CANTIQUES BRETONS, OUTILS DE NOUVELLE EVANGELISATION (2)

Amzer-lenn / Temps de lecture : 9 min

(Rediffusion d’un article du 3/12/2012)

 

Nous vous proposions il y a peu un développement sur le cantique breton, outil de nouvelle évangélisation. Voici la deuxième partie de l’article : Les années post-conciliaires : le « Coup de grâce » , et les signes d’un possible renouveau . 

Plus d’un demi siècle d’idéologie jacobine, de laïcisation devenue synonyme d’un anti-catholicisme quasi viscéral des gouvernements qui se succèdent, vont avoir pour conséquence, et pas seulement en Bretagne, l’effacement des particularismes régionaux, aboutissement des vœux des « Hussards de la République », à savoir éradiquer tout ce qui n’est pas français, dont les langues .

  L’Eglise, jusqu’aux années 1950, était restée en dépit des persécutions (car il s’agissait bien de cela) le dernier bastion de résistance, seule institution où la langue et la culture bretonne avaient encore un droit de cité. Ce dernier rempart devrait suffire à décrédibiliser les tenants de la légende d’une Eglise catholique broyeuse de l’identité des peuples. Mais on sait combien les vieux clichés ont la vie dure, surtout lorsqu’ils sont régulièrement remis en service par des ignorants qui ont en plus un « gros problème » avec l’Eglise, quand ce n’est pas avec Dieu lui-même …

La rupture des années 50 va trouver son prolongement et sa conclusion dans les années post-conciliaires (1965/70). Ces années et les suivantes vont-êtres aussi pour l’Eglise des années de « remises en question », qui vont trop souvent en certains domaines, comme la liturgie, être l’occasion de dérives très dommageables pour la foi et la pratiquefeizhabreiz_couv.jpg religieuse. Pour la langue bretonne à l’Eglise, on peut parler d’une « deuxième rupture ». Ce qui jusque-là avait été préservé va recevoir le « coup de grâce » par une importante innovation du Concile Vatican II, la possibilité pour des raisons pastorales évidentes d’utiliser, dans certaines limites, la langue vernaculaire du pays dans la liturgie .

Nous avons parlé d’un « coup de grâce », comme celui que l’on donne à un condamné, car c’est bien de cela qu‘il était alors question. Cette situation ne fût possible que par une malheureuse et très dommageable interprétation des textes conciliaires sur la liturgie. L’autorisation d’utiliser la ou les langue(s) vernaculaire(s) du pays fût comprise comme une invitation, voir un ordre, à rejeter la langue liturgique de l’Eglise, le latin et le chant grégorien qui lui est intimement lié, mais aussi la langue régionale. Or en ce qui concerne le latin, le Concile dans son article 56 , $ 1 , est très clair à ce sujet : « L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, devra être conservé dans les Rites latins » . Pour le chant grégorien, c’est tout aussi clair :

« L’Eglise reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine ; c’est donc lui qui , dans les actions liturgiques , toutes choses égales d’ailleurs , doit occuper la première place » (article 116) .

Si nous citons le latin et le chant grégorien c’est tout simplement qu’ils ont subi exactement le même sort que la langue bretonne et les cantiques bretons, et le rapprochement entre les deux exclus est fort intéressant. Il est d’ailleurs assez curieux (et ceci est un constat fondé) que ceux qui s’opposent à l’usage du latin, du chant grégorien dans la liturgie, sont à peu près les mêmes qui s’opposent à l’usage de la langue bretonne, des cantiques bretons. Une attitude sectaire et regrettable dû, nous voulons le croire, à l’ignorance d’une culture à laquelle les intéressés sont étrangers, mais qui ressemble trop souvent à une défensive jalouse d’un « petit pré-carré » .

 

Avec l’autorisation du Concile, il s’est posé pour la Bretagne un problème : la langue vernaculaire sera-t-elle le français,1370470366_small.jpg désormais parlé par la majorité d’une société bretonne francisée ou le breton, désormais de moins en moins parlé et compris des nouvelles générations, et des nouveaux paroissiens pas forcément bretons ? 

 Pour l’Eglise et le clergé local, il était évident que pour mener à bien sa mission, être comprit de la majorité de ses fidèles, la langue vernaculaire ne pouvait-être que le français ; nous parlons ici des limites de la Bretagne bretonnante. Et cela nous renvoie à l’argument que nous évoquions dans le premier chapitre,« l’Eglise n’a pas vocation à être un conservatoire des traditions, des cultures, des musiques, des langues si vénérables soient-elles »Argument, nous l’avons vu, en total contradiction avec l’enseignement même des Papes, et à l’examen, irrecevable.

Les années 60 vont voir le milieu rural, qui est celui où le breton est encore le plus parlé, subir des mutations qui vont le bouleverser aussi sûrement que le remembrement va bouleverser les campagnes. Il va s’ensuivre une sécularisation d’un milieu jusque-là assez pratiquant ; ajoutons le basculement générationnel où la transmission de la langue ne s’est plus faite depuis ces fameuses années charnières : les années 50. Le clergé se trouve face à une société déjà fortement débretonnisée.

Mais il y a un autre problème. Si la société civile est débretonnisée, le clergé l’est tout autant. La génération de prêtres qui parlent le breton et étant de culture bretonne est entrée dans sa phase d’effacement progressive. Si dans les années 60/70 ces prêtres sont encore assez nombreux, aujourd’hui nous les comptons sur les doigts d’une main. De plus, depuis les années 50, les séminaires ne dispensent plus l’enseignement du breton, d’une culture bretonne au moins religieuse, et cela nous ramène à la fameuse rupture, il n’est pas exagéré de dire que le clergé breton, c’est à dire par sa culture sous toutes ses formes, n’existe plus aujourd’hui .

On voit donc que la rupture, qui est en fait plurielle, est alors partout. Le « décrochement » de l’Eglise envers la langue et la culture bretonne est d’autant plus regrettable, même si l’on peut en comprendre certaines raisons pastorales, que dans le même temps commençait à s’affirmer les prémices d’un renouveau, notamment grâce à la musique bretonne, d’une culture enfin décomplexée . Paradoxalement, ce sont en parti les héritiers de ceux-là mêmes qui n’eurent de cesse de combattre cette culture, cette langue qui vont désormais s’en faire les chantres, avec hélas une récupération trop souvent entachée des idéologies post-soixante-huitardes dont on peut aujourd’hui en mesurer les ravages, et qui n’hésiteront pas à proclamer une autre « rupture », celle qui de tout temps avait reliée intimement langue, cultures et traditions bretonnes avec la foi, et qui avait été « l’image de marque » du « Mouvement breton » , même dans sa composante « celto-athée » : l’idéal de la devise « Feiz ha Breiz » de l’abbé Perrot avait désormais vécu ! …

 

Cependant, des Bretons, pas toujours bretonnants mais très attachés à leur patrimoine linguistique, musical, culturel qu’il soit profane ou religieux, vont s’investir pour faire valoir les droits de la langue bretonne, de nos cantiques à exister dans la liturgie. Les initiatives, tant au sein d’associations qu’individuelles vont-êtres nombreuses (1). Tous pensent, avec une grande naïveté, que la langue vernaculaire de la Bretagne bretonnante est le breton, et que l’autorisation conférée par le Concile lui revient de droit. Certains vont aller jusqu’à se réjouir de l’exclusion, illégale, du latin et du grégorien, pensant ainsi que la place libérée sera prise par le breton.

Outre que cette espérance était irréaliste, elle était révélatrice d ‘une vue étroite de la liturgie. Ils vont très vite déchanter car la place encore toute chaude du latin allait être prise par le français, et lui seul. Tout au plus, ici et là, suivant le curé et le bon vouloir de « l’équipe liturgique » paroissiale seront concédés quelques cantiques comme une consolation aux nostalgiques d’un monde qui s’efface.

En ces temps de mutations qui affectent aussi l’Eglise en Bretagne et la liturgie, les Bretons semblent une fois de plus avoir de par leur divisions, sinon beleg 1.jpgleur irréalisme, raté en grande partie le coche. Trop ont travaillé à « leur compte », cherchant plus à se faire plaisir qu’à coller aux réalités du moment, à se quereller sur l’éternel problème de l’orthographe, discréditant les travaux du voisin. Il y eut des créations heureuses, d’autres beaucoup moins pour tenter de mettre sur pied un « ordinaire » liturgique en breton, malheureusement trop de compositions musicales s’avérèrent difficilement chantables par les fidèles et correspondraient plus à des chorales. Peu de créations parviendront à s’imposer, et si méritoire qu’elles soient, la qualité musicale en tant que musique sacrée, la qualité théologique des textes laisseront fortement à désirer ; on ira de tâtonnements en tâtonnements, donnant l’impression de permanentes improvisations.

Les « recherches » liturgiques en breton suivront les mêmes chemins hasardeux que les « recherches » en français. Il convient de souligner un point important,  mais qui fâche, ce n’est pas parce que c’est en breton que c’est forcément de qualité, et peu de bretonnants sont enclins à l’admettre . Une messe toute en breton ou certains cantiques bretons peuvent-êtres tout aussi médiocres que le « tout en français ». La langue n’est pas synonyme de qualité, bien d’autres critères sont à prendre en considération pour que d’une liturgie s’exalte le beau, le sacré, et en ce domaine, le moins qu’on puisse dire, que ce soit en breton ou en français, il y a de sérieuses remises en question de la liturgie, telle qu’elle est aujourd’hui, célébrée à faire …

 

 A SUIVRE, 3 ème partie : Chanter et prier sur de la beauté

 1) C’est à dessein que nous ne citions aucun noms d’associations ou de personnes, estimant qu’il y a plus constructif que de faire dans la polémique stérile si affectionnée des « milieux bretonnants » …

À propos du rédacteur Youenn Caouissin

Auteur de nombreux articles dans la presse bretonne, il dresse pour Ar Gedour les portraits de hauts personnages de l'histoire religieuse bretonne, ou encore des articles sur l'aspect culturel et spirituel breton.

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4 Commentaires

  1. Merci pour cet article.
    Intéressant parallèle entre éviction du breton et éviction du latin dans la liturgie.

    Redonnons-leur une place. Maintenant, pour des liturgies ferventes, belles et ancrées dans la foi et la vie, il faudrait être “FLB” (= Français, Latin et Breton). 😉

    Le tout bretonnant n’a plus beaucoup de sens pour beaucoup de paroissiens et cela ne peut se pratiquer que sur quelques pardons.
    Le tout latin, quoique fidèle à la ligne du Concile, est également peu audible, autant par le clergé que par l’assemblée.

    Mais il devient tout de même urgent de retrouver le sens de la liturgie qui ne doit pas être une expression d’un art personnel (plus ou moins maîtrisé). Faisons donc attention à ce que nous chantons, que ce soit en français ou en breton (il y a moins de problème avec le latin).

  2. A-du emaon gant an aotrou Jaouen. Bevent an oferennoù FLB (Français Latinus Brezhoneg) !

    Ar galleg eo ar yezh muiañ komprenet ha komzet gant ar Vrezhoned ha drezi e teuer da intent an Aviel ha d’e liammañ ouzh ar bed tro-dro dimp gant homeliennoù ar veleion. Ar galleg eo ar benveg efedusañ evit prederiañ a-gevret.

    Al latin a zegas braventez e ganennoù skrivet er Grennamzer, meurded ar c’han ha uhelded an hollvedelezh : pep hini, pe vroad e vefe, a c’hell en em harpañ war ar yezh-se ha pedennoù orin an Iliz evit en em lec’hiañ en oferenn, ne vern e-men e vefe-hi lidet war an douar-mañ.

    Ar brezhoneg a liamm an douar hag hon hendadoù ouzhimp. Pediñ a reomp evel ma pede ar re edo amañ araozomp ganti. Dre se e ro ul liv war ar gumuniezh hag ar c’hengred a vez etre an Iliz a stourm hag an Iliz a c’houzañv, ar re vev hag ar re varv. Drezi e krouer ur spered hag a binvidika an Iliz hollvedel dre forzh kinnig pezh a ra kreizig-kreiz hon identelezh.

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