Déjà 100 ans !
Du 6 au 13 septembre 1924, durant une semaine se tenait à Quimper le Congrès Panceltique qui, comme son nom l’indique, réunissait tous les pays celtes : Irlande, Pays de Galles, Cornouaille, Ecosse, Île de Man. A cette époque, cette appellation était préférée à Interceltique, comme pour le festival de Lorient. Cette réunion de tous les pays celtes n’avait rien d’un festival, rien d’une fête à caractère folklorique, et c’est pour cette raison que le terme Congrès fut choisi. Un précédent : dès les lendemains de sa fondation, le Bleun-Brug créé en 1905 par l’abbé Perrot, abandonnait pour les mêmes raisons la qualification de fête pour lui préférer celle de Congrès. L’explication était simple : l’abbé Perrot entendait créer un mouvement ayant pour objectif de redresser culturellement et spirituellement la Bretagne, de rendre aux Bretons leur fierté, qu’ils cessent d’être complexés. Il ne pouvait donc se satisfaire d’une fête à caractère folklorique, présentant bien davantage une Bretagne du passé que de l’avenir. Il entendait donc travailler sur le long terme, et non sur l’éphémère d’une fête annuelle. Le Congrès Panceltique de Quimper était dans cet esprit. Si le Congrès Panceltique, tout comme le Bleun-Brug réunissaient l’élite bretonne, ils n’en étaient cependant pas moins populaire.
Le Congrès Panceltique de Quimper se voulait avant tout culturel, loin de toute politique. Cependant, les discours en témoignent, les légitimes revendications bretonnes (langue, traditions, autonomies administratives et culturelles) étaient constamment à l’ordre du jour, et malgré tout relevaient aussi de la politique, mais considérée comme étant le souci du bien commun, en l’occurrence celui des Bretons, de la Bretagne. De plus, l’indépendance de l’Irlande était toute récente (1917), et bien des Bretons nourrissaient en leur coeur un sentiment d’envie pour cette indépendance : « Pourquoi eux et pas nous. Ne serions-nous donc pas capables d’obtenir pour la Bretagne ce même droit à l’indépendance, ou du moins à une large autonomie ? », était le leitmotiv qui revenait dans bien des conversations. La majorité des congressistes bretons étaient de sensibilité plutôt régionaliste (façon Marquis Régis de l’Estourbeillon) qu’autonomiste (façon Breiz Atao), encore jeune mouvement politique en recherche d’affirmation, et en 1924 très marginal. Mais, il y avait la crainte, au contact des divers pays, notamment l’Irlande, d’une contamination des esprits, crainte que partageait d’ailleurs, sans trop l’avouer, l’Evêché de Quimper. Crainte qui dans les années 1930-1940 vont s’exacerber au point de rendre conflictuelles les relations entre l’évêque, Monseigneur Duparc, son vicaire général Joncour et les nationalistes bretons, surtout la tendance, pourtant très minoritaire, qui prônait un néo-paganisme celtique, teinté de druidisme fantasmé (1).
DEUX CONGRES, UN SEUL IDEAL : L’ESPRIT CELTE ET CHRETIEN
La caractéristique de ce Congrès Panceltique, comme les Congrès du Bleun Brug, est qu’il s’affiche résolument chrétien, que la foi en est le coeur, et cela malgré la présence de protestants (Pays de Galles), présence qui ne pose aucun problème tant la fraternité culturelle entre Celtes est forte. D’ailleurs, les discours, homélies des différentes personnalités tant laïques que religieuses insisteront tous, sans pour autant faire du syncrétisme, sur cette nécessité de la foi pour le relèvement, la pérennité des pays celtes, et que culture et foi étaient plus que complémentaires, indissociables. A cette époque, tous les pays celtes n’hésitaient pas à revendiquer dans leurs cultures leurs racines chrétiennes. Les nier comme aujourd’hui, ou du moins les affadir, les reléguer dans la sphère privé eut été impensable, même chez ceux qui revendiquaient un druidisme, qui d’ailleurs était plus culturel et philosophique qu’une prétention à le substituer au christianisme. La présence au Congrès de Quimper d’une forte délégation druidique galloise ne posera aucun problème, pas même à l’évêché, pourtant très pointilleux sur cette question (2).
QUAND LE CARDINAL SARAH FAIT … DU PERROT
L’Église, quoi qu’en disent les ignorants, a toujours défendu, protégé les cultures des pays, prônée ce qu’elle appelle l’inculturation, c’est-à-dire qu’il y ait osmose entre la foi et la culture du peuple, dès lors où cette culture, ces traditions n’étaient pas en opposition avec l’enseignement christique. Cette attitude de l’Église, qui se définie comme « Universelle », mais dans la diversité des peuples et de leurs cultures, à ne pas confondre avec « l’universalisme », qui dans une uniformité en est tout le contraire, a été la sienne jusqu’à une date récente, le fameux « tournant » des années 1950-1955.
Les papes, dans leurs Encycliques ont toujours insisté sur cette nécessité absolue d’unir la foi et la culture, conditions essentielles pour que chaque pays soit fidèle à ses racines chrétiennes, y compris l’Europe. Jean-Paul II l’affirmera dans son remarquable livre-testament Mémoire et identité (3).
Le cardinal Sarah, d’origine guinéenne, ancien préfet de la Congrégation pour la Culte divin, une des figures les plus importantes de l’Église d’aujourd’hui, a récemment réaffirmé cette nécessité de considérer « la foi et la culture d’un peuple comme étant liées ». L’abbé Perrot ne cessait de le clamer. Aux séminaristes, religieux, religieuses, et laïcs de l’Ecole Théologique Saint-Cyprien du diocèse d’Obala (Cameroun), le cardinal Sarah le leur rappel :
« Chers amis, foi et culture sont liés de façon indissoluble. Là où l’homme cherche Dieu avec droiture, la culture fleurit, les sciences se développent, la civilisation devient plus raffinée. Benoît XVI avait essayé de la rappeler aux Français dans son discours aux Bernardins. Il avait souligné que la culture européenne était né de la recherche de Dieu. Les moines en cherchant Dieu ont engendré l’architecture des cathédrales comme les meilleurs œuvres musicales ou poétiques. Les universitaires européens l’ont oublié. Et leur amnésie volontaire stérilise leur culture qui se complaît désormais dans la laideur d’un certain art contemporain, ou la remise en cause des fondements les plus solides par le wokisme ».
Cette référence au cardinal Sarah ne nous éloigne pas de nos Celtes de Quimper, bien au contraire. Le cardinal Sarah, sans le savoir, confirme pour notre époque les préoccupations spirituelles, culturelles des congressistes quimpérois de 1924 : que foi et culture soient les deux « Pierres angulaires » de la construction (reconstruction) de l’avenir de leur nation respective.
L’abbé Perrot s’est vu reprocher par certains de ses confrères ou amis, et bien évidemment de ses ennemis d’unir la foi et la culture, d’instrumentaliser la première au bénéfice de la seconde, de prétendre que « rien ne pouvait se faire sans la foi ». Procès injuste, car il ne niait en rien les œuvres de ceux qui travaillaient pour la Bretagne, même en dehors de la foi. Il se contentait de leur affirmer « que sans la foi, les œuvres ne sont rien, car elles sont bâties sur le sable ; elles sont donc éphémères par nature, condamnées à disparaître à peine nées ». Et il avait raison, ne cessant de se référer à l’éphémérité de toutes choses que chante le si beau cantique breton des défunts Tremen ‘ra pep tra ! (Toute chose passe : force, biens, santé, jeunesse et beauté), et que « tout devait se construire en s’appuyant sur la Pierre Angulaire qu’est le Christ ».
Au Congrès de Quimper, la devise de l’abbé Perrot et du Bleun-Brug Feiz ha Breiz (Foi et Bretagne) en était bien la colonne vertébrale, car elle était en soi un programme : et celui de cette semaine du Congrès Panceltique. Sans se lasser, il insistait sur le prima de la foi, et il ajoutait avec humour, qu’il n’ignorait pas qu’on le disait « randonerien » (radoteur) :
« Prenons garde de ne jamais couper la langue, la culture bretonne de la foi, car ce faisant, elles seraient comme deux handicapés, elles seraient semblables à un arbre dont on aurait coupé la racine principale, elles seraient comme la rivière dont ont aurait volontairement tari la source, le dessèchement, la mort s’ensuivraient ».
UNE IMPRESSIONNANTE ELITE BRETONNE
Lorsque nous feuilletons les pages du livre-compte-rendu du Congrès Panceltique (4), nous ne pouvons qu’être impressionné par la richesse de l’élite bretonne, celte de cette époque, c’est comme si nous avions rendez-vous avec les plus grands noms qui ont fait l’Histoire de la Bretagne. Dans les années 1920, la noblesse bretonne est encore influente (5), mais dans cette élite se retrouve aussi toutes les classes sociales, et le monde artisanal, paysan, marin, et surtout ecclésiastique ne sont pas en reste. Il serait évidement fastidieux de citer tous ces noms. Donnons cependant quelques chiffres : pour la noblesse nous trouvons 42 noms, pour le clergé, outre les évêques des départements bretons, 16 noms de prêtres de grande qualité littéraire, musicale, témoignant d’une Eglise dynamique, vraiment bretonne. De même, des noms reconnus viennent du monde rural, artisanal, artistique, de l’enseignement, de l’armée, de notabilités diverses, bien souvent maires ou députés. La présence en nombre de nobles et de prêtres, feront dire aux communistes, aux diverses mouvances de gauche et anti-cléricale, que le Congrès de Quimper est comme le Bleun-Brug une manifestation réactionnaire de petits nobles des campagnes et de curés attachés à leurs privilèges, mais aussi une manifestation déguisée d’autonomistes …
BEAUCOUP DE PROJETS, BEAUCOUP D’ESPERANCE
La guerre de 14/18 a considérablement fait reculer la société bretonne au bénéfice de la francisation. Bien des projets, des réalisations ont été anéantis, et tout est à recommencer ; il y avait de quoi décourager les plus endurcis, les plus motivés. Pourtant, cette année 1924 s’annonce fructueuse en projets culturels, et qui seront très vite concrétisés ; mais d’autres seront, faute de moyens, reportés ou abandonnés. Vingt ans plus tard, la guerre, l’occupation, la résistance, la libération, et surtout l’épuration qui touchera toutes les œuvres bretonnes et les militants en aura raison. C’est cette année là que naît la prometteuse association artistique des Seiz Breur (les Sept Frères), créée par la jeune artiste Jeanne Malivel et René-Yves Creston, et qui regroupe l’élite de l’artisanat breton.
Jeanne Malivel, profondément chrétienne, très sensible à tout ce qui relève de la culture bretonne et celte, a été marquée par l’idéal du Bleun-Brug qui met en avant « la beauté en toutes choses ». La jeunesse embellit tout. A la sortie de cette terrible Grande guerre, elle ne demandait qu’à être guidée par un idéal. Jeanne Malivel surabondait de foi et d’espérance. Elle avait souvent entendu son fondateur citer Dostoïevski : « C’est la beauté qui sauvera le monde ». Oui, mais il y à une condition :que cette beauté soit transcendée par la foi. Collaborant par ses dessins à la revue Feiz ha Breiz, elle pouvait y lire les nombreux appels à la beauté de l’abbé Perrot, et qui fustigeait la laideur :
« La médiocrité, la laideur ne peuvent avoir leur place dans nos fêtes, qu’elles soient profanes ou religieuses. Elles ne peuvent avoir leur place dans nos chants, nos traditions, notre littérature, notre artisanat, notre manière de nous vêtir, nos monuments et nos paysages. Laissons cela à ce qui vient de Paris et des Amériques. Mais, nous Bretons cultivons la beauté. Les Bretons d’aujourd’hui, come leurs ancêtres, ont un droit fondamental à la beauté, car la beauté est dans leur sang, en témoignent celles de nos chapelles, de nos églises, de nos calvaires, de nos fontaines, de nos manoirs, et même de nos humbles fermes paysannes. Mais il y a aussi, la beauté des âmes, des coeurs et des visages. Je veux que la Bretagne soit un océan de beauté, une beauté qui chaque fois qu’elle s’exprimera, sera une louange qui monte vers Dieu et sa Mère, vers Sainte Anne et tous nos saints. »
De tels propos, maintes fois répétés, ne laisseront pas indifférents toute cette jeunesse militante bretonne, et très vite elle va la mettre en pratique dans ses œuvres. Jeanne Malivel écrira : « A tous les enseignements du passé, aux lumières de la Révélation surnaturelle, venaient s’associer le culte des aïeux, de la patrie et de la terre natale. Etre moderne, être novateur, c’était intégrer dans nos aspirations d’aujourd’hui et dans notre sensibilité personnelle l’esprit des métiers, des usages, des vertus, des croyances de l’ancienne France : appuyer notre spontanéité sur les principes et l’expérience des artisans et des maîtres d’autrefois. » (6).
Dans un de ses carnets intimes, elle composera cette prière : « Seigneur, je m’offre à Vous pour travailler à votre vigne ; vous prendrez l’ouvrière que je suis, et vous la formerez pendant qu’elle est jeune encore. Aidez-moi à oeuvrer à quelque chose de bien pour la gloire de votre pays de Bretagne, à qui Vous avez donné une si belle âme. » Dans cette belle prière, nous retrouvons, bien sûr tout l’esprit des Seiz Breur, mais aussi du Bleun-Brug, du Congrès de Quimper, et de l’association An Droellen et plus tard, d’Ololê, de l’Urz Goanag Breiz (mouvement de jeunesse, préfigurant les futurs scouts et guides Bleimor). Le beau, c’est tout l’esprit de ce premier Emsav.
Le Congrès Panceltique de Quimper, dans les diverses allocutions et homélies de ses éminents intervenants, insisteront sur cette beauté indispensable à toute œuvre.
En 1929, l’architecte James Bouillé, qui lui aussi a été marqué par le fondateur du Bleun-Brug, a un vif désir de rénover l’architecture bretonne, mais aussi le sacré dans l’expression de la liturgie. La prière de Jeanne Malivel sera aussi la sienne, celle de son association. Il crée avec d’autres artistes comme Xavier de Langlais l’Atelier breton d’art chrétien (An Droellen), dont la charte affirmera aussi cette soif du beau qui va marquer toutes les œuvres des artistes bretons de cette époque. Un chose frappe, mais qui n’a que très rarement été relevée par ceux qui ont travaillés sur cette grande aventure artistique bretonne des années 1920 à 1944 : le caractère sacré des œuvres, qu’elles soient profanes ou religieuses, toutes possèdent cette transcendance qui les sublime ; nous sommes dans la beauté pure, et c’est l’âme chrétienne bretonne qui se manifeste ainsi, sans retenue, dans la peinture, le dessin, l’architecture, le vitrail, le théâtre, la poésie, la musique, la littérature, les livres, l’artisanat dans tous ses domaines. Tous les artistes reconnaissent que sans la foi et la continuelle référence aux racines chrétiennes de la Bretagne, leurs œuvres auraient été toutes autres …
LA SACRALITE DU COSTUME BRETON
L’âme bretonne se manifeste aussi dans la splendeur de ses costumes. La question de l’avenir des costumes inquiète beaucoup le Congrès, elle est à l’ordre du jour, elle n’est pas considérée comme une question anodine, de folklore, mais comme une urgence. Sébastien Viol, membre éminent du Bleun-Brug, puis le Marquis Régis de l’Estourbeillon font de ce combat, « un combat prioritaire » Ce sujet a passionné Jeanne Malivel et Yves Creston. ils vont tenter de créer une « Mode bretonne » (Giz Breiz), ayant pour objectif de proposer un habillement breton moderne pour la vie quotidienne, qui s’opposerait aux modes venues de Paris. Mais la mort prématurée de Jeanne Malivel (1926), et certains désaccords avec Creston, vont laissé ce projet dans les cartons.
Sur l’insistance du Marquis de l’Estourbeillon et de l’abbé Perrot, le projet sera repris en 1937 par Herry Caouissin, qui crée l’association Giz ar Vro et verra ses premières réalisations êtres présentées au Bleun-Bug de Pleyben la même année. Ainsi, les enfants des écoles catholiques de Plouider, de Tréglamus, du Faouët s’afficheront avec ces costumes. Le caractère sacré du costume breton est affirmé. En aucun cas le costume ne peut être un déguisement, celui qui le porte à obligation de le porter avec dignité. Il est comme le religieux qui porte l’habit, le prêtre qui monte à l’autel revêtu de ses vêtements liturgiques, comme le militaire en uniforme, il est ambassadeur de ce qu’il entend représenter, la Bretagne dans sa beauté identitaire. L’association Giz ar Vro a aussi pour objectif de combattre le laisser-aller dans les costumes (surcharges inutiles, inventions se voulant celtiques, mais étant surtout fantaisistes, et surtout ce désir de modifier les costumes et de les porter tronqués d’un de leurs éléments, comme l’abandon de la veste pour ne garder que le gilet …).
LA GRANDE ABSENTE : LA PRESSE ENFANTINE
Une autre question est à l’ordre du jour, la nécessité de créer une presse pour la jeunesse, car elle est dans la profusion de revues et journaux bretons la grande absente. Les enseignants de la langue bretonne ont conscience que si l’on veut que la jeunesse apprenne et parle le breton, il est indispensable qu’elle y soit initiée dès le plus jeune âge. Il y a bien le petit illustré Arvorig, mais plus que confidentiel, et sans attrait. Il est question donc de le transformer en une revue véritable, mais le problème est l’argent, et les compétences, car écrire et dessiner pour la jeunesse est tout autre chose qu’écrire pour des adultes. L’étude pratique du projet sera confiée à un comité de trois membres. Mais comme pour le projet du Giz Breiz, il restera dans les cartons. Ce sera encore Herry Caouissin qui va le reprendre en 1933, en créant, à la demande de l’abbé Perrot, la revue Feiz ha Breiz ar Vugale (Foi et Bretagne des enfants) qui prenait la suite de la page enfantine de la revue Feiz ha Breiz. Puis en 1940, ce sera la création de l’illustré Ololê qui va connaître un immense succès. Les dessinateurs les plus prestigieux bretons, et d’autres, y collaboreront, ainsi que d’éminents écrivains. Là encore, le mot d’ordre sera la beauté de l’écrit et du dessin pour élever l’esprit, l’âme, l’amour de la langue, de l’histoire de la Bretagne et la foi.
UN EMSAV VISCERALEMENT CHRETIEN
On ne peut comparer le 1er Emsav (1850-1944) avec le second Emsav (1945 jusqu’à nos jours). Le premier fut viscéralement chrétien, en osmose avec l’idéal Feiz ha Breiz. Le second en est l’exacte contraire, on y cultive en tous domaines l’indifférence religieuse, ou une religiosité très progressiste, qui n’est bretonne que par des apparences accessoires, et surtout le festif, ou bien encore la propension à détourner (revisiter) les œuvres les plus prometteuses. Nous n’en sommes pas encore sortis.
LE BRETON, DES LE BERCEAU
La question de l’avenir de la langue bretonne est la question cruciale : quel est son avenir dans la vie quotidienne, dans les familles, à l’école, à l’église ? Les attaques dont elle est l’objet ne sont plus tolérables. Le vœu est émis, à l’unanimité, qu’elle soit enseignée dans toutes les écoles chrétiennes, à défaut d’être dans les écoles de l’État. Qu’aucune opposition ne soit entre l’enseignement du breton et l’enseignement du français, mais que le breton prime, y comprit dans les cours de récréations, et dans l’enseignement de la foi (catéchisme). L’enseignement de l’Histoire de Bretagne et de sa géographie ne sont pas oubliés. Cette question de la langue, au-delà des querelles linguistiques qui animent les intellectuels, fait l’unanimité ; il est urgent de les dépasser.
Le Congrès de Quimper n’omet rien des causes bretonnes, toutes ont leurs urgences. Tous les participants s’entendent à dire que l’âme bretonne a lors de ces journées vraiment vibré, et qu’à l’avenir il faudra bien que les autorités de l’État en tiennent compte ; on verra, hélas, qu’il n’en sera rien. L’esprit de Jean-Pierre Calloc’h est invoqué dans le triptyque « Bretagne, langue bretonne, famille-enfant », car c’est dès l’enfance que se prépare le breton de demain : « Allons au plus urgent qui est d’enseigner la langue bretonne aux enfants. Ceux-là seuls peuvent quelque chose pour son salut … » Pierre Mocaër déclare que « La langue bretonne ne saurait indéfiniment attendre ; Le feu est à la maison ! Notre langue est gravement menacée ! » Et il multipliait les preuves. Monseigneur Duparc désigne alors les personnalités qui seront à même de réaliser le vœu de Jean-Pierre Calloc’h, et cela dans la continuité des organisations déjà existantes : « Brezoneg beo », « Breuriez ar Brezoneg », comme messieurs Loth, Ernault, Vallée, entre autres.
Le théâtre, avec des pièces des abbés Perrot, Job Le Bayon et Rannou connaîtront un réel succès, démontrant ainsi l’importance du théâtre breton dans le renouveau culturel, et une prise de conscience bretonne.
La musique bretonne a aussi toute sa place, car il s’agit de sauver, de transmettre tout un patrimoine culturel inestimable, et qui tend à disparaître avec les anciens, mais aussi sous les coups des musiques parisiennes, des Amériques et des colonies. Il est entendu que c’est dès l’enfance que doit commencer cette éducation musicale, car c’est par la musique que l’on découvre, perçoit le beau, le sacré et l’amour de toutes choses. Les chorales, surtout celles d’enfants, par les chants profanes et cantiques démontreront la richesse inestimable de ce patrimoine, et combien il est important d’initier les plus petits au chant et à la musique, dès l’enfance. Des prêtres n’hésiteront pas à affirmer que le chant breton, avec le chant grégorien, étaient à l’école et à l’église les meilleurs barrages à la francisation, et que le français, en pays bretonnant, ne devait avoir qu’une place limité et contrôlé (cf abbé Mayet). Ces prêtres n’étaient pas sans constater que certains de leurs confrères (et surtout des religieuses) et des laïques, travaillaient à introduire dans la liturgie, les cantiques toujours plus de français. C’étaient d’ailleurs les mêmes qui poursuivaient de leur rage les costumes bretons des enfants à l’école ou à l’église. Monseigneur Duparc, par des mandements, sanctionnera souvent ces prêtres et instituteurs, mais trop souvent, ce sera en vain. Beaucoup d’entre eux prendront, si l’on peut dire, leur revanche dans les années 1950 et suivantes, et c’est en 1955 que le catéchisme en breton cessera d’être enseigné.
LA CEREMONIE DU SALUT AUX DRAPEAUX
Nous ne pouvons citer toute la richesse de ce Congrès exceptionnel, qui le fut, ne serait-ce que parce que plus jamais il n’y aura de Congrès d’un tel esprit chrétien et breton. Les Congrès qui suivront s’affadiront sur ces points, au nom (déjà) d’une « ouverture au monde, aux autres », et pour éviter un « repli sur soi » ; rien de nouveau donc dans la phraséologie, toujours la même, qui excuse tous les abandons présents et futurs, et pose les phraseurs en sages éclairés.. Les élites s’éteignaient chaque année un peu plus, les mentalités évoluaient de plus en plus vite vers une indifférence religieuse suscitée par la laïcisation de la société, les pressions des syndicats, des partis, une soif de modernisme, y compris chez un certains nombre de prêtres, un rejet des traditions qui s’affirmait, et qui cinquante ans plus tard, avec le Concile Vatican II va leur laisser le champ libre pour se livrer au saccage de la foi populaire. L’évolution vers plus de francisation et de laïcisation, l’attrait de Paris, de tous ce qui était étranger à la culture bretonne annonçait, non sans raison, qu’une vague subversive inévitable sur la Bretagne authentique était en route, et que rien ne pourrait l’arrêter. Et pourtant, malgré tout, beaucoup tenteront de le faire durant cette première partie du 20ème siècle, sans parler de la seconde moitié du 19 ème.
Mais ce qui marqua aussi ce Congrès de Quimper, fut la magnifique et profonde « Journée des drapeaux », initiée par le Marquis de l’Estourbeillon. Il ne s’agissait là nullement de folklore, mais par la sacralisation des divers drapeaux des Pays bretons, d’affirmer la Bretagne chrétienne et bretonne. La cathédrale de Quimper, lors de la messe solennelle présidée par Monseigneur Duparc, résonnera comme jamais des chants grégoriens et des cantiques bretons, point de français. Le sermon, de haute volée, sera dit en breton par l’abbé Orven, curé-archiprêtre de la cathédrale :
« Mes Frères, aimons la Bretagne, faisons du bien à la Bretagne, et par là même nous contribuerons au bonheur de la France tout entière. La meilleure manière de servir la Bretagne et la France, c’est de maintenir ce qui a fait la force, la gloire et la prospérité de l’une et de l’autre, je veux dire la Foi ».
Nous voyons bien que dans cet extrait, rien qui invoque un quelconque séparatisme, mais l’affirmation de la seule voie à suivre : Feiz ha Breiz, dont la France serait aussi bénéficiaire. La Bretagne, comme le dira à nouveau Monseigneur Duparc en 1932, à Vannes, avait vocation à « être le phare qui guiderait la France », et comme le disait aussi Jean-Pierre Calloc’h, à être à la pointe de l’Occident, « le cierge qui guide les peuples ». Aujourd’hui, au vu du désert spirituel qu’est aussi devenu la Bretagne, nous pouvons nous poser la question, n’a-t-elle pas raté sa vocation, comme la France « Fille aînée de l’Eglise », reniant les promesses de son baptême, comme l’interpellait Jean-Paul II. C’est bien cette vocation missionnaire de la Bretagne qui préoccupera aussi les Congressistes de Quimper : le culturel devait être le « missionnaire de la foi », et cette affirmation est d’autant plus d’actualité que c’est précisément par le « culturel » (Wokisme) que la foi est détruite, que les identités sont déconstruites, et que le sacré est profané.
Après la messe, à laquelle tous le monde assistait, les centaines de drapeaux bretons de tous les Pays bretons, y compris celui de Gorsedd des druides, vont, escortés de cavaliers en costumes Glazik, prendre place devant la cathédrale, sur la place Saint Corentin, pour leur bénédiction. L’hymne grégorien O Crux Ave est chanté, en référence aux nombreuses croix noires (Kroaz Du) qui sont sur beaucoup de drapeaux (7). Tous les drapeaux s’inclinent, se saluent, y compris envers le drapeaux français présent. Mais voici le moment le plus solennel : « Le serment à la Bretagne », lu d’abord en breton par le barde Taldir Jaffrenou (père du Bro Gozh ma Zadoù), et ensuite lu en français par le Marquis de l’Estourbeillon, que nous donnons ici :
« Devant Dieu et devant les hommes, Bretagne notre Mère ! Terre sacrée et chérie de nos ancêtres ! Terre à jamais vénérée par tes fils et symboliquement représentée aujourd’hui aux pied des Monts de Cornouaille et de l’une de tes plus nobles cathédrales d’où plane sur tes lointains horizons les pieux et glorieux souvenirs de saint Corentin et du roi Gradlon. Nous tous, tes fils respectueux, réunis sous les plis de tes glorieux drapeaux, nous te jurons un éternel amour. Nous jurons de conserver ta foi, ton esprit, tes traditions et ton caractère. Nous jurons de défendre, en toutes circonstances, contre tous et de toute notre énergie, ta langue vénérée, tes mœurs pures et tes costumes nationaux, orgueil de notre Patrie ; Nous jurons de tout faire pour assurer leur sauvegarde, afin de demeurer à jamais nous-mêmes et toujours digne de toi. A cette tâche, que Dieu nous aide ! De toute la force de leur âme, tes fils t’acclament en ce jour : Bretagne à jamais, Breiz da virviken. » (Traduit du breton).
Puis éclatent le Bro Gozh et le Da Feiz hon Tadou koz, considéré comme le deuxième hymne national breton, suivi du Sav Breiz.
Aujourd’hui, certains penseront que tous cela est bien aimable, mais d’un autre temps, que la Bretagne, les Bretons ont su s’affirmer par d’autres moyens, d’autres voies que la foi, et que, laïcisation oblige, c’est bien ainsi. Disons simplement qu’un arbre se juge à ses fruits, mais qu’il n’est pas certains que les fruits actuels de l’arbre Emsav II soient d’un goût si exquis, tant la saveur de la foi ne les a plus fécondés … mais cela relève d’un autre débat. Ce Congrès de Quimper, après la tourmente de la guerre, affirma bien des espérances que toute une jeune génération, avec les anciens, entendait concrétiser dans une Bretagne moderne, tournée vers l’avenir, mais sans rien renier de ce qui fit sa grandeur passée.
A la suite de ce Congrès, les trente années qui suivront seront riches en projets et réalisations. Cependant, avec le recul, il semble avoir été comme le « Chant du cygne » d’une Bretagne qui allait bientôt mourir, mais qui ne le savait pas encore. C’est à cette époque (1925), au lendemain donc du Congrès de Quimper, que l’écrivain académicien, André Chevrillon décrira de manière sublime la fin inéluctable de cette Bretagne croyante, bretonne, inestimable par la beauté et la richesse de son patrimoine, de ses costumes, dans son livre « Derniers reflets à l’Occident » (8)
La leçon à tirer de ce Congrès de 1924, est celle d’une sorte d’examen de conscience de ce que les Bretons d’aujourd’hui ont vraiment fait pour sauver, garder, fructifier, sans altération, le magnifique héritage chrétien de la Bretagne chrétienne et authentiquement bretonne. N’ont-ils pas, malgré des succès incontestables pour la défense de la langue, la musique, des progrès en tous domaines nécessaires pour une Bretagne moderne, négligé, ignoré, rejeté l’essentiel au profit de l’éphémère, du festif, des modes et idéologies négatrices de toutes identités, et fait ainsi de la Bretagne la triste cigale-clone d’une France décadente ? L’abbé Perrot avait anticipé cet avenir, en prévenant :
« Quand le festif aura fini par prendre le pas sur le religieux, il faudra bien se souvenir que c’est pourtant la foi, et elle seule, qui est première, le festif par lui-même n’étant qu’affaire éphémère. »
Le Congrès Panceltique de Quimper en fut tout le contraire, le religieux était premier. Il se voulait être dans la durée. Malheureusement, les forces destructrices des peuples étaient déjà à l’oeuvre, ne désarmant jamais, et aujourd’hui, dans une France, une Europe déchristianisée qui emporte aussi la Bretagne, nous pouvons mesurer notre propre descente, fruit de notre indifférence religieuse, attendant les miettes qu’on daignera nous jetter.
A l’issue du Congrès, que Monseigneur Duparc présida du début à la fin, il déclara :
« Puisse la Bretagne garder sa robe blanche symbolisée par son hermine : Potius mori quam foedari. Dans la paix incertaine dont nous jouissons, je ne lui dirai pas le doux et poétique Kousk Breiz-Izel, mais le viril Sao Breiz-Izel. Lève-toi Bretagne, lève-toi pour le travail, pour la famille, pour le relèvement du Pays, pour le salut de la France par l’esprit breton. Lève-toi pour ton Dieu, pour tes églises, tes écoles, tes congrégations religieuses, pour tes enfants, ton avenir ! Sao Breiz-Izel. »
Ce Congrès fut aussi la preuve que l’on peut être résolument des hommes et des femmes de son temps, sans pour autant se sentir obligé de renier ses racines, sa foi en sacrifiant aux idéologies du moment qui subliment le mensonge, la laideur, l’ignominie, la désacralisation, le déracinement culturel et spirituel. Heureuse Bretagne de ce temps dont ses enfants disaient avec Jeanne Malivel: « Nous voulions passionnément une renaissance de l’esprit national breton, et dans l’ordre et la paix, un renouveau catholique : les églises reconstruites, décorées, fleuries de vitraux ; un art neuf accordé à la liturgie, riche de sentiment et de style, une beauté inconnue des générations précédentes, un règne de l’esprit. ». C’était l’amour d’une beauté qui sauverait le monde », d’une Bretagne, océan de beauté . Tout était dit …
Notes :
1 et 2) Le druidisme avec ses bardes, tel qu’il se pratiquait à cette époque était d’ordre culturel, philosophique, mais sans aucune prétention à s’opposer au christianisme, à l’Eglise catholique. D’ailleurs, la majorité des membres du Gorsedd se diront aussi catholiques. Par la suite, quelques illuminés en délicatesse avec l’Église, le clergé professeront un druidisme hostile à l’Église, et parfois teinté d’un néo-paganisme se voulant celtique, d’où des conflits avec l’Église.
3)Jean-Paul II « Mémoire et Identité. Testament politique et spirituel. Flammarion (2005).
4) Les Celtes à Quimper (6-13 septembre 1924). Compte-rendu du Congrès Panceltique. Edition imprimerie-réunies. A. Bouteloup et Cie. Redon.
5) En 1924, la noblesse bretonne, comme l’Église ont encore une influence, mais déjà leur autorité commence à être sérieusement entamée : la guerre de 1914-1918 a bouleversée la société bretonne, mais aussi ruinée bien des « petits nobles » au profit d’une bourgeoisie beaucoup moins proche du peuple et de l’identité bretonne, elle s’affirme surtout française. Les partis politiques de Paris, les syndicats, la laïcisation participent à cette perte d’influence, qui sera consommée avec la guerre de 1939/45 et la Libération.
6) Jeanne Malivel, une artiste engagée, par Olivier Levasseur. Edition Locus Solus (2023).27 euros .
7) Le Gwenn ha Du, créé en 1923 par Morvan Marchal, ne semble pas avoir été présent à ce Congrès, dans le livre compte-rendu il n’en est pas fait état. C’est en 1937, à l’Exposition Universelle de Paris qu’il va trouver sa consécration, flottant sur le Pavillon de la Bretagne. Malgré cette référence, le Gwenn ha Du sera rejeté par Monseigneur Duparc, l’interdisant lors des Bleun-Brug, d’où des conflits avec les nationalistes, au motif qu’il était le drapeau d’un parti politique prônant le séparatisme, et revendiquant par certains de ses membres un néo-paganisme.
8) Derniers reflets à l’Occident, par André Chevrillon. Librairie Plon (1925).