Saints bretons à découvrir

[TOPONYMIE] LE PAGUS CANTINUS

Amzer-lenn / Temps de lecture : 10 min

Par Alan J. Raude* 

breizhLa nomenclature  des Pagi de l’ Armorique celto-romaine est assez largement attestée par des documents plus ou moins anciens. On connait ainsi le Pagus Castelli, avec  Trégastel, le Pagus Ciuitatis alias *Pagus Lexouius,  avec Ploulec’h, le Pagus Tricorius, « Tregor », le Pagus Uelauus, « Goelo »,  le Pagus Castri, « Poher », dont on peut déterminer les limites. Mais précisément la limite est du Pagus Castri est marquée  sur nos cartes des communes par les épithètes des communes  extérieures de Plounévez-Quintin,  Peumerit-Quintin. L’ épithète Poher (dans Cléden-Poher) répondant à l’ouest à l’épithète Quintin, il s’agit bien d’ un pagus qu’ il convient de distinguer d’un autre.

 

Le nom « français » de « Quintin » représente un breton Kentin , qui à son tour remonte à un celtique *kantinos, d’où un latin Cantinus. Cet adjectif présuppose à son tour un nom Kantion – Cantium. Kentin, cependant, pourrait également  être l’évolution de *Kantidunon « citadelle Cantienne »; en ce cas, dans le nom du ‘Vieux) Bourg de Quintin »,  « bourg » serait la traduction de dunon.

 

Le nom de Cantium est attesté dans la Notitia prouinciarum et ciuitatum Galliae, dans 37 manuscrits, sous des formes plus ou moins altérées (v. Fleuriot, OB 251), et on peut aussi le reconnaître dans   l’Historia Brittonum, au chapitre 27, dans le toponyme Cant Guic, donné  comme  l’ une  des limites de territoire d’ installation des Bretons  de l’ armée de Maximus en 383.

L.Fleuriot fait observer que le nom ainsi présent dans la Notitia, où il alterne avec des variantes de Uenetis, pose un problème jusqu’ alors  non résolu : pourquoi vient-il remplacer le nom de Uenetis comme cité capitale de la ciuitas des Vénètes ?  Nous proposons plus loin une solution..

 

ETYMOLOGIE

Il est évident que le nom de Cantium est le même qui a donné le nom du comté de Kent  en Angleterre. Il s’ agit du nom celtique *kantion, signifiant « assemblée » et « lieu d’ assemblée », parfois « colline »,  qui a donné  céite  en vieil-irois. En dérivation il peut donner  kantinos  et  kantiakos    qui peuvent alterner : le nom de Chancé (35) est écrit Chanceinus  (*Cantinus) en 1107 et  de Chanceio (*Cantiacum) vers 1330.

 

UNE   LIMITE  DE  CIUITAS

Il est clair que le nom de ce pagus est aussi celui de l’actuelle  ville de Quintin, ce qui montre que le pagus s’ étendait au moins jusqu’à son emplacement. Or la commune   de Quintin  a été  constituée autour  d’ un château  à l’ époque féodale. Précédemment existait un  poste militaire (burgim – Supplanté par le château il est devenu le Vieux-Bourg de Quintin).

La commune de Quintin est limitée au nord par le cours du Gouet que l’ on franchit par le Pont de Chiotat. Or le nom de Chiotat est une forme celto-romane issue de latin ciuitatis « de la ciuitas ». Ceci marque  la présence d’ un octroi, sur une  limite territoriale, donc celle séparant  la ciuitas des Vénètes de celle des Coriosolites et indique ainsi que le Pagus Cantinus relevait de la ciuitas vénète.

 

UN  OPPIDUM

La ville actuelle de Quintin s’est constituée au voisinage du château féodal dont le nom, Castrum Novum, indique  qu’ il succédait à une place forte ancienne. La situation stratégique du site, dominant la vallée du Gouet, franchi en cet endroit par la voie de Nantes  à  Lexovia, rend vraisemblable l’ existence ancienne d’ un oppidum celtique. On a vu que le nom de Kentin peut en effet s’ expliquer par le vieux celtique *Kantidunon (latinisé  en  Cantidunum). Cependant  l’ oppidum  celtique  n’ était  sans doute  pas  à  l’emplacement du château   médiéval,  mais plutôt  à  1km au  S-O, à Quénérieux, (du v. breton *Knechrot,  v.celt. *Knokkiorâte « place-forte-sommet »). 

 

LIMITES   

La situation de Plounevez-Quintin et de Peumerit-Quintin, jointe à la recension des circonscriptions anciennes montrent que la limite N-S du pagus était sur la rivière Hyère  (breton Hïer, v. Celtique Isara « la sacrée ») jusqu’ au ruisseau de Kerscaut et suivait celui-ci vers l’ est puis redescendait vers le Blavet pour le suivre jusqu’ à St-Aignan. Elle incluait ensuite Merléac et La Harmoye pour atteindre Quintin et repartir vers l’ ouest en incluant  Magoar et  Pestivien. 

 

SUBDIVISIONS

Les circonscriptions anciennes sont représentées  par Mael (v.Breton *Magil, v.celt  magilon  dérivé de magos, « territoire agraire »), Duaut (v.br. *Dub-Alt « escarpement noir) Plussulien ‘*Ploiv Sulien), Plouguernevel (*Ploiv Corneuill), Pligeau (*Ploiv Itiau, de Plebs Itiaua « plebs céréalière » ). Corlay, situé à l’ origine sur le territoire de  Plussulien, devait être un cantonnement militaire (du celtique *Corio-legon  « lieu de l’ armée ») .Merléac, également subdivision de Plussulien, doit son nom en -ac aux moines  de  l’ abbaye  de  Bon-Repos.

 

 L’ EXTENSION  DES  CIUITATES  DES  VENETES ET  DES OSISMIENS

Ici nous pouvons revenir sur le problème relevé par L. Fleuriot. Les opinions des historiens divergent quant à la limite nord de la ciuitas des Vénètes. certains la situent sur le Blavet, d’ autres la  portent jusque sur  le Gouet. (L.Pape, 1995, 20-30). Le territoire entre le Blavet et le Gouet  et entre  le Blavet et l’ Oust est ainsi attribué par les premiers à  la ciuitas des Osismiens,  alors que  les  seconds l’ attribuent au Vannetais.   (Précisons  qu’ il  s’ agit d’ une limite du quatrième siècle, qui n’ est pas nécessairement la même que 400 ans plus tôt.)  Si l’ on admet que la limite  était sur l’ Oust et le Gouet à l’ époque romaine tardive on s’ explique qu’ un chef-lieu administratif de la ciuitas,  proche de  sa limite nord, Cantium,   pouvait alterner avec Darioritum-Uenetis sur la côte sud. 

Ceux qui situent sur le Blavet la limite de la ciuitas uenetensis  donnent au territoire osismien l’ extension excentrique  qui était celle de l’évêché de Kemper  jusqu’ à la Révolution française. « Cette configuration surprenante a nourri bien des spéculations », écrit E.Vallerie.  Les tenants de l’ explication « osismienne »de la configuration diocésaine admettent  que l’évêché de Corisopitum aurait assumé les limites de  la partie sud-ouest de la ciuitas osismienne. Or cet héritage  est loin d’ être  avérée. Voici l’ éclairage que nous proposons :

 

La création de l’ évêché de Kemper est postérieure à 818.  Lorsque l’empereur Louis, après la mort de Morvan Wledig (« roi Morvan » pour les Francs), prescrivit le rattachement de la chrétienté bretonne à l’ église romano-franque, c’ est l’ abbé de Landévennec qu’ il convoqua pour le charger de la  mission d’ annexion. Or  l’ entrevue de  l’ abbé avec l’ empereur eut lieu à Briec, à  quelques  lieues  de Kemper. S’ il y  avait  eu un évêque en cette ville, Louis l’ aurait  évidemment convoqué. On constate là que  la chrétienté bretonne avait conservé  son  organisation  monacale. Il est patent que Saint-Pol de Léon, comme Dol et Saint-Brieuc avaient des évêques-abbés, et si tous les documents anciens n’avaient pas été détruits en 818, nous saurions sans doute que Landévennec avait aussi un évêque-abbé (ainsi probablement que Loctudi).

 

On sait  aussi  que depuis Pépin le Bref, les Francs avaient occupé le pays vannetais comme « marche de Bretagne » et que de ce fait l’ évêque de Vannes était soumis à l’ archevêque de Tours. Mais l’ occupation franque s’ arrêtait à  l’ ouest à  l’ Ellé et au nord n’ atteignait pas le Blavet. L’ évêché romano-franc de Vannes  n’ avait donc pas d’ autorité sur le Pagus Cantinus qui, pastoralement,  devait relever d’ un abbé-évêque de Landévennec, comme les deux autres pagi du bassin de l’ Aulne.  On a des chapelles dédiées à saint Gwennolé  à Collorec, Locquenole en Plonevez-du- Faou, Elliant, Locunolé,  Gourin,  Langonnet, Priziac, Plourac’h. Lorsque fut créé l’ episcopatus Corisopitensis  celui-ci hérita  des  trois  pagi  de  la  Bretagne centrale  et d’ une partie du Pagus Trans Silvam et  acquit ainsi l’extension  excentrée que  nous lui connaissons. Ceci ne justifie pas l’ attribution du  Pagus  Cantinus à la  ciuitas  des  Osismes.

 

C’ est  à  cette époque, au 9ème siècle, que  fut  forgée  la Vie de saint Corentin. Celui-ci était certainement  honoré localement, à l’ endroit qui devint le siège épiscopal. Il  fut ainsi promu  fondateur d’ évêché. Il est significatif que l’ auteur de sa Vita, non seulement le fait sacrer par saint Martin, ce qui lui donne un sceau romano-franc, mais en même temps il  le confronte à  saint Gwennolé et à  saint Tudy en le présentant comme leur supérieur en face de Martin  Cela relève  de  l’ utilité politique  des Vies des Saints.  Corentin est peu connu dans le Pow Kentin. La paroisse de St-Connan l’ a pour patron manifestement pour marquer la limite de l’ évêché médiéval.

 

D’ après ces considérations de bon sens on peut conclure que le territoire des Osismes s’ arrêtait à la limite du Pagus Cantinus. Ce Pagus faisait anciennement probablement partie de la Cité des Coriosolites, mais au 4ème siècle  il était rattaché à la Cité des Vénètes, sans doute pour des raisons stratégiques ou commerciales.  

 

IMPLANTATION  MILITAIRE

Un  uicus  romain est un « bourg », un quartier qui suppose une activité pratique. Les uici étaient souvent des quartiers d’ intendance liés à des garnisons. Le nom de Corlay – Kor-le  « lieu militaire »  va  dans  le même sens. Cette information  nous ramène vers l’ Historia Brittonum,  là où elle rapporte  qu’ en l’ an 383  des  soldats  bretons de l’ armée de Maxime furent installés  « entre le Cruc Ochideint ( le Méné Hom), le marais au pied du Mons Iouis (le Yeun Eles) et Cant Guic. ».  Cela parait décrire un déploiement de troupes de Chateaulin à St-Brieuc, autrement dit sur une portion centrale du Tractus Armoricanus. Ce déploiement s’ expliquerait du fait que Maxime avait retiré d’ Armorique les troupes maures stationnées dans le Léon et à Vannes qui lui étaient particulièrement attachées. (Zozime, Historia Nova, 4.32). Ces troupes étaient stationnées les unes  dans le Léon  et les autres à Vannes. Elles  se trouvèrent remplacées par des Bretons. Mais les Bretons remplaçant les Maures de Vannes furent cantonnés dans le nord de la ciuitas vannetaise, le Praefectus qui était précédemment à Vannes eut son état-major  à Cantium,  comme l’ indique la Notitia..

Dans le même sens on doit noter que le terme celtique *legon  « lieu », qui a donné le -le de Korle  n’ est pas  attesté en celtique continental. C’ est un mot brittonique apporté par des Bretons.

 

On voit, ici encore, que l’étude attentive des données topographiques et linguistiques des circonscriptions de l’Armorique  à travers les âges apporte des enseignements significatifs pour l’ histoire  politique et religieuse de la  Bretagne.

 

A SUIVRE : Le Pagus Castri – Pow Chaer

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* Ouvrages d’Alan Joseph Raude (linguiste, historien et hagiographe)

 

  • L’origine géographique des Bretons armoricains. Série Etudes et recherches de Dalc’homp Soñj
  • Ecrire le gallo : précis d’orthographe britto-romane
  • Petite histoire linguistique de la Bretagne
  • Introduction à la connaissance du gallo
  • Liste des communes galaises du département des Côtes-d’Armor (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
  • Liste des communes du département de l’Ille-et-Vilaine (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
  • Liste des communes du département de Loire-de-Bretagne (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
  • Liste des communes galaises du département du Morbihan (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
  • La Naissance des nations brittoniques – de 367 à 410 –Ploudalmézeau : Editions Label LN, 2009

À propos du rédacteur Alan Joseph Raude

Linguiste, historien et hagiographe, il a notamment publié des ouvrages sur l'origine géographique des Bretons armoricains et sur l'histoire linguistique de la Bretagne.

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