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IF : QUAND LE POEME DE KIPLING DEVIENT « TU NE SERAS PAS UN HOMME DOMINANT MON FILS »

Amzer-lenn / Temps de lecture : 9 min

Nous connaissons tous, ou presque, le célèbre et très beau poème de Rudyard Kipling « Tu seras un homme mon fils » (plus connu sous le titre If / Si) qui énumère tous les efforts, les qualités qu’un adolescent doit faire sienne pour devenir un  homme accompli, poème que nous redonnons ci-après. Nous pensions que cette œuvre était de celles que personne n’aurait osé détourner pour l’instrumentaliser et la faire coller aux idéologies actuelles, destructrices de toutes les vertus. Eh bien si ! La preuve vient d’être donnée que rien n’échappe aux négateurs de ces vertus qui forment, hier comme aujourd’hui, la vraie jeunesse, aussi bien celle du corps que celle de l’esprit et de l’âme.

Dans son édition du 16 décembre 2020, Ouest-France dans sa page « Parents-Enfants » nous donne un article dont le titre détourne celui du poème de Kipling, par un « Tu ne seras pas un homme dominant mon fils ». Cette récupération facile, peu intelligente pourrait sembler anodine, sauf que l’article en question est très explicite sur sa nature, sur les intentions « pédagogiques » de la sociologue interviewée. Il s’agit, bien évidemment, de la fameuse égalité des sexes : « Dans une société en mutation, l’éducation des garçons se réinvente. L’enjeu ? Dépasser les stéréotypes masculins pour leur permettre d’être libres ». Madame Christine Castelain-Meunier, sociologue  auteur d’un livre « Et si on réinventait l’éducation des garçons ? » (1), nous explique : « La société a tendance à rendre les garçons responsables de la domination masculine des générations précédentes alors qu’ils n’y sont pour rien. Comment sortir de cette contradiction ? En changeant de regard, en se libérant de l’héritage patriarcal et en s’appuyant sur les nouvelles pédagogies. Les garçons, comme les filles, peuvent identifier leurs propres émotions. C’est important aussi de leur permettre d’exprimer ce qu’ils ressentent. C’est précieux également de leur apprendre, petit à petit, à développer leur capacité à comprendre l’autre. L’idée est de leur permettre d’avoir des rapports pacifiés avec les autres. Il ne s’agit pas d’empêcher les garçons d’être virils mais de réinventer la virilité en lui redonnant son sens positif de « force de vie », qui n’est pas l’apanage masculin, et en lui retirant la dimension machiste et destructrice ».

Si nous comprenons bien les propos de cette éminente personne, l’éducation jadis donnée aux garçons, et encore aujourd’hui dans bien des familles, est hypothéquée d’un « héritage patriarcal » pesant, qui les a préparés à être des hommes dominants,  donnant libre court à une virilité violente, c’est-à-dire des machos.  Merci pour les patriarches, à savoir les pères de familles, dont est sous-entendue l’incompétence à éduquer leurs fistons, sinon à leur donner une éducation qui en feront des violents, irrespectueux des jeunes filles, des femmes et de leur future épouse.

Ouest-France – tout comme Madame la sociologue – ont dû assurément très mal lire et comprendre le poème de Kipling. Il est aussi évident qu’il n’entre pas dans leur logiciel de pensée. Ils n’ont pas perçus que chaque phrase est une recommandation  pour devenir un homme, un vrai, fait autant de force virile, que de force de caractère, de maîtrise de soi, de ses impulsions et de ses passions. Le texte de Kipling est un hymne à l’effort permanent. L’adolescent est invité à se dépasser, car c’est « par l’effort que l’on mérite et que l’on obtient ». Il invite le jeune homme à accepter les épreuves, à se relever, à être son maître et non l’esclave des modes : « Si tu peux rencontrer triomphe et défaite, et recevoir ces deux menteurs d’un même front ». Et il invite le jeune homme, mais cela a dû échapper à notre pédagogue, à devenir cet être tendre et aimant : « Si tu peux être amant sans être fou d’amour – Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre ». Non, vraiment, avec un tel programme – car le poème est en soi un programme éducatif, une feuille de route pour l’adolescent – aucun de ces conseils ne prépare l’adolescent à devenir un affreux macho. Il est clair que la seule domination qui lui est demandé, c’est la domination de lui-même. C’est aussi à travers le scoutisme que des milliers de jeunes garçons se sont préparés à devenir des hommes responsables, à pratiquer les vertus d’honneur, de charité, de respect du prochain. Par leur Promesse, ils s’engageaient « sur leur honneur devant Dieu et devant les hommes ». Ils  apprenaient à être généreux et à servir sans attendre d’autre récompense que celle de savoir qu’ils faisaient la Sainte Volonté de Dieu.

 

PEDAGOGUES EN « RECHERCHES »

 Si le poème s’adresse aux garçons, il s’adresse aussi aux filles, car les vertus qui y sont prônées valent tout autant pour les filles. Cuirassés, armés de ces vertus, jeunes hommes et jeunes filles pourront alors affronter avec force la vie, et d’un tendre amour bâtir leur famille dans un égal respect. Point besoin de lois pour cela, si ce n’est la loi divine et celle inscrite dans le sacrement du mariage. Rappelons à cette sociologue que dans les écoles, publiques ou privés, toutes ces vertus étaient chaque jour rappelées aux élèves, inscrites aux tableaux, via  la fameuse « morale du jour ». Ils devaient s’en imprégner, et l’appliquer dans leurs relations de camaraderie.

« Réinventer l’éducation des garçons ? »

Non, Madame, cette éducation n’est pas à réinventer car elle existe déjà et a fait ses preuves, ce ne sont que certaines méthodes qui sont à réinventer, sans toucher au tronc et aux racines. Seules quelques branches, ayant fait leur temps, sont à élaguer.

A quoi donc prétend cette nouvelle éducation  qui détruit plus qu’elle ne construit, sinon à se mettre à la remorque des idéologies qui « déconstruisent » précisément toutes  ces vertus sur lesquelles une bonne, une saine et sainte éducation était construite, années après années, et ce depuis des siècles. En aucun cas le poème de Kipling prétend faire de l’adolescent un « dominant », pas davantage envers une jeune fille, sa future femme qu’envers qui que ce soit. Bien au contraire, le poème invite expressément le jeune homme à « se dominer en toutes choses » : « Si tu peux être dur sans jamais être en rage – Si tu sais être bon et être sage ». Nous ne savons que trop où mène cette mode perverse de vouloir tout rejeter de l’éducation de jadis, la négation de toutes les vertus, de toute moralité, de toute transcendance, de toutes racines pour les remplacer par le néant. Notre autrice confond ce qui est durable et transcende les générations avec les modes et les idéologies. En fait, il n’y aurait de bonne éducation que depuis Mai 68 et ses valeurs. Ce qui n’a rien à voir avec les vertus prônées par Kipling. C’en est même le contraire. Avant, l’éducation, c’était donc l’incompétence totale, donnant des générations immatures, irresponsables, frustrées en tout, surtout sexuellement. Bref ! Nos parents, nos grands-parents, eux-mêmes frustrés fabriquaient des enfants frustrés. A constater l’état des lieux aujourd’hui, on n’a pas l’impression d’une grande réussite sur l’éducation de la jeunesse, mais  d’un champ de ruines, d’une fabrique à analphabètes. Cet abyssal gâchis met encore davantage en relief toutes ces vertus chrétiennes qui faisaient une jeunesse ayant « un esprit (une âme) sain dans un corps sain » …

Des vertus qui ne se réinventent pas

Le poème de Kipling devrait être au programme de toutes les écoles, de tous les garçons, de toutes les filles, mais il y a un problème pour les éducateurs : il est un hymne à toutes les vertus chrétiennes, aujourd’hui bafouées, dénigrées, sans lesquelles il ne saurait y avoir d’hommes et de femmes responsables, et ainsi de familles construites  sur du roc. Kipling montre au jeune homme la voie à suivre, il le conseille et le rassure, l’encourage pour s’accomplir parfaitement. Les sociologues, pédagogues en recherches de solutions éducatives nouvelles,  trouveraient dans cette litanie de conseils matière à  leurs réflexions. Il invite ainsi « à penser sans n’être qu’un penseur », en somme d’éviter d’être des « songe-creux ».  Il est des vertus qui ne se réinventent pas.

Dans les années cinquante, dans les écoles catholiques où la prière du matin comme du soir se faisait, les élèves, s’adressant à Dieu, étaient invités à lire une prière qui disait ceci : « Faites Seigneur, que je sois doux en mes paroles et pacifiant par toutes mes manières – Que seules les pensées qui bénissent demeurent en mon esprit – Que vous fermiez mes oreilles à toute parole médisante et à toute critique – Que ma langue s’applique à ne souligner QUE le bien – Faites surtout, Seigneur, que je sois si bienveillant et si joyeux que tous ceux qui me rencontrent sentent à la fois Votre présence et votre amour ».  Cette prière rejoint parfaitement les recommandations de Kipling, la prière scoute « Seigneur apprenez-nous à être généreux », mais aussi l’épitre de Saint Paul aux Corinthiens (2), appelé «Hymne à la charité » si prisé des jeunes couples pour leur messe de mariage. Point n’est besoin de réinventer l’éducation, elle est totalement dans ces textes.

Ah ! J’oubliais :  ces mots, ces phrases, ces conseils ont le handicap impardonnable d’être … chrétiens. Cela suffit-il à les disqualifier ? …

  1. Edition Nathan.
  2. Première lettre de St Paul aux Corinthiens du dimanche de la Quinquagésime (I.13, 1. 13).       

                                 

À propos du rédacteur Youenn Caouissin

Auteur de nombreux articles dans la presse bretonne, il dresse pour Ar Gedour les portraits de hauts personnages de l'histoire religieuse bretonne, ou encore des articles sur l'aspect culturel et spirituel breton.

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3 Commentaires

  1. Aotrou Caouissin

    Pegen diaes eo, ya, gwelet hor yezh en arvar bras, gwelet levezon ar gristeniezh o vont da gazimant netra !

    Dalc’homp mat atao, ar sevenadurezh a zo ouzh hor gwaskañ a zo krog da vrallañ. A-benn nebeut e kouezho ! Rak an holl sevenadurezhioù a zo bet kouezhet un deiz bennak. Hon hini a adsavo neuze, renevezet goude kement all a boanioù, a heskinerezh, a dreitouriezhioù.

    An dra nemetañ hon eus da ober eo delc’her mat, rak den ne oar war be du ez aio an traoù.

  2. Philippe Cassard

    Très bel article. Lucide sur ce monde en changement.

  3. balaninu/PontAven

    Merci infiniment pour cet article qui recadre les pensées effrayantes d’aujourd’hui ! Effectivement dans la mesure où tout qui est dans ce poème et même ce que l’on nous apprenait à l’école et chez nous est chrétien donc : les idéologues d’aujourd’hui ne le supporte pas.
    Faut-il ajouter que celui qui ne veut ni comprendre ni voir ni entendre …. laissons-le mariner dans sa sauce immangeable.

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