Nous avons rencontré l’ennemi, et c’est nous (par Ronan Le Coadic)

Amzer-lenn / Temps de lecture : 10 min

Ronan Le Coadic, né à (Saint-Brieuc dans les Côtes-d’Armor le 9 février 1962), est un sociologue breton. Il est professeur de culture et langue bretonne à l’Université Rennes 2. Il mène une triple activité de recherche, de vulgarisation et de bénévolat associatif sur trois thèmes corrélés : l’étude de la Bretagne contemporaine, la conceptualisation des situations minoritaires, et l’analyse des cas concrets de minorités à travers le monde.

Il ne fait pas partie de la rédaction d’Ar Gedour, mais y a aimablement autorisé la publication de ce document, initialement publié sur Academia. Nous avons en effet pensé que cette étude intéresserait nos lecteurs. L’auteur pose des questions importantes et sa conclusion est sans détour, invitation à croire plus en nous : « la langue bretonne a eu, historiquement, plusieurs ennemis. Un ennemi externe, bien sûr, l’État-nation français, qui en partie forgé sur une communion autour de la langue française et sur le monolinguisme. Mais un ennemi interne également : les Bretons eux-mêmes, qui se sont soumis à l’idéologie monolinguiste d’État, ont admis leur état collectif de minorité dominée et ont abandonné leur langue pour sortir de leur condition sociale. À présent, l’État n’est plus dans une posture agressive envers les langues régionales en général. Il se contente de bloquer toute perspective d’évolution institutionnelle. Quant aux Bretons, ils sont en partie les ennemis de la langue bretonne quand ils se laissent aller à l’irréalisme, à l’abattement ou au manque d’initiative. Il est sûr que la langue bretonne a subi d’irrémédiables pertes mais tout n’est pas perdu et les raisonnements en termes absolus sont inadéquats : “the question of success must not be approached in absolute terms (…) but, rather, in functional, contextual or situational terms (…). There is no language for which nothing at all can be done” (Fishman 1991, 12) ». 

Résumé : Les statistiques alarmantes relatives à l’effondrement actuel de la pratique de la langue bretonne contrastent avec les résultats des sondages qui montrent un vif attachement des Bretons à leur langue ; un effet de ciseaux semble donc se dessiner. Cependant, les deux courbes ne représentent pas des réalités de même nature : la courbe de la pratique linguistique révèle des évolutions profondes, en partie démographiques, tandis que la courbe de l’attachement à la langue ne dénote que l’expression superficielle de sentiments. Il convient donc d’analyser plus finement le rapport des Bretons à leur langue, avant de suggérer quelques mesures d’urgence pour tenter d’inverser le changement de langue.

En soixante ans – des années 1950 aux années 2010 –, le nombre des locuteurs du breton est tombé d’un million à 200 000 personnes et, d’ici à la fin de ce siècle, il menace de se réduire à seulement 20 000 personnes. Comment comprendre un effondrement aussi brutal de la pratique de la langue bretonne ? Et surtout, dans quelle mesure peut-on envisager d’inverser ou d’atténuer la tendance ? La thèse du présent article est que si l’État français a joué un rôle majeur dans le changement de langue du siècle dernier, c’est à présent essentiellement d’un sursaut de conscience collective au sein de la société bretonne que dépend l’avenir du breton. Après avoir examiné l’effondrement du breton et la part que l’État a pu y prendre, nous évoquerons l’effet de ciseaux qui se fait jour que depuis quelques décennies et qui est caractérisé par une baisse de la pratique de la langue en même temps qu’une hausse de l’intérêt qu’elle suscite ; ceci nous permettra, enfin, de mettre l’accent sur les perspectives qui se dessinent et sur les pistes d’avenir.

1. Changement de langue et rôle de l’État

La pratique de la langue bretonne s’est effondrée brusquement à partir des années 1950. Comment cet effondrement est-il interprété par les lettrés et par la population ?

1- Joshua A. Fishman écrit : « Le cas des langues menacées (…) est rendu encore plus difficile par le fait que non seulement l’“ennemi” n’est pas reconnu, mais qu’il est même persona grata aux portes mêmes des défenseurs en difficulté (“Nous avons rencontré l’ennemi, et c’est nous !”, comme le soulignait le personnage de bande dessinée Pogo il y a plus d’une génération). », in Can threatened languages be saved ?, Multilingual Matters, 2001, p. 6.

1.1. Un effondrement brutal

1.1.1. La muraille de Chine du breton

Lorsque, à la fin de l’Antiquité et au début du Moyen Âge, les Bretons migrèrent de l’île de Bretagne pour s’installer en Armorique, tous, quelle que soit leur place dans la société, s’exprimaient en breton. Tant que la Bretagne demeura un petit royaume remuant — et parfois conquérant —, sa langue rayonna, même au-delà des frontières bretonnes (Fleuriot 1980, 92). Mais à mesure que la Bretagne perdit en souveraineté et que ses élites se rapprochèrent politiquement et sociologiquement des élites françaises, le breton fut abandonné, du haut vers le bas de la hiérarchie sociale. Le dernier souverain à pratiquer le breton fut le duc Alain IV, dit Alan Fergant, qui régna de 1084 à 1112. Même délaissée par le souverain et par l’aristocratie, cependant, la langue conserva un réel prestige social pendant des siècles (Fleuriot 1987) (Le Coadic 1998, 124). Et surtout, le breton continua d’être employé par la masse de la population rurale de Basse-Bretagne (1) jusqu’au début du XXe siècle.
En 1845, l’historien Pitre-Chevalier décrivait la frontière linguistique comme “la muraille chinoise de l’idiome breton” (Le Gallo 1987, 145). C’est dire si la pratique du breton était répandue dans la population et si elle l’était sans partage, puisque les non-bretonnants, se heurtant à cette “muraille chinoise”, devaient recourir à des interprètes pour se faire comprendre. En 1946, Francis Gourvil estimait à environ 1 100 000 personnes le nombre des locuteurs de langue bretonne, distinguant – approximativement – 100 000 bretonnants qui ignoraient complètement le français, 700 000 bretonnants qui connaissaient le français mais se servaient de préférence du breton, 300 000 bretonnants qui se servaient de préférence du français et 400 000 francisants qui ignoraient complètement le breton (Broudic 2009, 33).

 

1.1.2. Le breton, devenu langue minoritaire

Dans les années 1970, la langue bretonne devient minoritaire en Basse-Bretagne, sans qu’on puisse dénombrer avec précision le nombre de ses locuteurs, faute de questions posées sur la pratique linguistique dans les recensements français, ou de vastes enquêtes sur la question. La première – et la seule – enquête traitant en France de la pratique et de la transmission des langues régionales et étrangères auprès d’un échantillon national de grande ampleur (2) est l’enquête Étude de l’Histoire Familiale réalisée en 1999 (en même temps que le recensement de la population) par l’Insee, avec le concours de l’Ined (3). Elle dénombre 304 000 locuteurs (4) du breton dans toute la France (Héran, Filhon, et Deprez 2002), dont 257 000 dans la région officielle (5) de Bretagne (Boëtté 2003), soit environ 265 000 pour l’ensemble de la Bretagne historique. De plus, elle montre avec précision les caractéristiques sociologiques des locuteurs, en particulier leur âge élevé : “En 1999, trois brittophones sur quatre ont plus de 50 ans, et un sur deux a plus de 65 ans”(Boëtté 2003, 20). La langue est donc en grave péril.

1 – La Basse-Bretagne est la partie occidentale de la Bretagne, où la langue bretonne est  traditionnellement implantée.
2 –  380 000 adultes de 18 ans et plus en France, dont plus de 40 000 en Bretagne.
3 – L’Insee, Institut national de la statistique et des études économiques et l’Ined, Institut national des études démographiques, sont deux organismes publics de nature différente mais qui collaborent étroitement. L’Insee est une direction du ministère de l’Economie et des finances qui emploie plus de 5000 personnes pour produire les diverses statistiques officielles françaises et l’Ined est un institut de recherche d’environ 200 personnes, spécialisé en démographie.
4 –  Par “locuteur d’une langue”, étaient désignées les personnes ayant répondu qu’il leur arrivait de parler cette langue avec des proches. Le champ de l’enquête se réduisait donc aux seuls locuteurs actifs.
5 – La région officielle de Bretagne comprend quatre départements: Côtes-d’Armor, Finistère, Ille-et-Vilaine et Morbihan. Un cinquième département, la Loire-Atlantique, faisait partie de la Bretagne jusqu’en 1941 et son retour à la Bretagne est toujours revendiqué. En 1999, on comptait 0,7 % de locuteurs du breton dans ce département, soit un peu moins de 8000 personnes.

1.1.3. Une langue sérieusement en danger

Le breton est considéré par l’Unesco comme une langue “sérieusement en danger” (Moseley 2010), ce qui n’est guère surprenant, compte tenu des données que nous venons d’examiner. Aucune enquête d’ampleur n’a plus été menée en France sur la pratique et la transmission des langues régionales depuis celle de 1999. Néanmoins, un sondage (1) réalisé en 2007, montre que la chute de la pratique du breton se poursuit à un rythme rapide. Le nombre de locuteurs s’est, en effet, effondré en huit ans de 265 000 à 194 500 personnes pour l’ensemble de la Bretagne historique. En y ajoutant les 11 500 scolaires bilingues de moins de quinze ans, on parvient, certes, à se hisser au-dessus de la barre symbolique des 200 000 locuteurs, avec un total de 206 000 personnes (Broudic 2009, 63-64) ; toutefois, la situation est manifestement très préoccupante. Avant d’envisager l’avenir, il convient à présent de se demander comment on en est arrivé là.

1.2. Les facteurs de l’effondrement

1.2.1. Le rôle de l’État et de l’École républicaine

Les langues régionales ont été combattues par l’État français à partir de l’époque de la Terreur révolutionnaire. Mais il s’agissait surtout de vitupérations au nom de “la plus belle langue de l’Europe” (le français) à l’encontre des “idiomes qui ont perpétué le règne du fanatisme et de la superstition” (Barère 1794), plutôt que d’une véritable politique publique. Il a fallu attendre la IIIe République – souvent magnifiée aujourd’hui pour son progressisme, bien qu’elle se montrât également nationaliste et impérialiste – pour qu’une politique active de lutte contre les langues régionales soit mise en place. L’école républicaine – outre le service militaire, où il était imposé aux jeunes recrues de comprendre et parler français – a été l’instrument essentiel et explicite de cette politique. Quand un enfant était surpris à s’exprimer en langue régionale (dans notre cas en breton), un objet infamant – appelé le “symbole” – lui était imposé. Il ne pouvait s’en défaire qu’en le donnant à un autre élève qu’il surprenait à son tour à parler breton. Et le dernier élève de la journée à porter ce symbole était puni. Comme l’écrit Anatole Le Braz, “on gagnait à ce genre d’espionnage de devenir assez vite un excellent apprenti policier” (Piriou 1971, 30) et surtout, on y gagnait un profond mépris envers sa langue et sa culture familiales. Cette politique a été vivement dénoncée par le mouvement culturel breton, qui en a fait la cause essentielle de l’effondrement de la pratique de la langue bretonne. Est-ce vraiment le cas ?

1 –  Sondage réalisé par l’institut TMO Régions entre le 3 et le 19 décembre 2007 auprès d’un échantillon de 3 109 personnes.

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Références de ce document : Le Coadic Ronan (2015) « Nous avons rencontré l’ennemi, et c’est nous », in E. Durot-Boucé, Y. Bévant et I. Borissova (éd.), Les sociétés minoritaires ou minorisées face à la globalisation : uniformisation, résistance ou renouveau ? Actes du colloque de Yakoutsk, 16-19 octobre 2012, tome 2, Rennes, Tir, p. 223-247.

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8 Commentaires

  1. Il n’y a qu’une solution pour retourner la situation: rendre la langue Bretonne obligatoire et attrayante. A l’école, le Français ET l’Anglais sont obligatoires. Et bien chaque langue « régionale » devrait être obligatoire dans chaque région de France….
    Des exemples réussis de sauvetage des langues: en Israël: l’ Hébreux rendu obligatoire à la création de l’état d’Israel alors que beaucoup de Juifs ne connaissaient plus leur langue. Langue sauvée et moderne.
    Au pays de Galles: langue galloise obligatoire dans l’enseignement en plus de l’Anglais et véhiculant une image jeune (Welsh is fun…): langue sauvée et moderne.
    En côte d’Ivoire: langue de chaque ethnie obligatoire dans l’enseignement en plus du Français, parlées par beaucoup de jeunes.
    Donc, il est possible de sauver des langues, des cultures à condition qu’il y ait une réelle volonté politique. S’appuyer sur le bon vouloir de la population est inefficace car pour beaucoup, il est plus facile de suivre comme des moutons et de ne pas faire les efforts nécessaires…Résultat: ceux qui luttent peu nombreux s’épuisent inexorablement. Alors, prenons exemple sur les pays cités plus haut….connaître le langue Bretonne n’enlève rien à la langue Française. C’est un plus…

    • L’obligation de l’apprentissage de la langue n’est pas suffisant. Voire l’exemple de l’Irlande où le Gaëlique est langue officielle depuis 1937 et où son enseignement est obligatoire. Moins de 5% de la population l’utilise au quotidien, mais il est enseigné comme une langue morte et pour beaucoup son apprentissge relève plus de la corvée, comme le latin est une corvée pour certains collégiens. Si l’on enseigne une langue pour l’enseigner sans la faire aimer et sans la relier à sa civilisation, personne n’aura envie de la parler.
      De même, dans l’enseignement de la langue bretonne, la langue, qui souvent par contre est enseignée de manière bien vivante, on néglige trop l’histoire de Bretagne ainsi que sa culture propre (notamment chrétienne), ce qui en fait une coquille vide calquant ses schémas de pensée sur la sous-culture mondialisée. Ne pas oublier que la langue est un support qui peut faire véhiculer toutes sortes d’idées.

  2. Est-ce que les milliers de torturés, les dizaines de milliers d’assassinés par cette république perverse, dans les colonies, sont aussi des coupables ?
    Un système pervers s’arrange toujours pour culpabiliser les innocents . Nous y sommes, en plein. Les Bretons ont été victimes d’un système pervers d’une agressivité impitoyable, au point que la sidération dans laquelle on les avait plongés ne leur permettaient pas de voir où on voulait les mener : l’abandon total de ce qu’ils étaient.
    Monsieur Le Coadic , ne croyez vous pas que vous participez à la culpabilisation des innocents? Que cette démarche a un nom ?
    La France doit , sans discussion aucune, réparer totalement le mal qui a été fait en Bretagne, et ce à tout point de vue!

    • Avez-vous lu la totalité du document de monsieur Le Coadic ou vous êtes-vous juste contenté de lire la partie de l’article publié sur le site ar gedour ? A la fin de cet article, vous avez le lien vers le PDF. Si vous lisez bien, il pointe un problème réel. Qui empêche actuellement les Bretons d’apprendre le breton et de le transmettre à leurs enfants ? On peut compter sur l’état pour pallier à nos manques (et attendre patiemment qu’un jour des miettes seront lancées), mais si nous-mêmes bretons, ne sommes pas fichus de transmettre à nos enfants, chez nous, ou en inscrivant nos enfants en école bilingue ou immersive, personne ne le fera à notre place. En cela, le Breton est son propre ennemi, en attendant patiemment la voix de son maître !
      On peut toujours se comporter comme une victime et demander des réparations, ou on peut prendre un avenir en main en tenant compte des points de vues divers évoqués ici ou ailleurs,

    • Le propos de M. Le Coadic n’est pas de culpabiliser qui que ce soit, mais d’analyser les raisons de la situation, ce qu’il fait de manière documentée et objective sans tomber dans le subjectivisme Il analyse très bien le rôle de l’Etat français dans cette coupure de la transmission de la langue, mais souligne à juste titre, que de nombreux bretons en sont devenus les complices de facto, non pas de gaité de coeur, mais par fatalisme, conformisme, voire par pragmatisme et opportunisme après d’avoir subi le tranquille matraquage idéologique et la propagande pendant deux siècles, celle qui mélange habilement progrès technique, bien-être- physique et abandon de la langue bretonne ainsi que l’adoption d’un certain standard de vie.

      On peut d’ailleurs dire qu’à ce traitement, les bretonnants ont plutôt bien résisté pendant longtemps : le début des persécutions linguistiques débutant en 1793, le breton s’est plutôt correctement maintenu jusqu’aux années 50.
      Sans compter que même avant les persécutions étatiques (qui n’ont pas d’ailleurs été continues et générales durant un siècle et demi, car cela dépendait de l’idéologie de tel ou tel régime ou gouvernement, et il y en eu beacoup, le breton était déjà depuis des siècles en net recul

      Les raisons en sont nombreuses. Et la préservation, le développement et l’usage de la langue bretonne par L’Eglise y est pour beaucoup. Est-ce l’Eglise qui a abandonné la langue bretonne dans les années 50 ou n’at-t-elle-ci n’a fait que suivre l’évolution linguistique de la société ? Sûrement un peu des deux.
      Plutôt que de voir de manière monolithique la cessation de transmission de la langue bretonne qui s’étale depuis plusieurs siècles, elle est l’addition de nombreux facteurs et l’Etat français n’est pas le seul responsable comme on l’a dit trop souvent. Les raisons diffèrent à l’infini selon les zones géographiques, le breton se maintenant plutôt bien dans certaines zones,
      Dans les années 30, déjà, certaines familles faisaient le choix soit de continuer à parler breton ou soit d’arrêter, et parfois les aînés de la fratrie avaient été élevés en breton et pas les derniers. Les raisons privées sont d’ordre multiples et n’ont pas forcément à voir avec une politique répressive : dans certains coins, les municipalité, le clergé, les enseignants publics comme catholiques n’ont jamais appliqué ou de manière très molle la politique anti-langue bretonne de l’état.
      Et pourtant des familles faisaient le choix du monolinguisme français pour d’autres causes que la persécution linguistique.

      Dans le clergé de Basse-Bretagne ainsi que les congrégations, la position envers le breton était très ambivalente : il était à la fois promu et exalté dans les nombreux ouvrages profanes ou religieux de langue bretonne, glorifié dans les lettres pastorales par les évêques ou devant le pape, mais concrétement, son usage dans la vie paroissiale ou scolaire dépendait de la libre appréciation des pasteurs, des religieux et religieuses en place. On pouvait trouver des recteurs et vicaires qui conservaient farouchement l’usage de la langue bretonne au catéchisme comme lors des prédications et pour chanter des cantiques, quitte à se faire supprimer leur traitement (avant la séparation de 1905), d’autres qui transigeaient entre français et breton et d’autres enfin pour qui il fallait que l’Eglise se débarrasse enfin de ce poids, mais petit-à petit, alors que l’éradication s’est accélérée da,s les années 50 et surtout 60, et cela soit-disant pour l’éducation de nouveaux chrétiens libres et debout, et cela bien avant les mêmes années années 50-60. Les mouvements d’Action catholiques ont eu dès l’entre-deux guerre leur grande part de responsabilité.

      Concernant l’enseignement chrétien, la situation était aussi très ambigue : d’un côté, les évêques défendaient publiquement la langue bretonne et éditaient des recueils de cantiques en breton ainsi que des catéchismes.
      On pouvait avoir des enfants qui allaient à l’école chez les frères ou les soeurs, (qu’importe la congrégations) où il était interdit de parler breton même sur la cour de récré et où les mêmes règles s’appliquaient qu’à l’école laïque, avec même parfois l’usage du symbole (la marque d’infâmie issue des collèges jésuites d’avant la Révolution où il s’agissait à cette époque d’un jeu potache, pour celui qui oubliait de parler latin avec pédanterie)
      Ces mêmes élêves, allaient ensuite au catéchisme de leur paroisse qui était en breton, et à la messedominicale, où le sermon était en breton, aux missions et aux confréries, où les prédications et prières étaient en breton. La schizofrénie de l’Eglise part rapport à la langue bretonne ne date pas d’hier : un coup, le breton est magnifié et obligatoire, un coup il est interdit, grotesuqe et honteux…

      Ces attitudes qui causèrent de grands dommages étaient plutôt le fait d’écoles congréganistes (tenues par des religieux et religieuses, contrairement aux écoles diocésaines tenues par des laïcs chrétiens ou des vicaires instituteurs où le rapprort à la langue bretonne était plus souple, sauf exception…

      Loeiz Herrieu dénonça dans sa revue Dihunamp cet état de fait dans les années 30, et les supérieures des congrégations religieuses enseignantes firent davantage garde à éviter ce genre de méthodes brutales pour les enfants.

      En effet, nombre de frères et de soeurs enseignants ont péché par excès de zèle dans le contexte de la « guerre scolaire » entre l’enseignement public et catholique pour avoir de meilleurs résultats quant à l’apprentissage du français, et ainsi attirer davantage d’élèves qu’à « l’école du diable » et surtout, pour les parents entre-deux, ni laïques, ni cléricaux, hésitants entre école catholiques et publiques, les taux de réuissite au certificat d’étude étaient un excellent argument de décision.

      Cette politique de la part des laïcards comme des catholiques eut tout de même le bénéfice d’une émulation qui pendant longtemps a contribué à des bons résultats scolaires. La langue bretonne y fut malheursement sacrifiée pour des critères idéologiques, statistiques ou financiers.

      A rebours de cette course aux effectifs, à qui appliquerait au mieux les circulaires de l’Instruction publique, on trouve aussi des enseignants qui ont fait discrètement passer avant tout le bien des élèves avant les querelles idéologiques et les statistiques scolaires de la rivalité public/privé.

      Dans des écoles de congrégations, comme dans des écoles publiques nombre d’enseignants, de directeurs, de directrices faisaient la sourde oreille aux directives ministérielles et s’adaptaient à la situation en ignorant les conversations en breton sur les cours de récréation, en répondant aimablement aux élèves quand ils demandaient comment tel mot se disait en français.
      C’était certes plus facile dans les écoles religieuses que dans les écoles laïques davantage soumises à l’éducation nationale.

      Et pourtant, un jeune instituteur laïc breton, idéaliste de gauche, Yann Sohier (1901-1935) sympatisant du PCF, anticlérical agnostique, antimilitariste, mais ami de militaires, à la fois nationalistes français, breton, internationaliste, marxiste, pétri de christianisme, fédéraliste et jacobin à la fois…mais aussi fidèle catholique à ses heures, tenta de s’y employer en fondant en 1933 le bulletin Ar Falz ( la faucille) pour l’enseignement du breton à l’école publique. Dans son esprit, il ne voulait pas laisser le monopole du breton aux « calotins ». Il était toutefois ouvert à tous les courants de bonne volonté pour la Bretagne, la langue et la culture bretonne et savait faire le grand écart, entre les socialistes, le PCF, le parti nationaliste breton jusqu’aux royalistes, aux régionalistes et aux Chrétiens-démocrates et aux catholiques sociaux.
      Il s’est lié d’amitié avec de nombreuses personnalités politiques ou littéraires très opposées plus ou moins sulfureuses chacune dans leur camp : Marcel Cachin, (PCF), le frère de Ploëmel François Uguen, Debauvais et Mordrel, les frères ennemis du nationalisme breton, l’abbé Perrot, les frères Caouissin…
      Sans oublier que c’ést aussi le père de Mona Ouzouf historienne et philosophe.
      Un bel exemple à méditer d’un homme mort jeune (34 ans) qui a su en son temps dépasser les clivages idéologiques pour placer la bonne volonté et l’amitié avant tout pour le bien commun au-delà de toutes contradictions apparentes

      Tout cela pour dire que si l’état français a une part de responsabilité dans le déclin de la langue bretonne, il ne faut pas tout lui mettre sur le dos. Il y a évidemment une part de soumission, mais quand les Bretons arrivent à travailler ensemble au-dela des querelles opersonnelles ou idéologiques, il y a de l’espoir.. Depuis des siècles il y a des Bretons attentistes qui regrettent ou pas de voir mourir leur langue, ceux qui s’y font mollement, tout en étant vaguement nostalgiques, ou ceux qui s’en réjouissent pour passer à la mondialisation heureuse…
      Les subsides de l’Etat ne font pas tout. Sans volonté des Bretons, cela ne sert à rien d’être arrosés de milliards, s’il n’y a pas de fierté de civilisation et de réappropriation de notre histoire et de notre culture, cela ne sert à rien. Et le travail pour la culture et la langue se fait d’abord de manière locale et personnelle, l’état a certes des subventions à fournir au titre d’éventuelles « réparations », mais c’est aux personnes et aux familles d’oeuvrer sans attendre que tout nous tombe de l’état.

      De grâce, on entend assez ces derniers temps les discours pleurnichards de pseudo-minorités, les Bretons valent mieux que cela.

  3. Pour avoir été pendant quatre ans Secrétaire Général de l’AIDLCM (Association Internationale pour la Défense des Langues et Cultures Menacées), pour avoir milité pendant plus de trente ans au sein de l’UFCE (Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes, bref pour avoir été en contact avec la plupart des minorités linguistiques d’Europe, je peux affirmer sans crainte d’être démenti que la France a été et reste, l’ennemi le plus féroce, le plus brutal, le plus déterminé des langues minoritaires en Europe, à égalité avec l’Italie de Mussolini et l’Espagne de Franco.
    Dans ces conditions, que la langue bretonne soit encore parlée est le signe d’une extraordinaire résilience et permet d’affirmer, même si elle doit encore affronter des moments difficiles, elle survivra.
    Qu’il y ait des Bretons mous, suiveurs, opportunistes, défaitistes, c’est évident, mais pas plus qu’ailleurs. Mais quel courage, qu’elle détermination chez beaucoup
    d’autres !
    Un signe encourageant passé quasiment inaperçu :une Bible complète en breton a été publiée en 2018 par les éditions Penkermin. Quand on sait le rôle qu’a joué la traduction de la Bible par Luther pour la langue allemande, celle dite de Gustave Vasa pour la langue suédoise, celle de King James pour la langue anglaise, on ne peut être confiant pour l’avenir de la langue breton ne.
    Marcel Texier

  4. Cela fait 40 ans que je me bat pour la langue bretonne, mes enfants et petits enfants parlent breton. Cela fait beaucoup de travail, de soucis , de prises de responsabilités, d’insomnies, de déceptions, d’argent investi….Quand je vois le travail de géants accomplis par des milliers de personnes anonymes pour maintenir notre langue en vie… Et que cette république perverse, liberticide, fourbe, refuse toute reconnaissance à Diwan, refuse des ouvertures de classes bilingues, envoie des instituteurs bilingues sur des postes monolingues, etc… etc … etc… et qu’ensuite on nous dise que le responsable n’est pas cet état totalitaire au niveau linguistique, et qu’en plus les bretons sont probablement leurs propres ennemis…..trop c’est trop, là vraiment je ne peux plus le supporter!……………

  5. Je suis née en 1956. Ma Grand-Mère, née à Lannion en 1898, parlait breton jusqu’au moment où, à l’école, la langue française a été imposée. Elle racontait que ceux qui s’oubliaient en utilisant des mots de bretons subissaient un châtiment corporel.
    Lorsque nous allions à la messe à Trébeurden (mes souvenirs remontent aux années 1959-1960), les sermons étaient en breton, les cantiques de même, probablement la messe était dite en latin (?).
    Quelques années avant sa mort (Alzheimer), elle s’était remise à parler breton.
    Cependant, cette langue n’ayant jamais été transmise à ses propres enfants, et son mari étant natif de Rennes, donc non bretonnant, notre génération, celle des petits-enfants, n’a jamais appris appris le breton.
    J’aimerais faire l’apprentissage de cette langue, mais je n’ai trouvé aucun club ni méthode qui me permettrait de démarrer en ce sens. J’habite pourtant aux confins de la Bretagne bretonnante, à Mesquer.
    Peut-être faudrait-il faciliter aux non initiés l’accès à des sites ou à des méthodes : soit en ligne, soit avec de bonnes vieilles méthodes ayant fait leurs preuves (Assimil), et dans tous les cas en en faisant une large publicité (ce que permettrait facilement internet de nos jours).

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