Le débat est récurrent et commence à dater : faut-il dire bretonnant ou brittophone pour désigner les locuteurs de la langue bretonne ? Les deux termes sont utilisés mais n’ont pas la même connotation ni la même légitimité historique.
Le terme bretonnant est fort ancien. Il vient du vieux français bretonner qui signifie parler breton. En gallo, il est devenu bertonner, (du fait de la méthathèse) repris dans d’autres parlers comme le picard où il prend la signification de « bougonner », « grommeler ».
On retrouve sa trace dès le XIVème siècle dans les chroniques de Froissart :
« Avec eux avoit un chevalier bretonnant, fortement vaillant »
(entre nous, cela a plus de classe de parler d’un chevalier bretonnant du XIVème siècle fortement vaillant plutôt que d’un « chevalier brittophone ». On a d’un côté la chevalerie bretonne et de l’autre la bureaucratie standardisée.
Au XVIème siècle, il existait aussi un jeu de mots très populaire qui désignait les bretonnants comme des « bretons tonnants », car ils étaient réputés à l’époque pour leur manque de discrétion et leur côté extravagant.
Le mot bretonnant est un très fort « marqueur identitaire » comme on dit dans le jargon sociologique, car depuis le XIVème, voire le XIIIème siècle, par le biais de la langue française et du gallo, il offre aux Bretons l’idée d’une conscience nationale et d’une communauté linguistique, le fait qu’ils soient différents des autres. Ce qui causera paradoxalement à la fois de la fierté et des complexes au cours des siècles. Jadis, Bro-gall ou Bro-c’hall ne signifiait pas la France, mais le pays où l’on parlait français, et la Bretagne Gallèse en faisait partie.
C’est ainsi qu’au XIVème siècle se forge et s’affirme peu à peu une conscience nationale bretonne, suite à la sanglante guerre de succession. On commence alors à parler de Haute et de Basse-Bretagne, de Bretagne gallèse et de Bretagne bretonnante, avec la conscience émergente d’appartenir à une même nation.
À ce même tournant des XIVème et XVème siècle, l’Angleterre, la France et l’Espagne empruntent le même chemin unificateur : la cour d’Angleterre se met à parler anglais, alors qu’ils ne parlaient que le franco-normand auparavant, les langues d’Oïl commencent à dominer les langues d’Oc en France, et le castillan commence à dominer les autres langues ibériques. Pour l’Allemagne et l’Italie, il faudra attendre le XIXème siècle pour voir naître de semblables mouvements nationaux.
Contrairement aux « anglicisants », « francisants », « hispanisants » « germanisants » qui désignent des élèves apprenant telle ou telle langue qui n’est pas leur langue maternelle, le mot bretonnant désigne à l’origine ceux dont le breton est leur langue maternelle.
Cette vieille et noble dénomination de bretonnant, adoubée par les siècles, est de nos jours remise en question. Depuis les années 2000, certains mettent en avant le néologisme brittophone afin de s’aligner sur les dénominations standardisées : francophone, anglophone, germanophone, hispanophone…
Par exemple, on peut lire sur le très officiel, subventionné et politiquement correct site d’Ofis ar Brezhoneg :
« Le terme « bretonnants » a une acception qui d’une part peut être péjorative et surtout a de moins en moins trait à la langue elle-même (une personne ayant un intérêt très prononcé pour la culture ou la danse bretonne sera souvent qualifiée de « très bretonnante » par exemple).
Le terme « brittophone » est un terme neutre tout comme ses correspondants « francophone », « anglophone », « lusophone », etc. »
Entre nous, je ne vois pas ce que cela a de péjoratif, c’est plutôt un titre de noblesse et de fierté. On peut aussi relever le « terme neutre » qui est tout un programme d’asservissement, car il ne faut pas être patriote : il est interdit d’aimer son pays au risque d’être considéré comme un dangereux nationaliste xénophobe.
À travers ces mots Bretonnant/brittophone, ce sont en fait deux visions de civilisation qui s’affrontent. C’est une question ontologique. On peut trouver une certaine correspondance avec le jargon novlangue importé et traduit d’outre-Atlantique qui nous submerge un peu plus chaque année avec son flot woke empreint d’intersectionnalité inclusive et autres mots-concepts issus de la cancel-culture.
Veut-on une langue (bretonne ou française) hors-sol de citoyens mondialisés et formatés à la sauce start-up nation fabriquée en laboratoire ou bien une langue fleurant bon le terroir ; langue de moines, de guerriers, de paysans, de marins et d’artisans, qui a traversé les siècles, issue du vieux celtique et qui a emprunté au latin et au vieux-français (lui-même issu du latin) une bonne partie de son vocabulaire ?
Derrière ces deux mots s’affrontent la tradition enracinée et le nouveau monde transhumaniste créé ex nihilo.
Les zélateurs du néologisme aseptisé « brittophone » empreints de progrès et de modernité rétorqueront peut-être que cela fait ringard et vieillot de dire « bretonnant », et que maintenant, par glissement de sens, bretonnant signifie « aimant les biniouseries, Théodore Botrel, Brizeux et les pardons ».
Le brittophone sera un simple locuteur qui parlera le breton comme il parlerait le mandarin ou le patois anglo-américain. Une langue – telle une coquille vide – qui véhiculerait les mêmes platitudes de la mondialisation.
Le bretonnant parlera non seulement la langue, mais aimera aussi son pays, sa culture, ses traditions, et assumera totalement son histoire.
Et bien assumons d’être bretonnants et non simplement brittophones. Au-delà d’une question purement technique de locuteur d’une langue donnée, c’est en vérité une question de civilisation et d’identité. Réapproprions-nous la langue de nos vieux pères, aimons notre patrie, nos vieux saints, nos cantiques, nos gwerzioù, chantons le Bro gozh. Laissons à d’autres la mondialisation (heureuse ou malheureuse ?)
Bevet Breizh : hep brezhoneg Breizh ebet!
Article intéressant. Je n’avais pas envisagé une telle dichotomie. Je me suis toujours dit bretonnant , par habitude. Je pensais juste être vieux jeu. Brittophone ne me dérange pas outre mesure. A voir…
Bonjour,
Bretonnante ou brittophone, le breton est ma langue maternelle, ma grand-mère qui lisait et écrivait en breton et en français a eu l’intuition que s’il elle ne m’apprenais pas notre langue, personne ne me l’apprendrais (je suis née en 1957)
J’ai cependant une question de traduction, originaire du trégor , je ne suis pas capable de comprendre, ce que signifie ‘ Pen Mane Bras’ du cote de Belz
Le mot Mane correspond-t’il au mot mené ?
Comptant sur l’aide d’un bretonnant ou brittophone
Kenavo a wec’h all
Anne