Saint Mériadec

Amzer-lenn / Temps de lecture : 23 min

Le 7 juin, on fête dans le diocèse de Vannes saint Mériadec, qui fut évêque de ce diocèse au VIIème siècle. Nous revenons sur ce saint. 

 

Etymologie

Le prénom de Mériadec est issu à la fois du latin et du vieux-breton : merus en latin signifiant pur, sans mélange, et iad, en britonnique signifiant front. Ce mot est toujours en usage en gallois, quoique tombé en désuétude, le synonyme tâl (même mot qu’en breton) étant presque uniquement employé. Il est pourtant attesté dans les anciens dictionnaires gallois.

Ce nom se compose donc de Mer-iad-oc, à savoir : Celui dont le front est pur.

 

La vie de saint Mériadec

On trouve la trace du culte de saint Mériadec des deux côtés de la Manche, aussi bien en Bretagne insulaire qu’en Bretagne continentale.

Il existe à son sujet diverses traditions. Selon les récits hagiographiques, il est né soit en Grande, soit en petite Bretagne, dans un cas, il est né en Armorique et serait parti outre-Manche – mer que l’on nomme encore de nos jours en breton Mor Breizh, à savoir la mer de Bretagne, mer qui pendant des siècles était plus un trait d’union qu’une frontière impénétrable.

Selon d’autres traditions, ce serait l’inverse : il serait né en Grande-Bretagne et serait par la suite venu en Armorique. C’est ce qui est rapporté dans la Beunans Meriasek (vie de Mériadec) écrite en 1504 en Cornouailles insulaire.

Au-delà de ces incohérences historiques, il faut peut-être voir plusieurs homonymes qui par la suite auraient été fondus en un seul personnage- cela est très fréquent chez les saints bretons qui font selon leurs vitae plusieurs allers-retours des deux côtés de la Manche.

Quoiqu’il en soit, les divers éléments hagiographiques s’accordent pour dire que Mériadec s’est retiré comme anachorète au courant du VIIème siècle près de Pontivy (Pont Dewi, le pont de Dewi) à Stival au bord du Blavet.

Comme nombres de saints bretons, sa réputation de thaumaturge et ses prédications attirèrent les foules, si bien qu’à la mort d’Hingwethen, évêque de Vannes, il fut choisi clero et populo (par le clergé et le peuple) comme évêque à sa suite.

Il est honoré principalement à Stival, près de Pontivy : Le toponyme breton Stival signifiant source, rendu célèbre par le nom de scène du chanteur et harpiste Alan Cochevelou (Alan Stivell) est emprunté au latin populaire stuva, (extupa en latin classique) signifiant étuve, et par extension salle de bains.

Il est aussi patron de Mériadec (ancienne trêve de la paroisse de Plumergat), à Bieuzy-Lanvaux et Baden, où des chapelles lui sont dédiées, ainsi  qu’à Saint-Jean-du-Doigt, où une partie de son crâne est conservée dans un très beau reliquaire.

 

La figure légendaire de Conan Mériadec et son lien avec la maison de Rohan

 

La chapelle du château de Pontivy, qui était le coeur du fief des Rohan, lui est aussi dédiée. En effet, la maison de Rohan, une des plus anciennes et puissantes familles de Bretagne entretient une relation très intime avec saint Mériadec, pour le meilleur comme pour le pire.

Cette récupération de saint Mériadec par les Rohan provient d’une homonymie avec le légendaire Conan Mériadec, lieutenant de Magnus Maximus, (Macsen Wledig en gallois) général romain, qui avec ses légions bretonnes, prit Rome et devint de manière éphémère empereur d’Occident en 387, ayant vaincu l’empereur  Gratien avant d’être renversé et exécuté à son tour par Théodose, empereur d’Orient allié à Valentinien II, empereur légitime d’Occident.

La mégalomanie de Maximus et d’une  bonne partie de l’aristocratie bretonne, en entraînant les Bretons loin de chez eux et en dégarnissant la Bretagne de ses meilleures troupes, précipitera la chute de l’empire romain d’Occident ainsi que l’invasion de l’île de Bretagne par les Anglo-Saxons au siècle suivant.

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La figure de Conan Mériadec n’est attestée que de manière tardive.

On la trouve entre autres dans les Mabinogion, poèmes épiques britonniques compilés en langue galloise entre le XIIème et le XVIème siècle. Mais, il en est surtout fait mention dans l’Historia regum Britanniæ (histoire des rois de Bretagne) écrite vers 1138 par Geoffroy de Montmouth, chroniqueur breton. Ce livre mêlant histoire et mythologie reprend de vieilles légendes qui accréditent l’origine troyenne du peuple breton, jusqu’à la figure du roi Arthur.

Geoffroy de Montmouth a certes eu accès à de nombreuses archives anciennes disparues depuis, mais on ne sait dans quelle mesure il les a falsifiées ou mélangées avec des récits mythiques, tant il est vrai que les anciens Bretons avaient ce goût du merveilleux et étaient prêts à violer sans scrupules l’histoire pour lui faire de beaux enfants.

Cette oeuvre servit à la propagande dynastique des Plantagenêt (Montmouth était à la solde du roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt, et il réécrivait allègrement l’histoire dans le sens que lui dictait son maître qui sut si bien récupérer la geste arthurienne au profit de sa maison.

Si bien que son petit-fils, prénommé Arthur, (1187-1203, fils posthume  de Constance de Bretagne, et de Geoffroy Plantagenêt, duc de Bretagne, frère de Richard Coeur de lion et de Jean sans terre) fut considéré par ses sujets des deux côtés de la Manche comme réalisant les prophéties arthuriennes. Il faut dire qu’Henri II était un érudit, très bon connaisseur de l’histoire et savait s’en servir afin d’unifier tous les peuples qu’il gouvernait.

Les Rohan en firent de même par la suite, ces derniers se considérant comme les descendants directs de Conan Mériadec, le mythique roi des Bretons qui est aussi selon la légende, père de sainte Hélène, mère de Constantin Ier, premier empereur chrétien et ipso facto ancêtre de saint Mériadec.

Cette ascendance est totalement fantaisiste et ne tient pas sur le plan de la chronologie : Maximus Magnus, empereur usurpateur contemporain de son supposé lieutenant Conan Mériadec, est né vers 335 et mort en 388, alors que Constantin Ier, fils de sainte Hélène et du César Constance Chlore est né en 272 et mort en 337.

En supposant que Conan Mériadec eût à peu près le même âge que son général, il aurait eu deux ans à la mort de son petit-fils ! Ce qui donne un anachronisme d’au moins 80 ans avant la naissance de Conan censé être son père.

Si l’on considère qu’Hélène donna naissance à Constantin vers l’âge de 20 ans (on suppose que c’était une concubine et non l’épouse légitime de Constance Chlore, qui pour des raisons politiques avait dû épouser Théodora, fille du tétrarque Maximien, son allié) on pourrait donner une date de naissance de l’impératrice qui découvrit la sainte croix au Golgotha vers 250.

De plus, à l’encontre de la légende forgée par nombre de chroniqueurs bretons, Hélène n’était pas bretonne, mais originaire de Bythynie, (Asie Mineure)

Pour preuve, quand Constantin devint empereur, il renomma la ville natale de sa mère jusque-là nommée  Drepanum en Hélénopolis (la cité d’Hélène). Ce n’est que quand Constance devint gouverneur militaire de de Bretagne que sainte Hélène résidât en cette île.

Cette double ascendance Conan Mériadec/ saint Mériadec assit pendant des siècles les prétentions dynastiques des princes de Rohan se considérant comme plus légitimes que leurs souverains, les rois et ducs de Bretagne dont l’origine de la dynastie remonte à l’époque carolingienne (Nominoé au IXème siècle) alors qu’eux puisaient leurs racines dans un passé phantasmé de l’Antiquité britto-romaine remontant au IIIème siècle et même au-delà.

On trouve dans ce sens un prétendu sarcophage du roi Conan Mériadec dans la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon, sarcophage qui sert depuis longtemps de bénitier.

Devant ce même sarcophage était jadis exposée, inscrite en lettres capitales sur une plaque de cuivre l’épitaphe suivante : HIC JACET CONANUS BRITONUM REX : À savoir : Ci-gît Conan, roi des Bretons. Cette méprise, (due à la famille de Rohan ?) vient du fait que sur le couvercle du sarcophage (aujourd’hui disparu) était écrit Conanus.

Les chanoines de la cathédrale, arguant de raisons pratiques – cette plaque encombrante gênant les processions- la firent disparaître. Il est toutefois probable qu’ils en prissent prétexte pour effacer discrètement ce canular un peu gros, car même dans les temps anciens, personne n’était dupe des ambitions démesurées des Rohan.

Ce sarcophage était tout simplement celui d’un évêque de saint-Pol-de-Léon au XIIème siècle qui s’appelait Conan, donc rien à voir avec Conan Mériadec…

Pour les Rohan, les ducs de Bretagne étaient en quelque sorte des parvenus issus d’une époque relativement « récente », ce qui explique bien des comportements méprisants et séditieux envers leurs souverains et un sentiment de supériorité généalogique même face à la royauté capétienne française après l’union du duché de Bretagne à la France (1532)

Au cours du XVIème siècle, la plupart des branches la maison de Rohan se rallièrent à la réforme protestante, sans pour autant renier leur prestigieuse ascendance antique fondée entre autres sur la figure légendaire du roi Conan Mériadec et de saint Mériadec.

Au cours du  XVIIème siècle, ils revinrent peu à peu à la religion catholique et donnèrent de nombreux évêques et prélats, notamment dans l’archidiocèse de Strasbourg (ancienne terre de l’empire romain germanique, donc avec le rang de princes-évêques de Stasbourg). Ils n’en demeuraient pas moins de rusés politiciens.

Sous le règne de Louis XIV, ils réclamèrent à ce dernier la reconnaissance du statut de « princes étrangers » en rapport avec leur vieille ascendance mythologique. Ce statut privilégié créé par François Ier était d’exception et concernait les princes issus de pays annexés « récemment » par le royaume de France. Les princes étrangers avaient à la cour de France  un rang tout juste en-dessous de celui des « princes du sang », à savoir les rejetons de la dynastie capétienne et de ses nombreuses ramifications.

Louis XIV, malgré les demandes appuyées des Rohan ne leur accorda jamais ce statut, tout en reconnaissant l’ancienneté de leur famille.

En effet, au  XVIIème siècle, et surtout au XVIIIème siècle, progressaient l’étude des sources ainsi que les sciences historiques et la construction idéologique des Rohan, élaborée au cours des siècles devenait de moins en moins crédible.

C’est cette imposture historique qu’a démontée Dom Alexis Lobineau (1677-1727) humble moine bénédictin (de la congrégation de saint Maur de l’abbaye Saint-Melaine de Rennes, puis de saint Vincent du Mans et de l’abbaye de saint Jacut) fils d’un magistrat du Parlement de Bretagne. Il fit paraître en 1707 son  « Histoire de Bretagne » .

En cela il est appelé le père de l’historiographie bretonne, car c’est le premier historien breton qui fit un travail critique des sources historiques, si bien que cela a déplu à de très grands personnages, tels que le cardinal Armand-Gaston  de Rohan, prince-évêque de Strasbourg (1674-1749) qui persécuta et harcela Dom Lobineau pour lui faire modifier son ouvrage. celui-ci en est mort prématurément et tous ses écrits furent mis sous scellés par les Etats de Bretagne.

Malgré cela, ils furent confisqués par le cardinal de Rohan puis confiés à Dom Pierre-Hyacinthe Morice ( 1693-1750), moine plus docile de l’abbaye Sainte-Croix de Quimperlé, spécialiste de la généalogie de la famille de Rohan qui récrivit une nouvelle édition plus conforme à la vision de l’histoire du cardinal de Rohan.

La manoeuvre de ce prince de l’Eglise est illustrée par la verve caustique du fameux mémorialiste, le duc Louis de Saint-Simon (1675-1755) :

« Ces aventures ne découragèrent point des gens [les Rohan] qui, non contents du rang qu’ils avaient obtenu, voulaient absolument être princes. Ils avaient tenté une descendance chimérique d’un Conan Mériadec qui n’exista jamais, prétendu roi de Bretagne dans les temps fabuleux.[…]

Un bénédictin nommé Lobineau fit en ces temps-ci une Histoire de Bretagne. M. de Strasbourg (le cardinal Armand-Gaston de Rohan) y voulut faire insérer ce qui lui convenait. Le moine résista et souffrit une persécution violente et même publique, sans qu’il fût possible de le vaincre ; mais enfin, las des tourments et menacé de pis encore, il vint à capitulation. Ce fut de retrancher tout ce qui pouvait déplaire et nuire aux prétentions. Ces retranchements furent infinis ; il les disputa pourtant pied à pied avec courage ; mais à la fin, il fallut céder et insérer faussement du Mériadec malgré tout ce qu’il put dire et faire pour s’en défendre. Il s’en plaignit à qui le voulut entendre. Il fut bien aise, pour sa réputation, que la violence ouverte de ces mutilations et de ces faussetés ajustées par force ne fût pas ignorée. Il en encourut pour toujours la disgrâce des Rohan, qui surent lui en faire sentir la pesanteur jusque dans le fond de son cloître, et qui ne s’en sont jamais lassés.

L’abbé de Caumartin, mort évêque de Blois, à qui le moine disait tout, me l’a conté dans le temps, outre que la chose devint publique.

Avec ces mutilations, l’ouvrage parut fort défiguré, sans quoi il n’eût jamais vu le jour. Ceux qui s’y connaissent trouvèrent que c’était un grand dommage, parce qu’ils l’estimèrent excellent et fort exact d’ailleurs » (Saint-Simon, Mémoires, t. V, § 166).

 

 

En 1886, Arthur Le Moyne de la Borderie, l’historien du renouveau breton du XIXème siècle, rendit hommage à Dom Lobineau, son illustre devancier, en plantant dans le cimetière de Saint-Jacut-de la mer cette stèle en forme de menhir christianisé, qui rappelle étrangement ces autres menhirs que l’on voit sur les fresques de l’église de Stival, bâtie et décorée par les largesses des Rohan qui furent ses persécuteurs !

Dans cette course vers les honneurs de ce monde pendant des siècles, il faut bien reconnaître que la maison de Rohan a su préserver et développer le culte de saint Mériadec et qu’elle a consacré une partie se sa fortune au mécénat en bâtissant et entretenant de splendides églises et chapelles à la plus grande gloire de Dieu et de ses saints.

Les deux exemples les plus fameux étant ceux de N.D de Kernascléden et de St Mériadec de Stival.

Cette  splendide église de Stival a en effet bénéficié des largesses des Rohan et arbore encore de nos jours de remarquables fresques du XVème siècle, offertes par les Rohan.

Le plus bel ornement de cette église est  une relique d’exception : la cloche de saint Mériadec, surnommée en breton Boned sant Meriadeg (le bonnet de saint Mériadec)

 

 

Les moines itinérants bretons et irlandais avaient toujours avec eux ces petites cloches à mains portatives. Selon la tradition, c’est saint Patrice, apôtre de l’Irlande qui apprit à ses moines l’art de fabriquer ces cloches qui servaient à annoncer la venue du saint et à prendre solennellement possession du territoire d’un nouveau Plou (paroisse primitive bretonne)

Il y avait deux modes de fabrication pour ces cloches : elles étaient soit fondues en bronze, soit patiemment martelées en cuivre ; celle de Stival est martelée dans un alliage de cuivre et d’argent, ce qui lui donne celle belle couleur dorée.

Elles furent en usage dans les deux Bretagnes et en Irlande du VIème au Xème siècle et restèrent par la suite l’objet d’une grande vénération au cours des siècles de la part des fidèles, si bien que cette vénération a pu sombrer dans la superstition. Elles étaient imposées à l’origine sur la tête des fidèles agenouillés pour les guérir de tous les maux, en particulier la surdité et les maux de tête.

À partir du XVIIème siècle, le clergé se méfia de ces « superstitions » populaires.

Ainsi, Mgr  René de Rieux, évêque de Léon, recommanda en 1630 aux chanoine de la cathédrale de ne plus imposer la cloche, mais de la faire sonner au-dessus des pèlerins.

À l’origine, elles étaient frappées par un maillet de bois à la manière d’un gong. Ce n’est que vers le VIIIème siècle qu’on leur adjoint un battant afin de les faire sonner en les secouant. Cette pratique qui a remplacé l’imposition de la cloche est encore en usage au pardon de saint Mériadec de Stival.

Cette cloche de saint Mériadec est l’une des dernières des saints bretons encore existantes.

Il subsiste en Bretagne continentale 6 cloches :

  • Celle de saint Pol, conservée à la cathédrale saint-Pol-de Léon.
  • Celle de saint Goulven, conservée en l’église de Goulien.
  • Celle de saint Ronan, conservée à Locronan
  • Celle de saint Guirec, conservée au musée de saint Brieuc provenant de Perros-Guirec
  • Celle de saint Mériadec, conservée à Stival
  • Une autre demeure anonyme : celle de Paule (Côtes d’Armor) retrouvée dans les gravats de la chapelle en ruine de saint Symphorien.

Il existait aussi  jusqu’en 1793 (année où elle fut confisquée et fondue) une cloche de saint Gwénolé conservée à Montreuil-sur-mer (Pas-de Calais) Les moines de Landévennec, s’y étaient réfugié au début du Xème siècle après que leur abbaye eût été détruite par les Vikings.

 

En plus de la Bretagne, il en existe d’autres en Grande-Bretagne et en Irlande.

Saint Gildas était réputé pour son habileté à fondre ou marteler ce genre de cloches dans son atelier de l’abbaye de l’abbaye de Rhuys. On retrouve dans plusieurs vitae de saints bretons témoignage de ce savoir-faire. Il est possible, comme nous le verrons, que ce soit lui qui ait fabriqué cette cloche de saint Mériadec.

L’inscription de la cloche de Stival

La cloche de Stival est très semblable à celle de saint Patrice conservée au musée national de Dublin. Elle est faite du même alliage de cuivre et d’argent, a la même forme et à peu près les mêmes dimensions. Seul diffère leur mode de fabrication : la cloche irlandaise a été fabriquée par fusion et la bretonne par martelage. Ce qui amène à penser que celle de Stival serait une copie de la cloche irlandaise.

Sur cette cloche est gravée une étrange inscription dans les mêmes caractères que l’on trouve dans les manuscrits issus des scriptoria irlandais.

Pirturficisti

Cette inscription est communément interprétée comme étant du latin :

« Pirtur (l’) a faite » Pirtur fecisti. ce qui est une étymologie totalement fantaisiste :

Primo, le prénom Pirtur n’est attesté nulle part, secundo,  les moines irlandais ou bretons étaient  trop versés dans la langue latine pour faire une si grossière faute d’orthographe : ficisti au lieu de fecisti.

Théodore Hersart de la Villemarqué, auteur du Barzaz Breiz, (1815-1865) a décrypté cette inscription qui est en fait du vieux-breton. Il faut donc lire :

 

Pir turfic is ti

– pir est un adverbe sous forme d’adjectif signifiant : doux suave.

On le retrouve par exemple dans un vieux poème en gallois du XIIème siècle :

Afallen piren ! Pir y kangeu ! (pommier doux ! Doux rameaux !

– turfic est un adjectif qualificatif dérivé du substantif turf (twrf en gallois moderne)

Il signifie résonance, tumulte.

-is est une des racines du verbe substantif celtique qui demeure invariable au présent de l’indicatif pour toutes les personnes. On la retrouve dans les vieux textes tant gaëliques que britonniques. En breton moderne le is est devenu ez en KLT et é ou éh en vannetais (prononcé i) Par exemple : ez eus (KLT) ou éh eus (vannetais).

– Ti est l’équivalent du latin ou du français tu. En breton moderne, il s’écrit te, mais se prononce encore ti dans le vannetais comme en gaëlique écossais.

L’inscription de la cloche pourrait donc se traduire par :

« Comme tu sonnes mélodieusement !»

Cette traduction est accréditée par un épisode de la Vita sancti Cadoci (Vie de saint Cado ) écrite au XIème siècle, mais reposant sur des traditions très anciennes.

Voici de qu’en écrit Théodore de La Villemarqué :

Cadoc  était un solitaire breton émigré dans la partie même de l’Armorique dont Mériadec devait être évêque cent ans plus tard ; il habitait un monastère de l’archipel du Morbihan [son île se trouve dans la rivière d’Étel et non dans le Golfe du Morbihan]  Un jour, il vit venir vers lui un voyageur arrivant d’Irlande. C’était un moine appelé Gildas, qui avait pour père un chef breton des frontières de l’Écosse, et qui n’était pas moins savant dans les lettres latines et la poésie  celtique qu’habile dans l’art de travailler les métaux. Il apportait précisément des ouvrages d’orfèvrerie de sa façon, et, parmi ses ouvrages, se trouvait une cloche très jolie, qui attira vivement l’attention du bienheureux Cadoc. Le saint la prit par l’anse, la regarda avec admiration, et l’agita respectueusement ; puis en ayant loué l’éclat, la couleur et le son, il voulut l’acheter à Gildas. Mais le moine-voyageur refusa, disant : « je ne veux pas la vendre ; je compte l’offrir en don sur l’autel de Saint Pierre, à Rome. »

Cadoc insista : « je te la remplirai d’argent. Gildas refusa de nouveau. « Je te donnerai, ajouta Cadoc, autant d’or de bon poids qu’elle peut en contenir. » Mais l’autre répondit qu’il ne la donnerait ni pour or, ni pour argent :

« Je l’ai promise à Dieu et à saint Pierre, répéta-t-il, et j’accomplirai mon vœu, avec l’aide de Dieu, car Salomon l’a dit : une promesse folle et infidèle déplaît au Seigneur. » Il continua donc sa route vers Rome, avec sa cloche, et l’ayant montrée au pape, il lui dit : « Cette cloche est mon ouvrage ; je l’ai apportée d’Irlande pour l’offrir à Dieu et à saint Pierre, sur l’autel de l’apôtre lui-même. » Le pontife n’admira pas moins que les Bretons la cloche du moine venu d’Irlande, mais quand il voulut la faire sonner, chose étrange, elle resta muette.

« Que veut dire ceci ? demanda au clerc, le pape étonné ; pourquoi ta cloche, tout en ayant une langue, ne parle-t-elle pas ? A-t-elle jamais sonné ?

-Oui, Saint père, répondit Gildas, comme je passais par la Bretagne, un saint homme, appelé Cadoc, me donna l’hospitalité, et, agitant cette cloche, il lui fit rendre un son doux et harmonieux, (qui præsentem nolam ultime pulsans, dulcifero tono clangere fecit)

Le pape répondit : « J’ai connu autrefois l’homme dont tu me parles : il est venu ici jusqu’à sept fois en pèlerinage. » Et ayant repris la cloche, il lui donna sa bénédiction, en ajoutant :

« Rapporte à Cadoc cette cloche bénie et consacrée par moi :  que désormais les grands serments soient prêtés par sa voix ; qu’elle devienne pour toute la Bretagne une protection assurée contre le malheur. Désormais, les Bretons vénèreront cette cloche pour deux raisons : l’une parce que je l’ai bénite, l’autre parce qu’elle aura appartenu à saint Cadoc. »

Gildas rapporta donc la cloche en Bretagne, et dès qu’elle fut dans les mains du bienheureux Cadoc, faisant ce qu’elle a refusé au pape, elle rendit d’elle-même un son doux et mélodieux, (quæ quod prius coram papam recusavit, confestim ex se dulcem sonando melodiam edidit.)

La Villemarqué rajoute :

« Est-ce trop oser de croire que dans cette légende il s’agit de notre cloche ? Fabriquée en Irlande, puis apportée par le Breton saint Gildas au diocèse de Vannes, elle aurait été possédée par Mériadec, chef spirituel du diocèse.

Quant à l’inscription, elle serait un éloge adressé par l’ouvrier satisfait à son oeuvre elle-même, et peut-être a-t-elle servi de thème à légende latine dont l’auteur revient jusqu’à trois fois dans le même paragraphe sur la douceur des sons de la cloche (dulcifero tono clangere fecit, melodis pulsavit tonis, dulcem sonando melodiam edidit) semblant paraphraser et gloser les paroles bretonnes :

Pir turfic is ti !

Comme tu sonnes doucement !

Note : La Villemarqué rapporte aussi que la cloche de saint Patrice (si semblable à celle de saint Mériadec est surnommé par les pèlerins d’Irlande  Finn Faidheach (doux son !)

Le cantique de saint Mériadec de Stival

Un très beau cantique breton fut composé en l’honneur de saint Mériadec en 1934 par l’abbé Étienne Le Strat, recteur de Plouay (1865-1954, Stevan Kerhoret de son nom de plume). Téléchargez-le (paroles et traductions) en cliquant sur ce lien : Kanenn én énour de sant Mériadeg

Ci-dessous, retrouvez le collectage Ar Gedour lors du pardon 2020. Etant donné les mesures sanitaires, peu de personnes étaient présentes, mais vous entendrez toutefois le cantique, et la cloche sonnant à intervalles réguliers durant le rite effectué par les pardonneurs.


Sources :

  • Théodore Hersart de La Villemarqué : « Mémoire sur l’inscription de la cloche de Stival, près Pontivy, en Bretagne. » In : « Mémoires de l’Institut national de France, tome 24, 2ème partie, 1864 pp. 387-399
  • https://www.persee.fr/doc/minf_0398-3609_1864_num_24_2_1432
  • Bernard Tanguy : « La cloche de saint Paul-Aurélien » in « mélanges François Kerlouégan » collection des sciences techniques de l’Antiquité, Année 1994, pp. 611-622
  • https://www.persee.fr/doc/ista_0000-0000_1994_ant_515_1_2370
  • Jean-Christophe Cassard : « les Bretons de Nominoé » éditions Beltan, Brasparts, 1990.
  • Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon : « Mémoires » volumes 1 à 11 : 1691-1723, collection lettres classiques, 2013, pp. 1700-1701

À propos du rédacteur Uisant ar Rouz

Très impliqué dans la culture bretonne et dans l'expression bretonne dans la liturgie, Uisant ar Rouz met à disposition d'Ar Gedour et du site Kan Iliz le résultat de ses recherches concernant les cantiques bretons, qu'ils soient anciens ou parfois des créations nouvelles toujours enracinées dans la Tradition. Il a récemment créé son entreprise Penn Kanour, proposant des interventions et animations en langue bretonne.

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