, réclamants les guérisons de Notre-Dame de Koad-Kéo, y laissant de nombreux ex-votos témoignant des grâces et des guérisons obtenues. Le 15 août, jour du Pardon, toutes les paroisses environnantes, et parfois celles de régions bien plus éloignées se donnaient rendez-vous, dans une solennité chatoyante.

Puis vint la tourmente révolutionnaire : les Monts d’Arrée, Scrignac comme toute la Bretagne virent les hordes des Sans-culottes et les armées de la Convention déferler, tuer, saccager, détruire tout ce qui témoignait de la foi des Bretons. Notre-Dame de Koad-Kéo n’échappa pas au vandalisme iconoclaste. Le sanctuaire fut pillé. Reliques, ex-votos, statues, bannières, vases et ornements sacrés de la liturgie, souvenirs des passages des souverains bretons furent profanés, détruits, la chapelle mutilée. Notre-Dame de Koad-Kéo glissa lentement vers la ruine, le Pardon lui-même tomba en désuétude.

En 1924, l’archéologue-historien Louis Le Guennec exécutera un  croquis des ruines de  l’antique Koad-Kéo.

UNE PREMIERE DEPUIS LA REVOLUTION, LA VENTE AUX ENCHERES D’UNE CHAPELLE BRETONNE.

chapelle koat keo - scrignac
Photo Ar Gedour – DR

Notre-Dame de Koad-Kéo est confisquée par la Révolution : la chapelle est devenue  « bien national ». Elle est donc propriété de l’Etat, donc aussi de la commune de Scrignac. En cette première moitié du XXe siècle, Scrignac – comme beaucoup de communes bretonnes- n’ont ni les moyens, ni les convictions religieuses pour entretenir et surtout restaurer les nombreuses chapelles de leurs paroisses. Seule l’église du bourg importe. De plus, la notion de patrimoine, que ce soit pour les monuments religieux ou profanes (manoirs, châteaux) n’est pas encore ancrée dans les mentalités. Les Bretons laissent ainsi partir en ruine, dans l’ignorance et l’indifférence, une grande partie de leur patrimoine architectural. Certains iront même jusqu’à prétendre que la ruine de quelques chapelles n’a guère d’importance, tant elles sont nombreuses et qu’il en restera toujours assez pour satisfaire à la dévotion des Bretons. Seule une élite avertie tire la sonnette d’alarme.

En 1920, cela fait deux ans à peine que la terrible guerre de 1914/18 est terminée. La Bretagne de ces années vingt n’a  plus grand-chose à voir avec la Bretagne d’avant la guerre ; elle a profondément changé. Le Breton abandonne tout ce qui faisait de lui un être différent du Français, tant dans ses traditions que dans la langue, les mentalités ont changées, la foi elle-même recule partout.  Tout est à reconstruire, et c’est encore une élite -laïque et religieuse – qui, consciente de cette gigantesque mutation sociale, culturelle et spirituelle va, dans cette première moitié du 20e siècle tenter de sauver ce qui peut être encore sauvé de tout ce qui fait l’âme bretonne.

Nous sommes en 1925 : la prestigieuse revue de l’époque l’Illustration fait paraître dans son numéro du 9 mai (que vous pouvez découvrir via ce lien) une bien curieuse annonce qui ne peut qu’attirer l’attention, car ce genre d’annonce n’est pas habituelle :

L’illustration du 9/05/1925

«  Un calvaire mis à l’encan. On vient de procéder dans la commune bretonne de Scrignac (Finistère) à une vente aux enchères évidemment originale, mais aussi douloureuse : désirant se procurer l’argent nécessaire pour construire une école publique, la municipalité n’hésita pas à mettre à prix, le Lundi de Pâques pour la somme de 6000 francs, la chapelle et le calvaire de Coatquéau. Notre-Dame de Coatquéau était jadis un lieu de grande vénération. De  l’ancienne église, qui se dressait fort belle sous le dôme imposant de très vieux arbres, il ne reste plus que des ruines – beaucoup de pierres ont été déjà  employées à la construction d’un pont. Le calvaire monumental en granit de Kersanton, est fort bien conservé : sur un socle et quatre degrés se dresse d’un bloc le fût de granit, haut de 5 mètres. Sur la branche transversale de la croix, on distingue encore nettement les sculptures naïves d’un moine en prière entre la Vierge et saint Jean.

Commencées à la sortie de la messe, au matin, les enchères étaient terminées à dix heures et, pour la somme de 10.200 francs, le calvaire, la chapelle, le terrain et un second calvaire (2) étaient adjugés à un industriel de Quimper. L’acquéreur aurait, croit-on, l’intention de bâtir une chapelle nouvelle. L’ancienne chapelle possède cependant des vestiges intéressants, notamment des fenêtres ogivales du dix-septième siècle, finement ciselées et intactes. »

 

DE  NOTRE-DAME  DE  KOAD-KEO  A  SAINTE  THERESE  DE  CASCADEC

L’acquéreur des ruines est l’industriel Ronan Bolloré d’Ergué-Gabéric. Il souhaite, pour ses ouvriers, édifier une chapelle dans l’enceinte de son usine de Scaër. L’Illustration, dans son numéro du 11 février 1928, relate la nouvelle vie spirituelle des ruines de Notre-Dame de Koad-Kéo :

« Nous apprenons une bonne nouvelle : la chapelle de Notre-Dame de Coatquéau est ressuscitée ; elle a ressurgi de terre à 40 kilomètres de là), toujours dans le même département, à l’usine de Cascadec en Scaër, où elle sert aux 600 ouvriers de la papeterie.

La démolition, le transport et la reconstruction du sanctuaire ont été exécutés dans un laps de temps extraordinairement court : à peine un an ! Grâce aux nombreuses photographies exécutées avant le transfert, la petite église a pu être restituée dans sa pureté native. Seul, le clocheton, à peu près détruit, a été complètement refait. Monseigneur Duparc, accompagné du clergé de Scaër et de Ergué-Gabéric, a béni l’église ressuscitée qui a pris pour patronne sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Ainsi le passé s’enchaîne au présent par une guirlande de roses et la grâce de la petite âme de Lisieux aujourd’hui si rayonnante. »

Jean Bothorel, dans son livre consacré à la famille Bolloré « Vincent Bolloré : une histoire de famille », rapporte des propos recueillis en 1979 :

« Bien sûr, dans cette période de redéploiement, qui aurait pu être, à cause de la guerre, synonyme de déclin, il (Ronan Bolloré) n’oublie ni Dieu ni l’Eglise. La chapelle d’Odet est agrandie. Celle de Cascadec est construite : un joyau de la Renaissance bretonne qu’il rend au culte en la reconstituant pierre par pierre à partir d’une ruine située  sur la commune de Scrignac. C’est plus de sept cents tonnes de pierres de taille qu’il faudra transporter. Tous les matins, un curé célèbre la messe dans chacune des chapelles et prie pour la prospérité de la Papeterie. La messe du dimanche, autour des Bolloré, est réservée aux employés qui doivent tous s’y rendre. »

Monsieur Bolloré, par estime pour l’abbé Perrot, et émerveillé de sa volonté de reconstruire une nouvelle chapelle à Notre-Dame de Koad-Kéo, envisagea de lui restituer le grand calvaire qui était lui-même un don de Françoise de Montmorency Laval à Notre-Dame de Koad-Kéo. Malheureusement, peut-être à cause de la guerre, l’affaire ne se fit pas…

(A suivre : 2 ème partie, la Résurrection de N-D de Koad-Kéo)

Notes :

1)Annales de Bretagne, XXVI.191.

2)Alors que le calvaire le plus important ira dans la propriété des Bolloré, le second sera donné aux sœurs augustines de Malestroit (Morbihan).

À propos du rédacteur Youenn Caouissin

Auteur de nombreux articles dans la presse bretonne, il dresse pour Ar Gedour les portraits de hauts personnages de l'histoire religieuse bretonne, ou encore des articles sur l'aspect culturel et spirituel breton.

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