Parole de la semaine – 33e dimanche du temps ordinaire

Amzer-lenn / Temps de lecture : 14 min

Pour ce 33ème dimanche du temps ordinaire et avant dernier de l’année liturgique, l’Eglise nous invite à méditer sur les fins dernières par la méditation de l’Evangile selon Saint Marc chap 13 v 24-32. Ce thème étant rarement abordé dans les homélies, je reproduirai, une fois n’est pas coutume, l’intégralité du texte que j’ai rédigé pour ce dimanche. Je n’ai pas la prétention de combler le vide créé par l’absence d’enseignement régulier sur cette importante question. Mais j’espère simplement susciter des interrogations et montrer que la préoccupation de la fin des temps n’appartient pas qu’aux sectes, mais fait partie de l’enseignement de Jésus lui-même !

 

Père Michel ViotCe passage que l’Eglise nous propose à méditer pour cette avant-dernier dimanche de l’année liturgique n’échappe pas à la tradition qui veut qu’en ce temps nous dirigions nos pensées vers les fins dernières, et ce n’est pas moi qui m’en plaindrai.

Il commence par « Jésus parlait à ses disciples de sa venue », ces paroles ne se trouvent pas exactement au verset 24 ni même auparavant sous cette forme. Cependant elles sont nécessaires et utiles et notre lectionnaire a eu raison de les placer ainsi. Pourquoi ? Parce qu’en fait depuis le début de notre chapitre 13 Jésus parle de sa venue en commençant par annoncer la destruction du temple. Aussi, pour bien essayer de comprendre ce qui nous est dit dans ces versets 26 à 32, il faut dire quelques mots de ce qui précède.

Dans l’homélie précédente, nous avions abordé cette question de la destruction du temple en relation avec l’offrande de la pauvre veuve, ici il nous faut la placer comme signe de la venue de Jésus. Et nous allons poursuivre la liste des indices qu’il continue à donner. L’arrivée de faux christs qui égarent des gens, des guerres, des famines, des tremblements de terre, des persécutions contre les chrétiens accompagnées de divisions entre les familles, et ce jusqu’à ce que l’Evangile soit proclamé à toutes les nations. Cette précision est d’une grande importance, nous le verrons. L’apparition de l’« abominable dévastateur »[1]dans ces textes c’est une allusion d’un autel idolâtre du Baal des cieux sur l’ancien autel des holocaustes (en fait Zeus olympien) par le roi Antiochus Epiphane le 7 décembre 167 avant Jésus Christ, raconté aussi en 1 Maccabées 1, 54. Je reviendrai sur ce signe, la nécessité de fuir immédiatement dans les montagnes. Et la détresse va grandir avec de nouveaux faux-messies faisant des prodiges, mais par miséricorde, le Seigneur va abréger ces temps insoutenables et là commence notre texte qui traite du moment où enfin le Fils de l’homme viendra après de grands signes cosmiques dont nous allons parler.

Auparavant je voudrais revenir sur cette liste de signes avant-coureurs et du même coup expliquer pourquoi je vous en ai fait le résumé, ce qui devrait nous donner quelques idées sur les motifs qui ont poussé Marc à nous rappeler ces choses et aussi nous éclairer sur le texte du jour.

Ce qui concerne la ruine du temple tout d’abord retiendra notre attention. Ce thème est connu du judaïsme, un des passages les plus célèbres étant le chapitre 7 du prophète Jérémie, les versets 1 à 15[2]. Le prophète sur l’ordre de Dieu se tient à la porte du temple et annonce sa ruine car il sert à l’orgueil spirituel du peuple juif qui se croit dispensé d’obéir strictement à la loi. Le lien saint est ainsi devenu une fausse sécurité. Et il y a un peu de cela dans la prophétie de Jésus, ce lieu couvre bien des choses injustes : les marchands qui s’enrichissent et qu’il a chassé et la pauvre veuve qui s’y ruine, nous l’avons vu. Mais Jésus est plus radical encore sur la destruction puisqu’il précise qu’il ne restera pas pierre sur pierre. Camille Focant fait remarquer que cette expression « pierre sur pierre » n’apparaît qu’une fois dans l’Ancien Testament pour parler de la reconstruction du temple après l’Exil (Aggée 2, 15). Jésus l’utilise en sens inverse pour une annonce sans appel de la fin du temple[3]. On pense immédiatement à la destruction du temple en 70 par les romains et au fait qu’il ne sera plus jamais rebâti. Mais peut-on, compte tenu de ce que nous savons du genre littéraire des discours sur la fin des temps tenus par Jésus et ici en Marc rapportés avant cette destruction, conclure à une indication aussi historiquement précise ? Surtout, toujours comme le fait Camille Focant, avec le rappel de la question de Pierre, Jacques, Jean et André, les quatre disciples de ce qu’on pourrait appeler les disciples « des secrets » de Jésus[4] : « dis-nous quand cela sera et quel sera le signe lorsque tout cela sera sur le point de s’achever. » Question que se sont posées les premières communautés chrétiennes et beaucoup de chrétiens au travers des siècles jusqu’à notre époque. Or Jésus ne répond pas, sa première parole au verset 5 est « prenez garde que personne ne vous égare. »[5]Ce verbe « égarer » appartient au vocabulaire de la littérature de la fin des temps pour parler de tous les mensonges qui peuvent être professés à ce moment là. Ce pourquoi il me paraît plus conforme à l’esprit des textes évangéliques de ce type de s’en tenir au sens religieux de la ruine du temple et non à un renvoi à une date particulière, et cette remarque vaut pour tous les autres signes dont j’ai parlé au début de cette homélie.

Jésus indique ici la fin de la vieille religion juive fondée sur le culte sacrificiel du temple. Il prophétise une spiritualisation du judaïsme qui se traduira par le culte synagogal et le culte chrétien. Le sacrifice du temple aura disparu avec la vieille religion juive mais il sera remplacé par un mémorial, en donnant bien sûr à ce mot tout son sens biblique, renforcé par celui du rite qui a entre autre la faculté d’abolir le temps : la Pâque juive pour la synagogue, l’eucharistie pour l’Eglise.

Et je reviens comme annoncé sur l’expression « l’abominable dévastateur » ou « l’abomination de la désolation ». Dans le même sens que ce que nous venons de dire, je crois qu’il serait vain d’y voir des événements historiques précis, comme les tentatives de l’empereur romain Caligula d’y faire placer sa statue dans le lieu saint, les tueries dans le temple entre diverses factions juives au début de la guerre contre les romains dans les années 68, l’entrée de Titus lui-même ou encore le fait que l’empereur Hadrien en 136 détruisit la ville et en bâtit une autre appelée Aelia Capitolina, dédiée à Jupiter Capitolin, et y fit construire un temple à ce dieu. Je pense qu’il faut plutôt y voir tout simplement la persistance de l’idolâtrie, ce qui nous aide alors à mieux comprendre ce que l’on appelle le temps des païens qui doit précéder la venue du Fils de l’homme, et qui est en fait la grande question du chapitre 13 et de notre passage. Car tous ces signes de ruine et de détresse sont justifiés dans notre chapitre 13 « car il faut d’abord que l’Evangile soit proclamé à toutes les nations. » (Verset 10).

Dans son second tome sur Jésus de Nazareth[6], Joseph Ratzinger Benoît XVI a consacré tout un chapitre à ce temps des païens, si important pour comprendre les discours de Jésus sur la fin des temps. Il montre que saint Paul en particulier en a eu une très haute conscience et que c’est ce qui a très certainement inspiré et stimulé son zèle missionnaire. Et il cite un des passages les plus clairs de l’apôtre sur notre sujet : « une partie d’Israël s’est endurcie jusqu’à ce que soit entré la totalité des païens et ainsi tout Israël sera sauvé. » (Romains 11, 25)[7].

Et notre pape émérite complète son propos par une mise au point plus que nécessaire et qui fut et est trop souvent oubliée : « Je voudrais ici me référer à ce que Bernard de Clairvaux conseillait, concernant cette question, à son disciple le pape Eugène III. Il rappelle au pape qu’il ne lui a pas été confié de prendre soin seulement des chrétiens : « Tu es également débiteur vis-à-vis des infidèles, des juifs, des Grecs et des païens » (De cons. III/I, 2). Toutefois, il se corrige immédiatement en précisant : « J’admets que, pour ce qui concerne les juifs, tu as une excuse liée au temps ; un moment précis a été déterminé pour eux, que l’on ne peut pas anticiper. Les païens doivent les précéder dans leur totalité. Mais que dis-tu à propos des païens eux-mêmes ?… A quoi pensaient tes prédécesseurs pour interrompre l’évangélisation alors que l’incrédulité est toujours diffuse ? Pour quel motif…la parole qui court avec rapidité est-elle arrêtée ? »(III/I, 3) »[8]

Ainsi n’aurons-nous aucun signe précis sinon la subsistance côte à côte de deux courants religieux issus de l’ancien judaïsme devant combattre l’idolâtrie tout le temps de la patience de Dieu, ce qui est un mystère. Et quand cela cessera, pour que commence enfin le règne du Fils de l’homme, la création se défera. Comment ? On ne sait car nous sommes renvoyés pour cela à la destruction de ce que Dieu a créé en Genèse 1, 14-17 au quatrième jour, nouveau mystère qui évoque la cessation du temps tel que nous le connaissons, et voilà encore un mystère.

Quant à cette venue du Fils de l’homme, on remarquera comme Camille Focant que saint Marc n’en a retenu que l’aspect positif. Pas de jugement après une résurrection des morts : « c’est typique de l’esprit de l’Evangile de Marc où aucun texte traitant du Fils de l’homme n’en fait un personnage menaçant. »[9]Cela n’élimine pas bien sûr l’idée du jugement dernier qu’on trouve évoquée ou suggérée ailleurs (Marc 3, 29-30 refus du pardon des péchés contre l’Esprit ; Marc 4, 24-25 la question de la mesure qu’on utilise et qui fait que celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera ôté ; Marc 9, 42-50 mise en garde où la gêne du feu est évoquée, etc). Mais Jésus dans saint Marc évoque sa venue en termes de rassemblement universel. Et cela est souligné par la référence aux quatre vents, comme le traduit Camille Focant[10], et non les quatre coins du monde qui est la traduction du lectionnaire. La mention des quatre vents est tirée de Zacharie 2, 10 qui fait allusion à l’Exil à Babylone où Dieu avait envoyé son peuple en déportation pour le punir de son infidélité religieuse. Et il est remarquable que l’expression se retrouve ici sans évoquer de châtiments[11]. Là encore cela n’élimine pas le châtiment de la doctrine chrétienne des fins dernières, mais cela prouve qu’on peut parler de celle-ci sans forcément y avoir recours et faire ressortir au contraire la grandeur de la grâce de Dieu.

Et vous remarquerez que Jésus n’a toujours donné aucun signe précis. Et l’image du figuier ne fait guère avancer dans ce domaine de la précision. Le figuier et ses branches devenues tendres renvoient clairement à tout ce qui précède. Or, qu’indique la tendresse des branches ? Non pas que l’été est là mais qu’il est proche, ce qui n’est pas la même chose ! Le mystère sur le temps précis demeure donc. Reste un dernier verset qui a fait couler beaucoup d’encre et qui semble à certains indiquer un moment précis de l’histoire. « Cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive ». Au fond la question est de savoir qui Jésus vise-t-il en parlant de cette génération. Sur les différentes hypothèses je renvoie là encore au travail de Camille Focant[12]. J’en viens de suite à ce qu’il retient et qui va finalement dans le même sens que Joseph Ratzinger Benoît XVI. « Cette génération » vise le peuple juif qui reste effectivement jusqu’à la fin des temps, jusqu’à ce que tous les païens soient convertis[13]. Ainsi est respecté le parallélisme des trois prophéties de Jésus qui utilisent toutes le verbe passer.

Ne nous hâtons donc pas d’annoncer la fin du monde à l’apparition de signes ou de personnages épouvantables. Au XVIe siècle par exemple, la peste noire jointe à la menace turque a fait croire à plus d’un chrétien, dont Martin Luther, que la fin du monde allait arriver. Et ce ne fut que la fin d’un monde. Le Fils de l’homme n’est pas revenu. Et il y eu d’autres catastrophes depuis, comme il y en a aujourd’hui, et d’autres formes de peste noire jointes à la menace islamique. Tout cela est bien sûr signe de fin de quelque chose, c’est entre autre le symbole que tout ce qui se passe dans notre monde n’est que passager et porte en son sein des germes de sa destruction, ainsi que pour quiconque s’y attache trop fortement. Seules les paroles du Christ ne passeront pas ! Jusqu’au bout elles auront le pouvoir de vaincre l’idolâtrie et même, suprême puissance, d’ouvrir les portes de l’éternité à ceux du peuple élu qui n’auront pas eu foi en elles. Et ils seront bien les seuls à se trouver dans cette situation, comme preuve éclatante de la fidélité indestructible du Dieu d’Israël. Que la foi en cette force nous invite nous-mêmes à rester fidèles et confiants jusqu’au bout.

[1]Selon « L’évangile selon Marc » de Camille Focant : on traduit aussi souvent par l’« abomination de la désolation », inspiré de Daniel 9, 27 et 12, 11.

[2]Opus cité voir note sur le verset 2 p. 484

[3]Opus cité p. 482.

[4]Ils sont souvent des témoins privilégiés. Opus cité p. 481 : traduction de Camille Focant et voir son interprétation p. 484.

[5]Voir note de la TOB sur Marc 13, 5 et Matthieu 24, 4.

[6]« Jésus de Nazareth », Joseph Ratzinger Benoît XVI, Ed du Rocher, p. 58-62.

[7]Opus cité p. 460.

[8]Opus cité, Joseph Ratzinger Benoît XVI, p. 61, Ed du Rocher.

[9]Opus cité, Camille Focant, p. 499.

[10]Opus cité p. 501.

[11]Opus cité p. 501.

[12]Opus cité p. 503 et 504.

[13]Opus cité p. 504 et 505.

Cette homélie, comme les précédentes, est tirée du livre : « À l’écoute de la Bible, année BHomélies pour les Dimanches et Fêtes », préface de Son Éminence le Cardinal Paul Poupard, Michel Viot, Editions Artège 2014.

Je signale que l’année C sera en vente très bientôt, le premier dimanche de l’Avent tombant le 2 décembre 2018 et inaugurant la nouvelle année liturgique. Je me vois contraint de donner moi-même cette information, car mes livres d’homélies sont assez bien cachées dans les librairies « bien pensantes » soucieuses du théologiquement correct à la mode ! Sans doute dans le pieux dessein de faire vivre cette exhortation évangélique « cherchez et vous trouverez ». Expérience intéressante à tenter. Avis aux amateurs !

À propos du rédacteur Père Michel Viot

Prêtre catholique du Diocèse de Blois, ancien pasteur et évêque luthérien, ancien franc-maçon, il a été aumônier de prison, vicaire épiscopal du Diocèse de Blois puis aumônier militaire chargé des anciens combattants. Il est aujourd'hui au service du Diocèse de Paris. Rédacteur occasionnel pour le blog breton Ar Gedour, certains des articles de son blog sont aussi parfois repris avec son aimable autorisation.

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