Et Verbum caro factum est (Et le Verbe s’est fait chair) :
une simple phrase qui affirmée, notamment dans notre Credo : «Et incarnatus est de Spiritu Sancto ex Maria Virgine et Homo factus est » (Et Il a pris chair de la Vierge Marie, par l’action du Saint Esprit, Il s’est fait Homme), résume l’essentiel de notre foi. Nous récitons, nous chantons tous les dimanches, lors de baptêmes, ou encore lors de la cérémonie de l’eau baptismale cette profession, sans, reconnaissons-le, que nous ayons vraiment conscience de ce que nous avons « l’audace » d’affirmer ainsi. Et qu’affirmons-nous ? Sinon le Mystère de l’Incarnation qui, du berceau de la crèche, va mener le Verbe qui s’étant fait Homme est descendu parmi nous, jusqu’ au crucifiement, le Mystère de la Rédemption, comme nous le chantons si bien dans le cantique populaire « Il est né le Divin Enfant » : « de la crèche au crucifiement, pour un Dieu quel abaissement ». En effet, Dieu ne s’est-Il pas « abaissé » à se faire homme (prendre chair), de surcroît, Lui le Roi des rois, dans la pauvreté, pour mourir sur l’instrument du supplice le plus ignoble, le plus cruel, la croix, faisant de ce bois d’infamie, le signe de notre foi :
« Crux fidelis inter omnes – Arbor una nobilis – Nulla silva talem profert – Fronde, flore, germine », que chante ce très bel hymne du Vendredi Saint. (O Croix, signe de notre foi – Arbre noble entre tous ! – Aucune forêt ne présente un tel feuillage – Si belles fleurs et si beaux fruits)
Et Verbum caro factum est : cette affirmation inouïe, et qui est un scandale, voire un blasphème pour d’autres croyances, que Dieu l’Unique puisse se faire homme. En effet, Comment Dieu, le « Seul Saint, le seul Seigneur, le seul Très-Haut, Jésus-Christ » (Quoniam tu solus Sanctus, tu solus Dominus, tu solus Altissimus, Jesu Christe), et dont le Nom est au- dessus de tous noms, aurait-il pu en se revêtant d’un habit de chair se faire semblable aux hommes, condescendre à venir parmi eux ? Les chrétiens ne seraient-ils pas là dans une sorte de mythologie à l’Antique, quand les dieux se mêlaient des affaires des hommes, et y venaient parfois y mettre bon ordre … ou désordre ? Eh oui ! C’est donc ainsi, le Dieu des chrétiens, le Christ, se faisant Homme et venant habiter parmi eux, est venue, non pas se mêler de nos affaires «Mon Royaume n’est pas de ce monde, et rendez à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César », mais proposer, et non pas imposer, la Nouvelle Loi d’Amour, et par son sang versé, la Nouvelle Alliance :
« Et voici que je fais toutes choses nouvelles ».
C’est donc dans la forme dite « extraordinaire », ou encore « Messe de Saint Pie V », que nous retrouvons ce qu’on nomme le « Dernier Evangile », lu après « l’Ite Missa est ». Ce dernier Evangile, fut considéré comme un ajout inutile, puisqu’il redisait ce que nous disions dans le Credo. Assurément, mais cet Evangile qui est le « Prologue de l’Evangile de Saint jean », affirme encore davantage « La Gloire du Verbe. Qu’au commencement existait le VERBE, (la Parole de Dieu), et que le VERBE était auprès de Dieu, le VERBE était Dieu même. Il était depuis toujours auprès de Dieu ». Et après avoir témoigné que « Tout par Lui a été fait, et rien sans Lui. Ce qui a été fait, en Lui était la vie. Et la vie était lumière pour les hommes. Que le Verbe, vraie lumière qui éclaire tout homme », nous reconnaissons que « Le VERBE s’est fait chair : ET VERBUM CARO FACTUM EST, et que le Verbe a habité parmi nous ». Cet Evangile se veut « conclusion » des Saints Mystères que nous venons de vivre, du moins en devrait-il être ainsi.
La liturgie « ancienne » insiste donc sur ce point capital de notre foi, car si il n’en était pas ainsi, comme le dit Saint Paul, « toute notre foi serait vaine » ; pire, elle n’aurait plus aucun sens, nous serions alors dans la légende, la mythologie des dieux. Le « Catéchisme de l’Eglise Catholique » nous rappelle avec insistance ce Grand Mystère de Foi (Mysterium fidei) :
« Le Verbe s’est fait chair pour nous sauver et nous réconcilier avec Dieu. Le Verbe s’est fait chair pour que nous connaissions ainsi l’amour de Dieu. Le Verbe s’est fait chair pour être notre modèle de sainteté. Le Verbe s’est fait chair pour nous rendre « participants de la nature divine » (1).
Nos ancêtres dans la foi, conscients de cette importance, ont jugé bon de nous le rappeler lors de la récitation de l’Angélus. Nos Angélus bretons en témoignent. Ainsi, celui dit de Noël, d’origine vannetaise, raconte en deux phrases d’une grande simplicité, dans son troisième couplet, l’événement incroyable de l’Incarnation :
« Hag e konsevas eur bugel, dre halloud ar Spered –Santel – Hag ar Verb Doue en em inkarnet, E-trouez an dud en deus bevet ! Ave Maria ».
(Et elle conçu un enfant, par la puissance de l’Esprit-Saint – Et le Verbe de Dieu, incarné parmi les hommes a vécu)
Notre autre Angélus, le plus connu, confirme ce « Fruit béni qui grandi dans le corps de Marie ».
« Ra vezo benniget Jezuz – Ar frouez eus ho korf evurus – Kanomp gant an Elez –O pia –E veuleudi bemdez – Ave Maria ! »
ET VERBUM CARO FACTUM EST – Et HABITAVIT IN NOBIS (Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous).
Nos cantiques bretons de dévotion au Dieu-Hostie, en des mots simples, mais d’une parfaite orthodoxie, proclameront ce que nous sommes invités à croire, comme dans l’Adoromp oll :
« Gwir Vab Doue en em hreet den d’or prena – En osti sakr oh kuzet ‘vid or maga – Plijet ganeoh skuilha euz ho tron, an aoter » (Vrai Fils de Dieu, fait homme pour nous sauver – Vous êtes caché dans cette hostie sainte – Qu’il vous plaise, de l’autel Votre trône – De répandre sur nous ici agenouillés Votre bénédiction ».
Les hymnes du Tantum ergo, O salutaris Hostia, Adorote devote, de par la sublimité, non seulement de ce qu’ils expriment, mais de la douceur de leur musique, sont autant d’invitations à nous plonger dans ce Saint Mystère.
Et pour davantage souligner cette affirmation de notre foi, il allait de soi, qu’en prononçant cette « audace chrétienne » nous étions invités à fléchir le genou, à incliner la tête en signe d’une infinie reconnaissance, d’humilité devant un si Grand Mystère. Mystère que celui où Dieu, par son Fils, daigne descendre et habiter parmi les Hommes que même les mélodies de la liturgie, Credo, cantiques, psaumes par une sorte de « décrochage » de tonalité en souligne la grandeur infinie. La musique se fait alors solennelle, douce, parfois jusqu’à l’intimité pour mieux pénétrer le fond de notre cœur, de notre âme. C’est alors toute la grandeur du Saint Mystère de l’Incarnation qui nous envahie. Tous les grands compositeurs ont eux-mêmes été comme subjugués par cette affirmation de la foi chrétienne, et ont composés des « Opus » dans leurs Messes. On peut même dire que le « Incarnatus est » en devenait le morceau de choix.
https://soundcloud.com/ar-gedour-mag/prologue-de-jean
SE REAPPROPRIER CET ACTE DE FOI
Qu’en est-il aujourd’hui de ce rite, qui jadis, était si naturel, allait de soi ? A partir des années soixante, et les décennies suivantes, dans la foulée de bien des abandons de traditions liturgiques vénérables, la lecture du Dernier Evangile fut jugé comme étant sans objet, on l’abandonna donc avec les Angélus. Quant au Credo, certes, on continua à affirmer que « Le Verbe s’est fait chair », mais sans plus : son importance n’était plus soulignée. De plus, la génuflexion, le ton récitatif empreint de dévotion ou chanté étaient omis, la solennité de l’instant était gommée. Et c’est ainsi que la solennité du Verbum caro factus est a disparu, et s’est effacé de la pratique religieuse, des mémoires. Il n’était d’ailleurs plus de bon ton de s’agenouiller. Et pour mieux dissuader de le faire, on avait bien pris soin de retirer les fameux « prie-Dieu », et de resserrer si bien les travées entre-elles, qu’il devenait impossible, sauf à pratiquer une gymnastique risquée, de s’y adonner.
Cependant, en telle ou telle paroisse, suivant les fêtes liturgiques, nous assistons à un timide retour de cette belle pratique religieuse. Si dans les communautés dites traditionalistes celle-ci n’a jamais été abandonnée, bien au contraire, elle revient dans certaines paroisses où exerce un clergé issu des communautés dites nouvelles, très sensibles aussi à un retour du sacré et de l’affirmation sans complexe des Vérités de la Foi. Retour timide, disions-nous, car l’habitude de ne plus extérioriser sa foi par une gestuelle jugée, à tort, ostentatoire, comme se mettre à genoux, perdure même dans le clergé, on se contente d’une simple, discrète et rapide inclination de la tête. A croire que nous sommes tous devenus des handicapés du genou et de la nuque. C’est dommage, car cet instant solennel qui affirme le fondement même de notre Foi est à lui seul catéchèse, riche d’enseignements pour celui qui le vit, pour celui qui le voit. Pensons aux jeunes enfants qui dès leurs premiers pas à l’église, assistant à la messe, voient les officiants, les fidèles s’agenouiller en cet instant du Credo, entendent que tout d’un coup, par la musique et la parole qui « se font autre », il se passe surement quelque chose. N’est-ce pas là, la meilleure des leçons de catéchisme ? Le poète et barde Théodore Botrel écrira dans ses souvenirs que c’est en voyant prier sa grand-mère qu’il a cru en Dieu. Jean-Pierre Calloc’h, dira la même chose, et combien de personnes, croiront, ou se mettront à croire en Dieu par l’exemple de la prière de d’autres.
Assurément, il est encore sans doute trop tôt pour restaurer dans son entier cette belle et sainte pratique de dévotion, car elle ne peut que se faire en parallèle avec une « nouvelle évangélisation » qui inclut la restauration d’une compréhension de la liturgie à travers tout son sacré. Le Verbum caro factus est est exigeant par sa nature même ; il demande de la part de celui qui l’affirme l’abandon de tout respect humain : « que va-t-on penser de moi si je fléchis le genou ? … » Or fléchir le genou devant Dieu et devant les hommes, surtout devant les hommes, implique une grande humilité, et aujourd’hui, que ce soit à la communion, ou en toutes autres circonstances, ce geste est sans doute le plus dur à accepter, alors même que l’on ne cesse d’inventer de nouveaux rites dépourvus de tout sens, de toutes traditions, souvent bruyants et interdisant toute intériorité. C’est vrai, il est dur de s’agenouiller devant Dieu et … au vu de ses semblables. Si l’on souhaite y revenir, ce sont les premières fois qui sont difficiles, surtout si l’on est seul et se faisant ainsi remarquer : le fameux respect humain. En fait, c’est au prêtre et aux servants de l’autel à qui il revient d’inciter par leur exemple les fidèles à faire de même, et nous pouvons affirmer que l’exemple sera finalement contagieux, à condition que celui-ci soit intégré dans une belle liturgie qui en donne tout le sens, car le sacré ne s’invente pas, ne se bricole pas, ne souffre pas l’approximatif. Alors ce geste simple, profond, prendra tout son sens, et pour celui qui le fera sien, il ne pourra qu’être source que de grâces spirituelles.
Nous sommes alors très loin d’une certaine conception de la messe (de l’Eucharistie) qui en fait trop souvent un simple repas de partage et de convivialité festive. Nous sommes pourtant au cœur des deux Grands Mystères de notre foi : l’Incarnation et la Rédemption, comprenant aussi cet autre Grand Mystère, celui de l’Eucharistie même, le « Mysterium fidei », le Mystère de notre foi.
Faisons notre cette conclusion d’un remarquable petit livre « Missa est » qui nous explique toute la profondeur du Saint Mystère de la Messe (2) :
« Cette Parole, le Verbe, qui appelle l’être à la vie et dont l’ineffable lumière nous exalte au- dessus de nous- mêmes, c’est cela même cette réalité qui est par-delà toute compréhension humaine, que nous reconnaissons dans le Christ, Dieu ayant pris chair comme nous. Devant un tel mystère, l’esprit se tait et l’intelligence abandonne, mais la foi parle. C’est parce que le Verbe s’est fait chair et qu’il a dressé sa tente parmi nous que nous avons connu Sa Gloire. Quittons donc la Messe dans le réconfort de cette certitude et que le Verbe éclaire notre chemin ! ».
Sources :
(1) Catéchisme de l’Eglise Catholique, article 3, paragraphe 1 « Le Fils de Dieu s’est fait homme – Pourquoi le Verbe s’est-Il fait chair » numéros 456 à 460. Edition Mame-Plon. 1992.
(2 ) « Missa est » par Dom Yvoni Bossière. Commentaire de Daniel-Rops. Editions Arthème Fayard.1951.