Retour sur l’édition 2019 du pèlerinage Feiz e Breizh (1ère partie)

Amzer-lenn / Temps de lecture : 15 min

Les 28 et 29 septembre derniers a eu lieu la seconde édition du pèlerinage Feiz e Breizh, pèlerinage pour la Bretagne. Comme pour les autres pèlerinages et pardons que nous accompagnons (comme le Tro Breiz) nous revenons sur cette seconde édition de ce périple qui, après la première expérience pilote de l’année dernière a vu ce pèlerinage mieux se structurer et commencer à acquérir son identité propre.

Il est apolitique et ouvert à toute personne de bonne volonté dans le respect des fondamentaux du pèlerinage : Mission, tradition, patrimoine, la foi catholique et son rayonnement par la liturgie selon la forme extraordinaire du rit romain et la culture bretonne (notamment l’usage de la langue bretonne et des cantiques bretons). Uisant Er Rouz y était présent et témoigne de son expérience de pèlerin tout en donnant quelques jalons historiques, géographiques et hagiographiques sur les lieux traversés. Son témoignage sera proposé en deux parties.

Lodenn gentañ : A Wennin betak Bihui Lannvaos

Première partie : de Guénin jusqu’à Bieuzy Lanvaux

Le départ de Guénin : Saint Guénin et son église

Dès avant les premières lueurs de l’aube, les pèlerins commencent à se rassembler devant l’église de Guénin.

Statue de l’église saint Guénin

Celle-ci est dédiée au saint patron éponyme de la paroisse : saint Guénin, -sant Gwennin en breton-10ème évêque de Vannes au VIIème siècle. Un saint évêque qui n’est donc pas de la première génération des saints fondateurs des Vème et VIème siècles, mais un continuateur de leur oeuvre évangélisatrice. On sait peu de choses de lui, sinon qu’il n’est pas né Outre-Manche, mais à Malestroit. Il fait donc partie des descendants des Bretons d’Outre-Manche qui ont fait souche en Bretagne continentale. Il est aussi honoré à Locquénin (commune de Plouhinec, Morbihan, qui possède deux paroisses) où il est titulaire de l’église ainsi qu’à la chapelle saint Guénin de Plouray (diocèse de Vannes)

 

La gracieuse petite église de Guénin, bâtie dans l’harmonieux style classique des XVIIème-XVIIIème siècle propre à de nombreuses églises et chapelles du centre du vannetais, fut bâtie en une seule année, prouesse technique à l’image de la foi ardente des paroissiens de l’époque et qui faisait leur fierté. Sur le mur sud, près du portail, on peut lire inscrit dans la pierre :

 

 “1773, CETTE EGLISE A ETE BATIE DU TEMPS DE M JEAN GUYOMARD TRESORIER. LA PREMIERE PIERRE FUT POSSEE LE 13 AVRIL ET ELLE FUT BATIE EN UN AN. PRIEZ DIEU POUR VOS PERES”.

Elle a été bénie le 13 mars 1774, soit un mois avant la date anniversaire du début des travaux !

église saint Guénin, 1773 (photo : mairie de Guénin)

 

La colline sacrée du Mané Gwenn

Le bourg de Guénin se situe au pied de la colline sacrée du Mané Gwenn (Montagne Blanche en breton) qui culmine à 155 m d’altitude. Elle est ainsi nommée car en 1300, elle fut éclairée pendant plusieurs jours par une aurore boréale.

Cette colline, à l’instar d’autres collines sacrées en Bretagne était déjà un lieu de culte bien avant la christianisation de la Bretagne, quand saint Michel a remplacé le dieu Bélénos en des lieux où la terre se rapproche du ciel. On peut aussi citer le Menez Hom, le Mont saint Michel de Brasparts, le Menez Bre, le Mont Dol, le Mont Belair ou le Mont saint Michel. Au sommet du Mané Gwenn, on trouve d’ailleurs un rocher creusé, supposé autel de sacrifices païens…

Le Mané Gwenn a donc été dédié à saint Michel ainsi qu’à la Vierge Marie depuis fort longtemps, c’est pourquoi on y trouve deux chapelles : une dédiée à la Vierge (N.D du Mané Gwenn) au pied de la colline et une dédiée à saint Michel au sommet.

 

La colline sacrée du Mané Gwenn à Guénin (photo : mairie de Guénin)

Le mell benniget

La chapelle saint Michel au sommet du Mané Gwenn (photo : mairie de Guénin)

On trouvait jadis dans la chapelle Saint Michel comme dans la sacristie de l’église saint Guénin un mell benniget. L’utilisation de cette pierre ronde que l’on retrouve dans de nombreux lieux de Bretagne, mais aussi dans les Îles britanniques est sujette à controverse. En effet, mell benniget peut se traduire soit par « maillet béni » soit par « boule bénie » selon que le mot mell soit au masculin ou au féminin. Certains folkloristes en mal de sensationnel ont interprété l’usage du mell benniget comme un instrument barbare d’euthanasie pour fracasser les crânes des vieillards vivants trop longtemps. Cette interprétation est il est vrai due aux plaisanteries –certes de mauvais goût- que les Bretons eux-mêmes proféraient sur le fait de fracasser les crânes des agonisants à coups de mell benniget et que les proto-ethnologues du XIXème siècle prenaient pour argent comptant . De nos jours, on entend encore bien des contre-vérités à ce sujet.

Le mell benniget de Locmeltro, paroisse de Guern (photo paotred tro Locmeltro)

En réalité, il s’agit d’un geste très ancien antérieur au christianisme qui visait à accompagner l’âme du mourant dans l’au-delà en lui imposant un objet sur le front, soit ce boulet de pierre, soit un maillet en bois, soit une quenouille, soit une hache préhistorique en pierre polie dont on trouvait beaucoup d’exemplaires en Bretagne.

Ce rite « de la bonne mort » n’était donc pas une euthanasie sauvage mais une préfiguration de l’extrême-onction qui est restée bien vivante en certains lieux jusqu’au début du XXème siècle avec la bienveillante complicité du clergé paroissial.

 

Les pèlerins se mettent en route vers sainte Anne.

En ce matin du 28 septembre, c’est sous la triple protection de saint Guénin, de saint Michel Archange en la veille de sa fête et de N.D du Mané Gwenn que les pèlerins reçoivent la bénédiction de Dieu en même temps que leurs bannières avant de se mettre en route vers sainte Anne, le grand sanctuaire de leur bonne patronne.

Bénédiction des bannières dans l’église saint Guénin avant le départ.

Les pèlerins marchent en chapitre, à l’exemple du pèlerinage de Pentecôte de Paris-Chartres.

Le chapitre est un groupe de pèlerins, venus d’un même lieu et placé sous le patronage d’un saint, qui a son autonomie propre.  Pendant la marche, la méditation du Rosaire alterne avec des temps d’enseignements sur la foi en général ou sur la foi telle qu’elle est vécue en Bretagne, ainsi qu’avec des temps de discussions fraternelles, des cantiques et des chants profanes en français ou en breton.

 

 

Chanter et faire chanter en breton

La marche en chapitre

Le fait de faire chanter en breton à des pèlerins qui ne parlent pas cette langue dans leur grande majorité est un pari. En effet, sur à peu près 200 pèlerins, moins de 10 parlaient le breton ou le comprenaient.

Il n’est certes pas nécessaire d’être bretonnant (qui signifie locuteur du breton et non amateur de la culture bretonne) pour chanter en cette langue, mais cela demande de la patience, de la pédagogie dans la présentation ainsi qu’une certaine dose de bonne volonté de la part des néophytes.

Pour cela, si un choix assez large de cantiques est proposé dans le livret, une sélection plus réduite est faite pour ceux qui sont chantés lors des messes ou des temps de prière. Il s’agit des cantiques les plus simples d’apprentissage tant sur le plan de la mélodie que des paroles ainsi que des plus connus. À cet effet, des enregistrements ont été mis en ligne pour que les fidèles puissent les avoir dans l’oreille en amont. De plus, la traduction est toujours inscrite dans les livrets afin que chacun comprenne ce qui est chanté, et l’on n’hésite pas à reprendre plusieurs fois certains cantiques, car c’est à force de les entendre et de les chanter qu’on les mémorise, exactement comme le chant grégorien. Et pour cause, lors de cette seconde édition, les cantiques bretons ont été davantage repris par l’assemblée que l’année dernière. Pour ceux qui n’osent encore se lancer, ils peuvent toujours suivre et méditer la richesse doctrinale de la traduction tout en écoutant la musique de la langue ainsi que les  magnifiques mélodies.

 

L’arrivée à la Chapelle Neuve.

Après une matinée de marche, les pèlerins arrivent à midi à la Chapelle Neuve pour la célébration de la messe dans l’église N.D de la Fosse (déformation du breton Intron Varia er Fons : N.D de la fontaine). Cette paroisse, relativement récente (1847) est un démembrement de la paroisse de Plumelin. Son nom « Chapelle Neuve » (Er Chapél newé en breton) vient du fait qu’elle fut entièrement reconstruite au XVIème siècle. Elle fut complétée au XVIIIème siècle par le clocher-porche. À l’intérieur, se dresse le majestueux et hiératique retable de l’Assomption de la Vierge (XVIIIème siècle)

Messe solennelle dans l’église N.D de la Fosse à la Chapelle Neuve

La messe solennelle célébrée selon la forme extraordinaire du rit romain est occasion de reprendre des forces physiques et spirituelles. Dans son sermon (cf ci-dessous), l’abbé Brieuc de La Brosse, de l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre, originaire de Trédarzec dans le Trégor, fait le parallèle entre la vie de saint Wenceslas, roi de Bohème et martyr honoré en ce jour par l’Église universelle, avec nos saints bretons en trouvant de nombreuses similitudes. Tout au long de la messe, le grégorien alterne harmonieusement avec les cantiques bretons et la prédication en français.

 Après les nourritures célestes, vient le temps des nourritures terrestres et du repas convivial. Puis les pèlerins reprennent leur marche avec une halte à la belle chapelle de Locmaria (le lieu de Marie), dont les parties les plus anciennes remontent au XIème siècle. Pour mémoire, Locmaria est l’un des toponymes les plus répandus en Bretagne, on en trouve plusieurs centaines.

feiz é Breizh
Halte à la chapelle de Locmaria (paroisse de la Chapelle-Neuve)

À la reprise de la marche, les montées se font plus raides, car on entre dans les Landes de Lanvaux, crête schisteuse et granitique s’étendant d’ouest en est sur 70 km, de la forêt de Camors au pays de Redon et culminant à 175 m de hauteur, pour une moyenne de 4 km de largeur. Ces Landes n’en portent plus maintenant que le nom, car elles ont été massivement plantées d’arbres – principalement des conifères – à partir du XIXème siècle, ce qui a fortement changé leur aspect. Ce massif forme la limite naturelle entre le littoral (l’Arvor en breton) et l’intérieur (l’Argoed) de toute la partie est du Morbihan. Ces landes furent pendant la Révolution un repaire et un bastion de la Chouannerie.

C’est à l’extrémité ouest de ces Landes de Lanvaux que les pèlerins feront halte, à la maison N.D de Fatima tenues par les soeurs Coopératrices du Christ Roi.

 

L’arrivée pour le bivouac du soir à la maison N.D de Fatima

En fin d’après-midi, après être passés devant la chapelle saint Mériadec, autre évêque de Vannes ayant vécu au VIIème siècle (14ème évêque) les chapitres parviennent enfin après 26 km de marche à Bieuzy-Lanvaux, du nom de saint Bieuzy ( Bihui en breton) disciple de saint Gildas de Rhuys. Il eut le crâne fendu d’un coup d’épée par un seigneur irascible qui refusait d’attendre la fin de sa messe dans son ermitage de Bieuzy-les-eaux pour que le saint guérisse ses chiens atteints de la rage. Celui-ci se mit alors en chemin, l’épée toujours plantée dans son crâne et fit halte à l’endroit qui porte aujourd’hui son nom à Lanvaux avant de mourir à l’abbaye de Rhuys dans les bras de son maître saint Gildas.

Non loin, se dressent quelques ruines de l’ancienne abbaye cistercienne de Lanvaux, fondée en 1138 conjointement par les moines de l’abbaye de Bégard (dans le Trégor) et le baron Alain de Lanvaux. Le premier abbé en fut Rouaud, qui sera élu cinq ans plus tard 42ème évêque de Vannes en 1143. Il resta malgré cela abbé de son monastère tout en étant évêque à la manière des saints fondateurs bretons. Il mourut à Vannes en 1177 en odeur de sainteté. Son titre de bienheureux est interne à l’ordre cistercien, car celui-ci était réticent quant aux canonisations de ses moines, même si après sa mort, il fut entouré d’une grande vénération populaire.

Les pèlerins arrivent donc à la maison N.D de Fatima pour installer le bivouac. Cette maison (anciennement N.D des Pins) était à l’origine un orphelinat fondé en 1885 par un banquier, M. Guilloteaux, pour les enfants des marins péris en mer. La chapelle achevée en 1895 était primitivement dédiée à sainte Marcelle, du nom de la sainte patronne de sa fille, morte de chagrin après que son mari eut lui-même péri en mer. Cet orphelinat, qui a fonctionné jusqu’en 1957 a eu pendant plusieurs années comme aumônier l’abbé Pierre Le Goff, restaurateur du breton vannetais et co-auteur avec l’abbé Augustin Guillevic de la grammaire bretonne du vannetais qui a normalisé l’orthographe et la grammaire du dialecte.

En 1962, l’orphelinat désaffecté et toutes ses dépendances fut racheté par quelques pieux laïcs du pays et confié aux Coopérateurs Paroissiaux du Christ Roi, congrégation fondée en 1928 en Espagne par le P. Vallet afin des prêcher les exercices de saint Ignace. Il fut alors solennellement placé sous le patronage de N.D de Fatima.

 

La veillée

Veillée au bivouac de Bieuzy-Lanvaux

Après le montage des tentes et le repas du soir, résonne l’appel à la veillée : le vieux chant des bergers bretons qui se hélaient entre eux pour appeler leurs troupeaux : Ololê, eh oh !…

Le nom de ce chant fut repris en 1940 par les frères Herri et Ronan Caouissin comme titre d’un journal illustré pour la jeunesse bretonne.

La veillée, préparée et animée par le chapitre de Quimper est dans la droite lignée des anciennes veillées bretonnes (les filajoù) où l’on aimait tour à tour à lire la vie des saints (Buhez ar Sent en breton) et à se divertir. Elle est aussi dans son style un héritage direct des veillées des scouts Bleimor, mouvement de scoutisme breton fondé par Perig Keraod en 1946 pour les jeunes Bretons de Paris.

Le thème de cette veillée est la vie de saint Salomon (Salaün en breton) roi de Bretagne (vers 810-874) qui fit commanditer le meurtre de son cousin le roi Erispoé, fils de Nominoë, afin de monter sur le trône de Bretagne. Son règne fut certes brillant, car il fut protecteur de son peuple contre les Vikings et les Francs, il rendit son pays riche et prospère tout en l’agrandissant, mais tout au long de sa vie, son crime fratricide le hanta et il fit rude pénitence devant Dieu afin de racheter ses péchés et finit lui aussi assassiné par des membres de sa famille.

La veillée a dévoilé avec talent de manière ludique et plaisante la vie de Salomon, de son accession au trône dans le crime jusqu’à sa propre mort dans le sang. Lors de cette veillée hagiographique, les ombres chinoises ont alterné avec la danse bretonne, les cracheurs de feu, les tours de magie et un mémorable tournoi de tir à la corde.

Pour la transition avec le temps de la prière final, fut chantée la belle berceuse Kousk, Breizh-Izél, oeuvre de l’abbé Le Maréchal, enfant du pays, de son nom de plume Bleiz Lann-Vaos (le Loup de Lanvaux) .

La veillée s’est close par la bénédiction de Dieu donnée par l’abbé d’Anselme, recteur de saint Patern de Vannes et aumônier du pèlerinage, en présence d’une relique de sainte Anne, avant de se rendre silencieusement à la chapelle à la lueur des flambeaux pour le salut du Saint Sacrement.

Pendant toute la nuit, des pèlerins se sont ensuite relayés pour une adoration silencieuse jusqu’à l’aube.

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(A suivre : la journée du dimanche 29 septembre de Bieuzy vers sainte Anne)

À propos du rédacteur Uisant ar Rouz

Très impliqué dans la culture bretonne et dans l'expression bretonne dans la liturgie, Uisant ar Rouz met à disposition d'Ar Gedour et du site Kan Iliz le résultat de ses recherches concernant les cantiques bretons, qu'ils soient anciens ou parfois des créations nouvelles toujours enracinées dans la Tradition. Il a récemment créé son entreprise Penn Kanour, proposant des interventions et animations en langue bretonne.

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Un commentaire

  1. Brav ! Trugarez Uisant !

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