Vous avez découvert le clip il y a quelques jours. Voici notre avis sur le vingt-deuxième album que vient de sortir le fameux groupe, disque dans lequel la langue bretonne est bien présente, sans oublier le gallo d’un rond de Loudia.
De Tri Yann an Naoned, leur premier album, à « La belle enchantée », nouveau-né, nous retrouvons une évolution certaine. Surfant sur le thème des contes et légendes de Bretagne avec quelques inspirations aux confins du monde, le groupe nous livre un disque bien moderne dans lequel on ressent excellemment l’esprit « Tri Yann » avec une belle orchestration, des paroles décapantes ou poétiques, de la polyphonie, un tout qui donne ce son si personnel.
A ceux qui diront que les Tri Yann changent de style, nous leur dirons que non. Il s’agit d’une réelle évolution mais si l’on plonge dans une certaine modernité sonore, les accents de l’album ne sont pas sans rappeler leurs albums Urba, Anniverscène, le Vaisseau de Pierre, Le Pélégrin, et même Portraits, ou bien évidemment Rummadoù, pour ne citer qu’eux. Ce dernier, sorti pour leurs 40 ans de scène, nous avait donné une approche musicale en pleine croissance.« La Belle enchantée » est dans la fougueuse continuité de celui-ci, mais aussi de leurs 21 disques précédents.
Cet album, dont le premier titre surprend à la première écoute, nous donne à découvrir des contes parfaitement mis en musique. Les notes dessinent et colorent cet univers enchanté. Si, après l’excellent Pélégrin, les albums Marines et Abysses nous posaient question, en nous demandant où allaient les trois Jean (et s’ils ne s’étaient pas perdus sous les vagues de Neptune), Rummadoù nous avait rassuré : les Tri Yann n’oubliaient pas les racines du futur. La Belle Enchantée nous fait part d’une certaine maturité musicale qui, tout en gardant l’aspect traditionnel et les sons médiévaux, s’électrise et dynamise.
Qu’en disent les Tri Yann ?
On retrouvera un air traditionnel et onze compositions du groupe, dont un instrumental, une chanson d’après un petit conte cruel de Alphonse Allais, un hymne à l’amour, reprise d’un conte inuit, dix contes ou légendes inventés par nous-mêmes, histoires joyeuses ou dramatiques d’hier et d’aujourd’hui, une reprise d’un chant épique du Barzaz Breiz où s’ajoutent les voix de Kohann et Clarisse Lavanant, la participation du Bagad de Saint-Nazaire et de son soliste talabarder Vincent Béliard, et Amandine Alcon à la harpe celtique en cerise sur le Kouign amann !
On croisera à ce festin : l’Ankou bien sûr et l’enchanteur Merlin, un marquis félon, une libertine et un ménétrier, une voyageuse de la galaxie, un roi et son saint protecteur, la reine Aliènor, une bayadère et une paysanne, une loutre de velours, un ermite et des soudards, un vieux capitaine, une noyée sauvée d’un sortilège, une girafe chantant le bro-gozh, et bien d’autres personnages, parmi tout le petit peuple qui habite nos rêves, pressés que nous sommes de les faire vôtres.
La musique du titre « L’ermite et le connétable / un miracle de Sainte Anne » – introduit par une brève présentation de ce qu’est la figure de Sainte Anne pour les Bretons – fera certainement penser à Naïk ar bihan, fille follette (Rummadoù) tandis que « Les six couleurs du monde », belle poésie musical, évoquera peut-être à d’autres le très beau conte de Salman Rushdie « Haroun et la mer des histoires ». Pour le rond de Loudia La Bonne fam au courti, en gallo dans le texte, contant des scènes qui pourraient se passer en étable une nuit de Noël, le groupe utilise les programmations actuelles tout comme il usait de ce que la technique de l’époque permettait pour « Anniverscène ». Cela donne un côté légèrement kitsch mais dynamique et audacieux, dans la ligne du titre caché de Rummadoù.
Mais on saisit aussi au fil des interprétations la patte de Konan Mével qui n’est pas sans rappeler les groupes Skilda ou Belshama, notamment dans les nappes synthétiques et les flûtes de The Velvet otter, dans les contrechants musicaux de Far away from Skye ou dans un « Bal des morts-vivants » très électro pouvant certainement passer pour une danse macabre qu’illustrerait à merveille celle de Kernascléden. Nous retrouvons aussi ce style particulier dans « Gavotenn an Hunvreouigoù ». Bon… au niveau du thème musical, on dirait presque « Gavotenn ar Seizh » (Abysses), mais c’est un plaisir d’entendre cette envoûtante envolée qui nous emporte à travers les Montagnes Noires, magnétisés par la guitare survoltée de Jean-Luc Chevalier et la batterie efficace de Gérard Goron.
L’ensemble est agréable à découvrir, et gageons que certaines de ces chansons deviendront des traditionnels de notre patrimoine breton.
Notre préférence ira vers deux titres : le premier est « Sant Efflamm hag ar roue Arzur », dont est brossée totalement en breton la légende dorée de ce dragonslayer porté par le divin. Ce combat d’Arthur contre le dragon est issu du Barzaz Breiz, et est ici admirablement interprété par le groupe rejoint par Kohann et Clarisse Lavanant, et accompagné par les orgues de Fred Bourgeois et la bombarde de Vincent Béliard. Une version française est aussi chantée en final.
Le second est « La Belle Enchantée », titre qui donne son nom à l’album. Le mieux à faire est que vous l’écoutiez, car le groupe, rejoint par le Bagad de Saint Nazaire, ne peut que vous conquérir, vous invitant à réécouter encore et encore ce voyage enchanteur, une belle échappée à travers les contes de Bretagne dont les Tri Yann nous ouvrent les portes avec brio.
Très bien écrit, l’article. Vous dites exactement ce que j’ai ressenti en l’écoutant.