Saint Martin de Vertou est un mal-aimé de l’hagiographie bretonne. On ne le trouve ni dans les Buhez ar Sent de Kemper, ni dans les Buhé ër Sent de Vannes.
Suivant les hagiographes de l’évéché de Nantes, Martin serait né à Nantes, au 6ème siècle, aurait été ordonné diacre par Saint Félix (513-583), aurait été archidiacre de Nantes, puis ermite, et enfin fondateur de l’abbaye de Vertou. Il serait mort en 601, le 23 octobre. On a de lui une vie latine par un moine de Vertou, de la fin du 9ème siècle, et son contenu n’a rien d’assuré.
Comme l’abbaye qu’il avait fondée était devenue bénédictine au 9ème siècle, puis avait été, au 12ème siècle, rattachée à l’abbaye poitevine de Saint Jouin de Marnes, le culte de St Martin de Vertou n’avait plus de promoteur en Bretagne.
Martin, patron d’Arzal et de Marzan
Dans ces conditions, il est remarquable que la paroisse d’Arzal, au diocèse de Vannes, l’ait pour patron. Comme Arzal, au départ, ne faisait qu’une paroisse avec Marzan, c’est la rive ouest de l’embouchure de la Vilaine qui est en cause (le patronage de Pierre et Paul, à Marzan, est évidemment une innovation tardive).
Marzan était écrit Plebs Marzin, Plebs Marsen en 895, et Arzal était écrit Arsal en 1089. On sait qu’en Basse-Vilaine le th du vieux-breton était souvent écrit s (Loth, Chrest. 102). Arzal est donc le nom breton issu du vieux celtique * Artogalos « qui a la vigueur de l’ours » et Marzan en est donc un hypocoristique (forme familière), composé de *Mo-arto-agnos. Il va de soi qu’un latinisateur ne pouvait manquer d’un faire un Martinus.
Arzal et Bernard
La rive de l’embouchure de la Vilaine, à l’opposé de Marzan, est aujourd’hui la commune de la Roche-Bernard, qui doit son nom à un fondateur scandinave du nom de Bjarnhardr, c’est-à-dire « ours fort », autrement dit la traduction de *Artogalos en norois. On y verra d’autant moins l’effet du hasard que la Roche-Bernard est une subdivision de l’ancienne paroisse de Missillac, au 12ème siècle Mirsillac, alias Mersillac en 1419. Ce nom est évidemment dérivé du même radical que Marzan : *Mo-arthal-iac (v.OGBA p157). De la même paroisse primitive faisait partie Saint-Dolay où un village se nomme Martinais (*Martinâcum). Ajoutons à cela que le quartier du château-fort de La Roche est connu sous le nom de Ruicard, qui doit remonter à *An Chruc-arth « la hauteur de l’ours ». Sur quelques 25 kilomètres, à cheval sur la Basse-Vilaine, s’étendait donc le patronage de Saint Arthal.
Etendue du patronage
Il faut y ajouter que le nom d’Arzon, tête de la presqu’île de Rhuys, est aussi un dérivé de arth « ours », à 6 kilomètres de l’île d‘Arz, même nom, tandis que Sarzeau, *Sarthaw, s’explique au mieux par un S– préfixé ( comme dans Scaër, Skrignac) et un dérivé *Art-awos. Saint-Martin-sur-Oust est à 23 kilomètres de Marzan et doit appartenir à cette famille de noms, et c’est sans doute Martin de Vertou qui était le patron primitif de la frairie de Gravessac en Avessac et l’éponyme de Lanarhan (*Lann-Arthan) en Noyal-Muzillac (à 10 kilomètres d‘Arzal). Au sud de la Loire, Arthon, nom identique à Arzon, est à 36 kilomètres de Vertou et à 27 kilomètres de Pont-Saint-Martin.
Si l’on considère que Arzon est à 7 kilomètres de Saint-Gildas-de-Rhuys, on peut noter que Arthon est à 23 kilomètres de la Pointe Saint Gildas et à 10 kilomètres de Saint-Pazanne (Santes Peithenn) une soeur de Saint-Gildas. Comme l’abbaye de Saint-Gildas-des-Bois, à 29 kilomètres de La Roche-Bernard, fut fondée en 1026 par Simon (Sigmund) de la Roche, on a quelque raison de penser que le culte de Saint Arthal-Martin n’est pas sans lien avec celui de Saint Gildas.
Importance de Saint Arthal
Il ressort de cette étude que l’on aurait tort de considérer Saint Martin de Vertou comme marginal dans les cohortes des saints bretons. Il a une place qui n’est nullement négligeable. Il a pu naître en pays vénète (et son nom aurait pu être inspiré par le nom de l’île d’Ars, qui doit remonter au celtique continental, à moins qu’il n’y soit venu de Brittanie, précédent ainsi Saint Gildas.
La renommée de Saint Arzal a pâti de ce que l’on ait fait de lui un homonyme du patron de la métropole tourangelle, de ce que sa carrière se soit achevée dans un évêché où les saints bretons n’avaient pas le premier rang et de ce que son abbaye ait été déclassée au profit de bénédictins poitevins.
Mais si l’on reconnaît les saints fondateurs aux signes qu’ils ont laissé dans les noms de leiux du pays, Saint Arthal-Martin peut à bon droit être mis au rang des fondateurs bretons.
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Ouvrages de l’auteur :
- L’origine géographique des Bretons armoricains. Série Etudes et recherches de Dalc’homp Soñj
- Ecrire le gallo : précis d’orthographe britto-romane
- Petite histoire linguistique de la Bretagne
- Introduction à la connaissance du gallo
- Liste des communes galaises du département des Côtes-d’Armor (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
- Liste des communes du département de l’Ille-et-Vilaine (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
- Liste des communes du département de Loire-de-Bretagne (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
- Liste des communes galaises du département du Morbihan (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
- La Naissance des nations brittoniques – de 367 à 410 –, Ploudalmézeau : Editions Label LN, 2009
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