Il y a quelques années, j’ai eu une discussion avec un prêtre d’origine africaine et d’autres bretonnants, ne comprenant pas pourquoi la langue bretonne n’avait globalement pas droit de cité dans sa paroisse et dans d’autres paroisses bretonnes. Le temps est passé, et je peux donc publier cet article sans crainte que le prêtre soit reconnu.
Ces propos sont d’autant plus d’actualité que certains jacobins dénonce l’usage de la langue bretonne pour représenter la France à l’Eurovision avec la victoire du groupe Alvan & Ahez. Les mêmes qui, à raison, défendront l’indépendance de l’Ukraine face à l’impérialisme russe, se comportent en impérialistes schizophrènes imposant une seule langue pour l’une et indivisible, en faisant fi de sa diversité linguistique.
Quand je vais à Douala, j’attends qu’on parle bassa. Quand je viens en Bretagne, on parle breton. Et si on ne parle pas breton, ce n’est pas normal. […]
Nous reproduisons ici une partie de nos échanges, assez riches pour que chacun y trouve l’utilité d’une telle publication, même si certains de ses propos mériteraient qu’on s’y attarde plus longtemps :
Lorsque les missionnaires sont venus, ils ont parlé nos langues. On leur a alors donné plein de terres, parce qu’ils s’intéressaient à nous. Mais s »ils n’avaient pas parlé en bassa 1, ou dans d’autres langues, ils auraient été renvoyés. Ils respectaient notre identité ! […]
Quand je vais à Douala, j’attends qu’on parle bassa. Quand je viens en Bretagne, on parle breton. Et si on ne parle pas breton, ce n’est pas normal. […]
Nous, les Camerounais, nous parlons français à la télé, à la radio, mais quand je suis chez moi je parle le bassa, un point, deux traits.. J’accouche mes enfants et ils apprennent ma langue. Ils parlent bassa quand ils sont chez moi, et ils parlent français quand ils sont dans la rue, quand ils sont à la télé, à la radio. Donc tu apprends le français pour aller à l’école parce que tu as besoin de diplômes, mais quand je te parle à la maison, tu parles dans la langue de mes pères ! Tu parles le bassa ! Quand je dis la messe, je la dis en bassa. Point.
– Et comment ça se passe pour la messe ?
Il y a les deux langues. La messe en français, c’est à 11 heures ! La messe en bassa c’est à 9h ! Si tu veux la messe en français, tu vas à 11 heures ! Si tu veux la messes en bassa, tu viens à 9h! Ne viens pas demander de mettre la messe en bassa à 11h et la messe en français à 9h car tu cherches les palabres.
– C’est difficile de faire cela en Bretagne. Il y a toujours des oppositions !
Quand je suis arrivé ici [NDLR : en Bretagne] j’ai demandé : « quelle est la messe que l’on dit en langue d’ici ? On m’a dit que tout était en français… c’est très bien, c’est facile. On va dire la messe !
Mais quand on est en Flandres, si vous dites la messe en flamand (il y a le flamand, le gantois, l’anversois, un anversois vous dira « dites-donc, ce que vous avez dit là, c’est pas ma langue ! Ca c’est les gens de Gand, faut aller là-bas ! Et ceux d’Anvers : « vous parlez l’anversois, ou vous foutez le camp ! ». Vous ne parlez pas le flamand, le gantois, l’anversois ? Vous n’avez rien à faire là !
En Bretagne, c’est pareil. Si on ne s’intéresse pas à la langue d’ici, ce n’est pas normal !
– En Bretagne, on nous a brimé. On nous interdisait de parler breton, sinon on était puni ! Beaucoup ont encore des traces de ces brimades en filigrane de leur existence…
Je comprends… Quand je grandissais, on nous avait interdit de parler les langues vernaculaires. Il fallait parler français et quand on te prenait à parler la langue vernaculaire, tu étais sanctionné. Qu’est-ce qui est arrivé ? Après les indépendances, on a dit que c’était très bien, qu’à l’époque de la colonisation, on parlait français, maintenant c’est la langue vernaculaire. Aujourd’hui, chacun parle sa langue, même au bureau.
Ce que je veux dire, c’est que je ne peux pas être breton et en même temps avoir honte d’être breton. Ou je suis breton, ou je ne suis pas ! Il n’y a pas de demi-mesure . Je suis Breton, point ! Parce que je ne suis pas un marseillais ! C’est ce que je dis aux Africains : quand tu es africain, tu es africain. Tu n’as pas besoin de nier ton identité : tu es africain ! Un africain est un africain, il n’est pas blanc ! Tous les africains qu’on a nationalisés [NDLR : naturalisés], je leur demande : alors ton aïeul, c’est qui ?
« Mon aïeul il est dans mon passeport… » m’avait répondu quelqu’un.
Mais un Breton a un enracinement. Je suis Breton, je suis capable de remonter du point de vue généalogique à mon aïeul, à mon bisaïeul. Et tu veux tuer ça ? Pour me faire parler quelque chose qui n’est pas breton ? Ca ne va pas ! …
– Mais dans votre paroisse ?
Je suis recteur à … et j’ai demandé à mes paroissiens : « Mais pourquoi on dit qu’une seule messe ? On m’a dit : « le Père… disait la messe en breton mais les gens ne venaient pas ! » Mais on n’a pas besoin que les gens viennent ! Moi j’ai célébré la messe en flamand : on était 6 ! La vraie chose actuelle importante est que nous puissions développer la culture bretonne qui a une spécificité ! Quand tu es en Bretagne tu es dans la spécificité bretonne. Quand tu es à Marseille, tu es dans la spécificité marseillaise…Marseille, c’est pas la Bretagne : l’alimentation, la culture, les vêtements… Les Bretons ont tort de renoncer à leur culture !
– Oui, mais on viendra dire qu’en affirmant notre identité, on fait du communautarisme, on se ferme aux autres, toutes sortes de banalités qui poussent à l’auto-renoncement !
Je vais te dire … une des difficultés en France est qu’on n’a plus d’identité : un français te dira qu’il est français, un Congolais te dira qu’il est français, un Marocain te dira qu’il est français, un Algérien te dira qu’il est français. Un français « de souche » ne te dira pas ce qu’une marocaine me disait récemment : elle était belge, mais « c’était pour les papiers, et que son cœur était marocain ». Elle avait conscience d’être beaucoup plus marocaine que belge. C’est ce qui arrive aujourd’hui en France. Un Congolais français sait très bien qu’en fait il est congolais : en France, je deviens français parce que j’ai fait dix ans là, mais je suis congolais !
Et le breton n’est pas capable de dire ça ! Et ce n’est pas parce qu’on est capable de s’affirmer, d’affirmer son identité, qu’on se ferme aux autres !
On a tous nos petites patries. On a des langues universelles comme le français ou l’anglais, mais on a nos langues maternelles, celle de l’Eglise qu’est le latin et nos langues de coeur. Pourquoi les mettre de côté ?
Dixit un prêtre africain qui fut en mission en Bretagne. A chacun de se faire une idée sur ses propos, qui remettent quelques points en perspective, à l’instar des orthodoxes roumains de Kerbénéat que nous avions interviewé il y a quelques mois.
1Le bassa (ou basaà) est une langue bantoue parlée par 5% (2 000 000 de personnes) de la population camerounaise, principalement autour de la ville de Dwala et d’Edéa. C’est la langue du peuple Bassa.
Ben voilà: tout est dit….J’ai également connu un prêtre de Côtes d’Ivoire qui lui a fait l’effort d’apprendre les cantiques Bretons. Il me disait: « c’est normal: je suis en Bretagne, j’apprends les cantiques Bretons, et ils sont magnifiques ». Je l’ai félicité, lui précisant que la plupart des Bretons feraient mieux de prendre exemple sur lui….
Ce prêtre est d’une grande culture, tant pour les langues de son pays que pour ce qui est d’ici…Cette grande culture et sa grande Foi lui a valu d’être souvent incompris par des incultes malheureusement trop nombreux….
Que chaque peuple prenne donc conscience de la richesse de sa culture, en restant ouvert aux autres et sans se croire supérieur à l’autre. Une culture qui disparaît, une langue qui disparaît, c’est une bibliothèque et une manière de voir le monde qui s’éteint. Réveillons nous!!!