[NOTRE-DAME DE PARIS] « Pourquoi un tel gaspillage ? On aurait pu vendre ce parfum pour un bon prix et donner l’argent aux pauvres »

Amzer-lenn / Temps de lecture : 3 min
Photo A. Durel (DR)

Ceux qui s’indignent que l’on puisse récolter tant d’argent pour reconstruire Notre-Dame en arguant qu’il serait préférable d’utiliser ces sommes pour lutter contre la pauvreté ou le réchauffement climatique me font penser à ce passage de l’Evangile de Matthieu (26, 7 – 13) : « En voyant cela, les disciples manifestèrent leur indignation en disant : – Pourquoi un tel gaspillage ? On aurait pu vendre ce parfum pour un bon prix et donner l’argent aux pauvres. Mais, se rendant compte de cela, Jésus leur dit : – Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme ? Ce qu’elle vient d’accomplir pour moi est vraiment une belle action. »

Toute bonne cause nécessite une conscience ou un esprit compatissant. Notre-Dame est le symbole de la conscience morale et de l’amour compatissant. Par conséquent, il est naturel que les gens souhaitent restaurer un symbole qui constitue leur « colonne vertébrale » intérieure, qu’ils soient croyants ou athées. Il faut comprendre que les gens ne donnent pas de l’argent pour des pierres, mais pour quelque chose qui les anime, pour quelque chose d’immatériel, une espérance, celle de la vie éternelle ou simplement de la possibilité du bonheur, celui que les amoureux du monde entier ont éprouvé en se promenant enlacés aux pieds de Notre-Dame.

« Pourquoi un tel gaspillage ? »

C’est le même raisonnement qui a été utilisé pendant toutes les terreurs révolutionnaires : pourquoi dépenser de l’argent à construire des églises ou des temples alors que le peuple a faim ? Pourquoi perdre du temps avec la beauté, la philosophie, la spiritualité, la culture alors qu’il y a tant de misère ? A quoi aboutissent ces raisonnements quand ils sacrifient ce qui constitue l’âme de l’humanité ?

Hélas, nous ne le savons que trop. Par conséquent, toute action sociale, politique ou environnementale qui ne s’enracine pas dans une conscience ne peut aboutir, au même titre que le corps ne peut agir sans l’esprit. C’est un peu comme une personne qui reprocherait à son frère de faire un beau cadeau à leur mère le jour de son anniversaire. « Tu aurais pu garder cet argent pour subvenir aux besoins de la famille ! » Mais qu’est-ce qu’une famille sans amour ? Et qu’est-ce que l’amour sans preuve d’amour ? Les gens sont libres de donner à qui ils veulent, comme ils veulent. S’insurger contre cela, c’est comme s’insurger contre le vent ou la pluie.

Les êtres humains ont besoin de figures symboliques qu’ils investissent émotionnellement, c’est un fait psychologique. C’est à travers ces figures – fussent-elles de chair, comme l’abbé Pierre ou Coluche – qu’ils donnent et s’engagent. Si d’autres causes nécessitent d’être prises en compte, il faut les rendre aimables, il faut qu’elles deviennent des symboles universels. C’est sur ce point que les militants doivent travailler, sans s’attarder au ressentiment. La jalousie et la comptabilité de boutiquier ne font pas avancer le monde. Ce qui rend les humains réellement généreux, c’est l’amour.

À propos du rédacteur Alain Durel

Ecrivain et philosophe, il partage son temps entre Paris et la Bretagne.

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2 Commentaires

  1. Bravo pour cet article. Oui, le don n’est pas un acte si simple. Il revêt un caractère singulier quasi sacré. C’est pour cela que les escroqueries à la générosité (comme l’affaire de l’ARC qui fut l’Hiroshima du don en France)
    sont beaucoup plus mal vécues que celles du secteur marchand. C’est aussi pour cela qu’il n’y a pas de « petits » donateurs.Comme il n’y a pas de petits bénévoles. Ce que les militants qui sont sur ces causes partisanes – souvent avec des intérêts particuliers – par opposition à l’intérêt général -ont du mal à comprendre.

  2. J’ajouterais que les pauvres eux-mêmes nous donnent la réponse. Je pense à ces femmes, simples paysannes, vues un jour sur un marché dans un pays pauvre, dit « en voie de développement » .Elles portaient fils de couleur et rubans dans les cheveux.

    Ce jour-là – j’étais encore un peu jeune sans doute – , je compris que l’élégance était indépendante du niveau de vie, et plus encore que quiconque, quelles que soient ses conditions de vie, avait droit à la beauté.

    Ces femmes auraient pu tout investir dans l’alimentation de base, elles dérivaient un petit peu pour la coquetterie et la beauté. J’ai retenu la leçon.

    Ar re baour eo a lâr deomp pep hini ac’hanomp en deus ezhomm eus braventez.

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