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« Les trésors de la liturgie pour nos paroisses rurales » : une conférence de Mgr Nault, évêque de Digne

Amzer-lenn / Temps de lecture : 15 min

« Les trésors de la liturgie pour nos paroisses rurales »

Conférence de Mgr Nault, évêque de Digne, aux « Journées Paysannes », Souvigny, 18 février 2018

Tel est le sujet sur lequel les organisateurs des 28° « Journées Paysannes » qui viennent de se dérouler, comme chaque année à pareille époque à Souvigny, près de Moulins dans l’Allier, ont demandés à Monseigneur Jean-Philippe Nault, évêque de Digne, Riez et Sisteron dans les Alpes de Hautes Provence, de s’exprimer.

Et ils ont eu bien raison tant l’ingénieur agri de l’ISARA de Lyon, ancien doyen de Bourg en Bresse et recteur du sanctuaire d’Ars est un spécialiste de la matière, auteur, sous la direction de son frère puîné, Jean-Charles, moine bénédictin, Père abbé de l’Abbaye de Saint Wandrille en Normandie, d’un ouvrage collectif : « l’Eucharistie et le prêtre », actes du colloque d’Ars de février 2000, publiés aux Editions Parole et Silence, 196 pages, 21,40 €.

L’intervention de Mgr Nault s’inscrivait  dans le cadre plus général de la question posée par ces 28° « Journées Paysannes » à savoir : « comment être un chrétien paysan dans une agriculture mondialisée ? », avec pour sous-titre : « cultiver à la lumière de la liturgie », ce qui nécessitait un certain nombre de mises au point de la part d’un spécialiste avant d’être en mesure de répondre plus complétement à la question posée.

Le conférencier qui partageait la vedette avec l’américain Rod Dreher, auteur du livre à succès « comment être chrétien dans un pays qui ne l’est plus ? Le pari bénédictin », titre en français de son livre publié fin 2017 chez Artège, 370 pages, 20,90 €, a brillamment relevé le défi et largement répondu à la légitime curiosité de son auditoire.

Son propos, très structuré, était partagé en deux parties : les repères fondamentaux et la vie liturgique.

Dans son introduction, il nous a renvoyé, pour les définitions, principalement au Catéchisme de l’Eglise Catholique (CEC) qui consacre sa 2° partie à « la célébration du mystère chrétien » (CEC 1066 à 1690) ainsi qu’au livre de Benoît XVI, empruntant son titre à Romano Guardini « l’Esprit de la liturgie » (Cardinal Joseph Ratzinger, Ad Solem, Genève, 2001, 186 pages, 18 € ; Romano Guardini, traduction de l’édition originale allemande de 1918, Parole et silence, Paris, 2007, 118 pages, 14 €)

La liturgie n’est pas la simple procédure qui encadre le fond du droit, ni la pédagogie qui structure l’enseignement, ni même la mise en scène d’un spectacle catharsistique, c’est Dieu lui-même qui vient à nous, là où nous sommes.

Il appartient en propre à la liturgie « d’être à la fois humaine et divine, visible et riche de réalités invisibles, fervente dans l’action et occupée à la contemplation, présente dans le monde et pourtant étrangère. Mais de telle sorte qu’en elle ce qui est humain est ordonné et soumis au divin ; ce qui est visible à l’invisible; ce qui relève de l’action, à la contemplation ; et ce qui est présent, à la cité future que nous recherchons » (Vatican II, Sacrosanctum Concilium, n°2).

Ainsi la liturgie est comme la colonne vertébrale qui va faire se tenir debout une foi qui serait sinon trop souvent désincarnée, vague et éthérée dans une société de plus en plus « liquide », selon le qualificatif du sociologue Zygmunt Bauman (1925-2017) qui décrit si bien ce qu’il veut dire.

Rod Dreher, de son côté, a finement observé que la liturgie est totalement absente de ce qu’il appelle le « DET » (déisme éthico thérapeutique) !

Il existe, par ailleurs, une articulation évidente entre la vie paysanne et la liturgie dont nous avait déjà entretenu, dans les mêmes circonstances, en 1997, sous le titre : « culte, culture, agriculture », Bernard Seillier, alors sénateur-maire de Séverac-le-Château (Aveyron), présent dans l’auditoire avec son épouse Françoise, ancienne députée européenne.

I – repères fondamentaux

  1. Le temps

Une des finalités, et pas la moindre, de la liturgie est de nous faire sortir de nos temps. Elle provoque une déchirure dans le « continuum spatio-temporel » : on est comme présent à l’évènement que l’on commémore, « hapax legomenon » qui est arrivé une fois pour toutes dans le courant de notre histoire humaine et n’arrivera plus jamais.

Monseigneur Nault nous a invité à fermer les yeux pendant la consécration : nous nous retrouvons alors sur le Golgotha, aux portes de Jérusalem, il y a plus de 2000 ans. J’en ai fait l’expérience : j’étais bien 2000 ans en arrière, mais pas aux pieds de la croix, un des petits serviteurs de la Cène, (sans doute la proximité du repas dominical) ; je m’en suis ouvert auprès de lui à l’issue de la messe, il m’a rassuré : « ce n’est pas grave ! ».

  1. La création

 Manifeste à la fois la puissance et l’amour de Dieu : c’est la voie de la beauté contemplée, le chemin qui mène vers Dieu, « la forme qui émerge de la matière » aurait dit Jacques (1882-1973) ou Raïssa (1883-1960) Maritain … (mais je n’ai pas retrouvé les références).

Il faut relire, bien sûr, les deux premiers chapitres du premier livre de la Bible : la Genèse. Et si on applique la méthode de l’inclusion propre à la culture sémitique aux sept jours qu’ont duré la création du monde, le plus important, celui sur lequel l’accent est mis, c’est le quatrième ! Voyons donc ce que Dieu a créé ce quatrième jour.

«Dieu dit : qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour de la nuit, qu’ils servent de signes tant pour les fêtes que pour les jours et les années » (Gn 1, 14) : le temps (chronos) est une créature de Dieu, il marque notoirement le moment (kairos) de la fête ; « il y a un temps (kairos) pour tout et un temps pour chaque chose sous le ciel : un temps pour enfanter et un temps pour mourir, un temps pour planter et un temps pour arracher le plant » nous enseigne un peu plus loin un autre livre de la Bible : l’Ecclésiaste (ou Qohélét, à ne pas confondre avec l’Ecclésiastique ou Siracide, de ben Sirac le sage) au chapitre 3, versets 1 à 8, ce que savent parfaitement les paysans.

Alors, n’oublions pas les jeudis de notre enfance, tués par le « week-end » à l’anglaise, et respectons avec humilité les cycles de la terre comme ceux de la femme !

  1. L’espace

C’est le lieu qui nous est donné à habiter pendant le temps que nous avons à passer sur terre et c’est, potentiellement, la planète terre toute entière, voire même au-delà ! Là où nous sommes nés, où nous nous sommes rencontrés, où nous vivons et transmettons la vie ; c’est le lieu où se manifeste la présence constante de Dieu, même au sein des pires tempêtes. C’est le lieu où nous mourrons : en effet, comme le temps est « fléché », ainsi que le dit si bien Chantal Delsol (https://www.argedour.bzh/a-quoi-tenons-enjeux-culturels-de-lhumanisme-occidental-chantal-delsol/), l’espace est orienté vers une finalité, un « télos » comme disent les grecs et Rod Dreher (son livre, page 148), une « fructuosité » qui peut se résumer dans la joie chrétienne qui « naît de se savoir aimé d’un Dieu qui s’est fait homme, qui a donné sa vie pour nous, a vaincu le mal et la mort ; et c’est vivre d’amour pour lui », nous a précisé le pape Benoît XVI dans son message aux JMJ, le 15 mars 2012.

  1. La rencontre avec Dieu et E) l’Eglise comme médiatrice

Le conférencier est tenu par le temps qui s’écoule (voir ci-dessus A) et ne veut pas déborder sur celui – forcément trop bref – qui lui a été imparti par les organisateurs. Il passe donc, sans plus s’étendre sur les deux derniers points, à la 2° partie de son exposé

II – la vie liturgique

C’est l’ouverture à la vie éternelle, hors, précisément, du champ clos de l’espace-temps, par la participation active à la prière de Jésus-Christ, Dieu fait homme, à son Père.

  1. La et les bénédictions

« Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles, aux Cieux, dans le Christ. C’est ainsi qu’il nous a élus en lui, dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour, déterminant d’avance que nous serions pour Lui des fils adoptifs par Jésus-Christ. Tel fut le bon plaisir de sa volonté, à la louange de gloire de sa grâce, dont Il nous a gratifiés dans le Bien-aimé. » (Lettre aux Ephésiens, 1, 3-6), cité in extenso in CEC, N° 1077 qui se poursuit par le N° 1078 : « bénir est une action divine qui donne la vie et dont le Père est la source. Sa bénédiction est à la fois parole et don (« bene-dictio », « eu-logia »). Appliquée à l’homme, ce terme signifiera l’adoration et la remise à son Créateur dans l’action de grâce. »

A la parole et au don de Dieu, l’homme répond par l’action de grâce et l’adoration.

  1. Le temps sanctifié

En Dieu, le temps qui s’écoule prend tout son sens, ce qui signifie à la fois : sa direction et sa signification.

Les chrétiens savent parfaitement d’où ils viennent : de Dieu, où ils vont : à Dieu, et qui ils sont : des fils et filles de Dieu et leurs « heures » sont sanctifiées par les prières au fil des jours des semaines et des saisons de l’année comme l’est le travail tout particulier des paysans.

Observons combien, à l’inverse de l’islam dont les fêtes sont toutes liées au 9° mois lunaire de Ramadan, les fêtes juives sont réglées sur le cycle solaire de production de la terre. Hanouka, début décembre, voit la fin des labours et des semis, à Pourim on sort bientôt de l’hiver et le grain commence à germer ; à Pessah (pâques), le grain lève, c’est la montaison, cinquante jours plus tard, c’est Chavouôt (pentecôte), l’épiaison ; à Roch-Hachana les récoltes sont engrangées et les vendanges terminées pour Soukkot, la fête joyeuse des tentes.

C’est pourtant l’offrande d’Abel, le « pasteur de petit bétail », qui a été agréée par Yahvé, provoquant ainsi la jalousie meurtrière de son frère Caïn qui « cultivait le sol » (Gn 4, 1-16).

  1. La piété populaire,

« Un trésor de l’Eglise » selon le pape François (messe de clôture des journées des confraternités et de la piété populaire, 6 mai 2013).

« Ici Nous touchons à un aspect de l’évangélisation qui ne peut pas laisser insensible. Nous voulons parler de cette réalité que l’on désigne souvent aujourd’hui du terme de religiosité populaire.

Aussi bien dans les régions où l’Eglise est implantée depuis des siècles que là où elle est en voie d’implantation, on trouve chez le peuple des expressions particulières de la recherche de Dieu et de la foi. Regardées longtemps comme moins pures, quelquefois dédaignées, ces expressions font aujourd’hui un peu partout l’objet d’une redécouverte. Les Evêques en ont approfondi la signification, au cours du récent Synode, avec un réalisme pastoral et un zèle remarquables.

La religiosité populaire, on peut le dire, a certainement ses limites. Elle est fréquemment ouverte à la pénétration de maintes déformations de la religion voire de superstitions. Elle reste souvent au niveau de manifestations culturelles sans engager une véritable adhésion de foi. Elle peut même mener à la formation de sectes et mettre en danger la vraie communauté ecclésiale.

Mais si elle est bien orientée, surtout par une pédagogie d’évangélisation, elle est riche de valeurs. Elle traduit une soif de Dieu que seuls les simples et les pauvres peuvent connaître. Elle rend capable de générosité et de sacrifice jusqu’à l’héroïsme, lorsqu’il s’agit de manifester la foi. Elle comporte un sens aigu d’attributs profonds de Dieu : la paternité, la providence, la présence amoureuse et constante. Elle engendre des attitudes intérieures rarement observées ailleurs au même degré : patience, sens de la croix dans la vie quotidienne, détachement, ouverture aux autres, dévotion. En raison de ces aspects, Nous l’appelons volontiers “ piété populaire ”, c’est-à-dire religion du peuple, plutôt que religiosité.

La charité pastorale doit dicter, à tous ceux que le Seigneur a placés comme chefs de communautés ecclésiales, les normes de conduite à l’égard de cette réalité, à la fois si riche et si menacée. Avant tout, il faut y être sensible, savoir percevoir ses dimensions intérieures et ses valeurs indéniables, être disposé à l’aider à dépasser ses risques de déviation. Bien orientée, cette religiosité populaire peut être de plus en plus, pour nos masses populaires, une vraie rencontre avec Dieu en Jésus-Christ. » (Exhortation apostolique sur l’évangélisation dans le monde moderne, Evangelii nuntiandi, Pape Paul VI, 8 décembre 1975, N° 48).

Lire aussi le document de la congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements : « directoire sur la piété populaire et la liturgie, principes et orientation », décembre 2001.
http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/ccdds/documents/rc_con_ccdds_doc_20020513_vers-direttorio_fr.html

  1. L’offrande sacrificielle

C’est la clef de la rencontre avec Dieu qui nécessite notre participation active, ce qui ne signifie pas agitation : c’est d’une action priante dont il s’agit.

Si la liturgie est « la source et le sommet » de la vie de l’Eglise (Vatican II, sacrosanctum concilium, n° 10), le sacrifice eucharistique l’est de toute la vie chrétienne (Vatican II lumen gentium, n° 11), « sacrement de l’amour » rappelle le Pape émérite Benoît XVI dans son exhortation apostolique post-synodale sacramentum caritatis du 22 février 2007 citant Saint Thomas d’Aquin (Somme théologique III, q. 73, a. 3.)

Le berrichon que je suis resté est sensible à la référence au livre du père Edouard Cothenet, L’eucharistie au cœur des Ecritures, préface du Père Bernard Sesboué, sj, publié chez Salvator, collection « Bible en main », Paris, août 2016, 223 pages, 20 € que m’a offert mon frère, bedeau de la cathédrale de Bourges, et le rédacteur du blog « ar gedour » au récent l’article de son nouveau collègue, Nicholas Lorriman : « l’action eucharistique, dramaturgie sacrée… »

  1. L’adoration et la prière

 Nous l’avons vu, c’est la réponse de l’homme aux bénédictions de Dieu qui le « remplissent de stupeur » comme les témoins oculaires de la guérison du paralytique : « et ils rendaient gloire à Dieu ; remplis de crainte, ils disaient : nous avons vu aujourd’hui des choses extraordinaires » (Lc 5, 26).

A l’exemple des bénédictins et du cardinal Sarah, le silence est adoration : « il semble que Dieu lui-même nous enseigne qu’il attend de nous ce culte d’adoration silencieuse et sacrée ». Cardinal Robert Sarah et Nicolas Diat, La force du silence. Contre la dictature du bruit, préface du pape Benoit XVI, Librairie Arthème Fayard/Pluriel, 2017, n° 231, page 187.

« Je l’avise et Il m’avise » répondait au curé d’Ars étonné, un paysan qui passait des heures entières assis à ne rien faire devant le tabernacle… L’adoration et la prière sont dirigées vers Dieu, Soleil Levant qui nous apprend à nous laisser sanctifier dans l’acceptation de la dépendance à Dieu, le vieux paysan bressan, lui, le savait d’instinct.

Mgr Nault a conclu son propos en insistant sur la nécessité du chapelet dans les chapelles en raison de la médiation de la Sainte Vierge de qui résulte notre engendrement liturgique.

Compte tenu de l’heure avancée de la matinée, le modérateur a tranché pour l’absence totale de questions de la part du public : en effet, la grand-messe pontificale dans l’église priorale de Souvigny ne va pas tarder à sonner et c’est notre conférencier qui la préside.

Il nous l’a dit lui-même : il n’est pas indifférent à l’évêque des Alpes de Hautes Provence d’offrir le saint sacrifice de la messe aux pieds du gisant du 4° abbé de Cluny, décédé en 994 à Souvigny, une des filiales de la grande abbaye. Saint Mayeul, des comtes de Provence, est né vers 910 dans le joli petit village de Valensole, rive gauche de la Durance, transféré de l’arrondissement de Digne les Bains, siège de la préfecture des Alpes de Haute Provence et du diocèse de Digne, Riez et Sistéron, à celui de Forcalquier depuis un récent arrêté de la préfecture de région, daté à Marseille du 16 décembre 2016 pour des motifs sans doute essentiels mais étrangers au sujet traité.

Saint Mayeul a conservé à Valensole ses « drailles », sentiers escarpés qu’il empruntait, devenus au fil des siècles, chemins de transhumance que les habitants de Valensole continuent d’entretenir pieusement.

Merci Monseigneur de votre enseignement, que vos drailles vous ramènent à Souvigny et même au-delà, au pays breton où nous sommes nombreux à vous y attendre.

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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Un commentaire

  1. merci de nous faire profiter de ces précieuses précisions !

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