Parole de la semaine – 21e dimanche du temps ordinaire

Amzer-lenn / Temps de lecture : 6 min

Avec ce 21e dimanche du temps ordinaire, l’Eglise nous fait achever la méditation de cet important chapitre 6 de l’Evangile selon Saint Jean, v 60-69.

Dans ce passage ce ne sont plus simplement les adversaires de Jésus qui n’acceptent pas le mystère de la manducation de la chair du Fils de l’homme, mais une partie de ses propres disciples. Cela nous montre que les critiques sur la présence réelle et le sacrifice de la messe sont fort anciennes et qu’elles n’ont pas attendu le 16ème siècle et la Réforme protestante pour se manifester. Cela explique aussi pourquoi elles durent toujours et demeurent bien vivaces dans certaines formes modernes du catholicisme. Voici la conclusion de l’homélie :

semaine sainteDe nombreux catholiques malheureusement en sont aussi à ce point, à différents degrés bien sûr, mais le fond est le même. Que d’églises catholiques ont été dépouillées de leurs statues, de leurs tableaux, sous prétexte qu’elles n’étaient pas des musées, que de crucifix ont été remplacés par de simples croix, sans parler de l’art de célébrer complétement oublié, tout comme les vêtements liturgiques, « sinistrés » eux aussi, jusqu’à des temps récents !

Je comprends qu’après le concile Vatican II certains catholiques aient hurlé à une certaine protestantisation de l’Eglise Catholique. Je m’étais permis de dire à cette époque, où j’étais encore pasteur luthérien, à un confrère catholique qui me tenait ce langage, non pour déplorer le phénomène mais au contraire pour s’en réjouir, et qui ajoutait « vous voyez monsieur le Pasteur, nous vous imitons », je lui répondis « oui mais dans ce que nous avons de plus mauvais. »

Je le pense toujours, d’autant plus qu’il existe encore dans l’Eglise Catholique un protestantisme d’autant plus dangereux qu’il est camouflé et rampant. Il n’empêchera pas à la vérité catholique de réapparaître et de triompher, mais il retardera dangereusement cette nouvelle manifestation compte tenu des temps que nous vivons. Sans l’Incarnation et toutes ses conséquences en matière de pratique religieuse (en particulier les sacrements) il n’y a plus de christianisme. La nature a horreur du vide et un clou chasse l’autre. On le comprendra vite en France ou en Europe, de gré ou de force !

Mais je voudrais revenir, pour conclure, à la question du spiritualisme, puisque c’est bien souvent en son nom qu’on s’est attaqué et qu’on s’attaque toujours au réalisme sacramentel.

Au moment où les disciples qui vont le quitter murmurent en fait au nom d’un ultra-spiritualisme négateur de l’Incarnation, et par voie de conséquence tout aussi rebelle à l’idée que le Fils de l’homme puisse donner sa chair et son sang à manger et à boire, Jésus conscient du motif de rébellion de ces disciples leur dit : « cela vous heurte ?[1]Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant ? […] C’est l’Esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont Esprit et elles sont vie. » (Versets 62 et 63).

Ainsi, aux disciples qui prétendaient implicitement agir au nom de l’Esprit mais qui en fait pensaient selon l’esprit du monde, Jésus oppose ce qui vient de l’Esprit de Dieu et qu’ils ne peuvent comprendre au moment où il leur parle. Et ceux qui restent sont d’ailleurs dans le même cas au regard de ce qui est annoncé. Car deux éléments sont à relever. Jésus n’achève pas sa phrase quand il évoque le départ du Fils de l’homme qui remonte là où il était auparavant. Oubli de copiste ou rédaction volontairement incomplète laissant place à un mystère confirmé par les mots qui suivent ? « La chair n’est capable de rien ». Et pour cela il faut se souvenir que pour saint Jean, et c’est ce qui le distingue des autres évangélistes, l’Ascension, la Glorification et la remise de l’Esprit se passent sur la croix. Jésus est élevé de la Terre et commence son retour vers le Père quand il est élevé sur la croix. Il est glorifié en même temps qu’il remet l’Esprit-Saint quand  il expire. La chair n’y voit qu’un supplicié qui agonise et qui meurt. L’Esprit fait voir au contraire le Christ triomphant sur la croix glorieuse. Et cela tout comme la chair ne fait voir que dans le pain et le vin de l’Eucharistie, que de la nourriture terrestre et au mieux un symbole commémorant l’acte salvateur du Christ, tout comme les monuments aux morts évoquent le sacrifice de soldats tombés pour la patrie. L’Esprit lui, fait voir le corps et le sang du Christ ressuscité, autrement dit non pas de la chair et du sang humain chimiquement semblable au nôtre, mais une chair et un sang transfiguré que la corruption ne peut plus atteindre. Ils ne sont plus soumis aux lois physiques de la mort parce qu’ils sont eux-mêmes Esprit et Vie, comme cela sera annoncé prophétiquement par le coup de lance qui fera sortir l’eau et le sang du côté de Jésus crucifié, déjà mort. Et parce que cela se passe sur la croix, cela fait partie aussi de la glorification du Christ. L’eau et le sang qui viennent du supplicié glorifié sont source de vie éternelle, baptême et eucharistie qui font l’Eglise, gloires du Christ par la grâce de Dieu.[2]


[1]« C’est donc pour vous une cause de scandale ? » Traduction de la TOB, bien meilleure que celle du lectionnaire parce que faisant mieux ressortir la gravité de l’erreur des disciples. Le « scandalon » en grec est une petite pierre ronde qui, placée sous le pied, fait tomber la personne qui marche dessus.

[2]Opus cité, Annie Jaubert, voir la p. 105 ou à partir du chapitre 6 de Jean verset 63, notre verset sur l’Esprit, où Annie Jaubert fait une admirable mise au point sur le rôle de ce même Esprit dans l’Evangile de Jean.

On peut trouver le texte complet de ces homélies dans “À l’écoute de la Bible“, de Michel Viot, Année B, éditions Artège – Préface du Cardinal Paul Poupard. Vous pouvez commander l’ouvrage en cliquant sur ce lien partenaire

À propos du rédacteur Père Michel Viot

Prêtre catholique du Diocèse de Blois, ancien pasteur et évêque luthérien, ancien franc-maçon, il a été aumônier de prison, vicaire épiscopal du Diocèse de Blois puis aumônier militaire chargé des anciens combattants. Il est aujourd'hui au service du Diocèse de Paris. Rédacteur occasionnel pour le blog breton Ar Gedour, certains des articles de son blog sont aussi parfois repris avec son aimable autorisation.

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Un commentaire

  1. Louis-Marie SALAÜN

    Mille merci au Père Viot pour cette très belle “Parole de la semaine”!

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