Les Bretons tiennent-ils vraiment à leur patrimoine religieux ?

Amzer-lenn / Temps de lecture : 11 min

RESUME : le patrimoine matériel religieux breton sera en déshérence sous peu de temps, si l’on n’y prend garde. Déjà, certains signaux alertent. Comment lutter contre la ruine et l’abandon ? Liker les publications ne suffit pas. Il faut un engagement volontaire de la part de chacun.

La belle nouvelle a été annoncée il y a peu : Ken Follett, l’auteur à succès gallois connu notamment par Les piliers de la terre, a annoncé son intention de verser l’intégralité des droits d’auteur de son récit Notre-Dame, publié après l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019, afin de restaurer la cathédrale Saint-Samson de Dol-de-Bretagne, a annoncé lundi la Fondation du patrimoine. C’est une bonne chose car ce fleuron de l’architecture gothique de Bretagne dédié à Saint Samson, classée au titre des monuments historiques depuis 1840, est très dégradée. Des travaux, pour un montant de 2,4 millions d’euros, ont été engagés en 2019 et devraient s’achever en 2024. La charpente et la couverture ne sont plus étanches, les balustrades en granit sont abimées, certains parements doivent être remplacés ou consolidés, quatre verrières du XIIIe siècle, les plus anciens vitraux répertoriés en Bretagne, ne sont plus protégés. Les 148 000€ de Ken Follett seront donc les bienvenus.

Qui tient réellement au patrimoine religieux ?

Cette nouvelle nous permet de rebondir sur un sujet qui nous occupe actuellement, et dont nous entretenons régulièrement nos lecteurs : les Bretons veulent-ils vraiment une sauvegarde de leur patrimoine religieux ? Nous pourrions étendre d’ailleurs la réflexion à l’ensemble de l’hexagone, mais limitons-nous dans notre réflexion à la situation bretonne. Car dans l’ensemble, même si au détour d’une promenade on se laisse à contempler les vieilles pierres, la majorité de la population ne semble avoir cure d’un patrimoine en péril, sauf lorsque les flammes ou les bulldozers viennent rappeler que tout n’est qu’éphémère.

Excepté par les anciens de plus en plus rares qui mouillent la chemise dans les comités de chapelles, excepté aussi via les associations de sauvegarde comme Breiz Santel, la Fondation du Patrimoine ou la Fondation de la Sauvegarde de l’art français, il semble – à moins d’une prise de conscience – ne plus y avoir grand chose à espérer quant à l’avenir de ces ex-votos que sont chaque chapelle bâtie par nos aïeux.

Pour exemple, il y a quelques mois, nous avons fait un appel au don pour l’Oeuvre de St Joseph, concernant l’abbatiale du XIIème siècle qui nécessite des travaux d’urgence (cf article). L’appel au don, qui a été relayé sur les réseaux sociaux de manière importante, n’a pas permis à ce jour de rassembler la somme nécessaire, loin de là. Cette difficulté est récurrente et se retrouve dans bien des associations. Nous l’avons ainsi constaté par exemple dans l’affaire de la chapelle St Joseph de Lille où, sans l’engagement sans faille d’Alexandra Sobczak (Urgence Patrimoine), aucune véritable opposition à la destruction n’aurait existé.

Liker ne suffit pas

Une constatation est toutefois claire : de nombreux likes ou retweets ont lieu sur les réseaux sociaux suite aux multiples publications portant sur la défense du patrimoine, mais il est difficile de transformer ces soutiens numériques en véritables soutiens de terrain, que ce soit au niveau du bénévolat ou au niveau bienfaiteur. Liker est important, partager les publications aussi, mais cela ne peut suffire. Certes, l’ultra-sollicitation caritative est une raison importante à l’engagement limité, mais ce n’est pas la seule. La question se pose réellement quant à l’intérêt des gens pour leur patrimoine (comme cela l’est finalement pour la langue). Et lorsque nous voyons au fil des kilomètres les églises et chapelles fermées, l’abandon des âmes préfigure l’abandon matériel. Or la Bretagne, sans sa constellation de chapelles et d’églises qui ont forgé son âme, ne sera plus la Bretagne. Juste un territoire comme un autre. Fade. Sans intérêt. Certains s’en sont émus et ne se sont pas contentés de se lamenter.

L’histoire de Breiz Santel

Appuyé par sa revue, Breiz Santel, le mouvement pour la protection des monuments religieux bretons, a été fondé à Vannes le 16 avril 1952 par Gérard Verdeau, sur une intuition antérieure d’un prêtre breton. Comme son nom l’indique, l’association veut concourir à la renaissance de tous les monuments religieux bretons, humbles croix de chemin, chapelles, fontaines… en les restaurant et en les animant. Il souhaite aussi pouvoir susciter de nouvelles initiatives dans un jaillissement religieux et artistique. Au fil des années, l’association Breiz Santel s’est imposée dans le paysage breton comme l’acteur essentiel du renouveau des chapelles qui menaçaient ruine, oeuvrant en collaboration avec les comités de chapelles qui contribuent à la vie de ces édifices.

Aujourd’hui encore, Breiz Santel concourt à la restauration des chapelles bretonnes, et accueille volontiers bénévoles et bienfaiteurs, tous ceux qui ne veulent pas rester spectateurs impuissants d’un patrimoine qui s’écroule. Vous pouvez adhérer à l’association en cliquant ici.

L’histoire de l’Oeuvre de St Joseph

L’Oeuvre de St Joseph, créée en 2012 par Philippe Abjean, c’est justement cette idée de ne pas abandonner, de ne pas rendre inéluctable une désertification menant à la ruine.

L’histoire de l’OSJ, c’est l’histoire d’une intuition pour créer des chapelles hospitalières sur le Chemin du Tro Breiz, intuition que peu ont comprise, et c’est bien dommage. L’OSJ, c’est l’histoire d’une intuition visant à faire de certaines chapelles des lieux d’une académie d’arts sacrés éclatée à travers la Bretagne. Des lieux de prière. Des lieux d’hospitalité. L’OSJ, c’est l’histoire d’une intuition à laquelle peu ont cru, comme le Tro Breiz ou la Vallée des Saints qui pouvaient passer auprès de la majorité pour des projets fous qui ne verraient jamais le jour. Mais cette intuition résonnait comme un écho intérieur rappelant que le Tro Breiz permanent n’est pas qu’une rando qui accueille le marcheur en gite-étape.

Philippe Abjean, en fondant l’OSJ, a voulu sauvegarder des chapelles et les faire revivre, avec un projet pour certaines d’entre elles. De belles choses se sont faites comme à Pont-Croix avec l’exposition de paramenterie, ou encore à Quimper avec la chapelle du St Esprit, avec une association extraordinaire dans son dynamisme à faire vivre ce lieu et à le rénover au fil du temps.

 

Des projets liés par une même intuition

Certains n’ont pas compris ou suivi le fondateur dans l’intuition initiale, attendant de lui uniquement une manne financière, mettant l’argent au centre du projet plutôt que le Christ et s’étonnant ensuite que les projets de reconstructions avortent. Certains décideurs associatifs, qui auraient dû soutenir les projets, n’ont jamais compris que l’association des Chemins du Tro Breiz (itinéraires événementiel et permanent), l’OSJ et la Vallée des Saints étaient liés par une même intuition qui résonne dans cette seule phrase de Calloc’h reprise par Philippe Abjean comme un leitmotiv :  « apprends-moi, ô mon Dieu, les mots qui réveillent un peuple, et j’irai, messager d’espérance les dire à ma Bretagne endormie ». Des gens qui n’ont jamais compris qu’un renouveau de la Bretagne chrétienne nécessite un engagement et un soutien mutuel, en n’oubliant jamais de rester dans les pas du Christ. Sans cela, tout est voué à l’échec. Quand les anciens édifiaient leurs églises, leurs regards s’élevaient vers le haut. Cela permettait de déplacer des montagnes. Hier l’Homme lançait un regard vers le ciel. Aujourd’hui, la tête regarde vers le bas en pensant que le smartphone est le monde. Le poids du néant se fait ressentir comme un joug posé sur les épaules de l’humanité et l’horizontalité prime sur la verticalité.

Que faire ? Malgré la prière, dans notre monde, l’argent est roi, et sans argent on ne peut plus rien faire. A ce jour, chacun travaille pour sa petite chapelle, alors qu’un vrai renouveau nécessite aujourd’hui qu’on se serre tous les coudes pour non pas simplement contribuer à une simple sauvegarde d’un patrimoine ancien muséifié comme la trace d’une culture qui a vécu, mais faire de cette union un sursaut pour l’avenir de la Bretagne. Pas seulement pour des édifices, des bâtiments à sauver  !  Mais pour Dieu et la Bretagne ! La beauté sacrée de la Bretagne chérie de Gérard Verdeau ne peut être sacrée que si Dieu est et reste au centre du projet.

A Montfort sur Meu, l’exemple d’un édifice en péril… mais pas le seul !

A l’heure actuelle, bien des gens se fichent pas mal du devenir de l’abbatiale comme de bien d’autres chapelles. La vie quotidienne et l’inquiétude générale font que les priorités sont ailleurs. C’est ainsi, et cela ira en empirant, comme nous le montrent par exemple l’abandon de la chapelle St Germain sur le territoire Hennebont/Languidic (cf ci-contre), le démontage de la chapelle de Cascadec en Scaër ou encore la chapelle de l’hôpital de Cancale pour ne citer qu’elles. Certains diocèses se défont peu à peu de leurs chapelles ou d’églises trop coûteuses. Peut-on donc penser que seules, de petites associations réussiront ?

Les comités de chapelles se démènent et des avancées notables se font parfois, comme actuellement à Lanvénégen où la chapelle de la Trinité a enfin retrouvé un toit après des dizaines d’années d’attente. Il y en a d’autres comme nous le relayons régulièrement sur Ar Gedour.  Mais imaginons un seul instant qu’un fonds mutuel de sauvegarde soit un jour initié par les chrétiens eux-mêmes pour sauver un patrimoine unique, au-delà des egos mortifères. Imaginons une Entente globale entre les associations de sauvegarde, les comités de chapelle, les Priants des campagnes, les Chapelles chantantes, les Chemins du Tro Breiz, la Vallée des Saints et bien d’autres, permettant non seulement de sauver un patrimoine mais aussi de le faire vivre culturellement ET spirituellement malgré la désertification des paroisses. Un rêve ? Sans doute….

 

Je constate aujourd’hui (et notamment sur les réseaux sociaux) que tout le monde pleure quand arrivent les bulldozers, mais lorsque de rares personnes tirent la sonnette d’alarme en amont et appellent à l’aide, peu répondent.

Et aujourd’hui ?

eglise tremel en droneIl fut un temps où j’étais persuadé qu’il fallait sauver toutes nos chapelles. J’ai déchanté depuis et je suis devenu plus pragmatique. Je suis convaincu que la donne changerait si tout le monde retroussait ses manches et contribuait à la sauvegarde de son patrimoine local sans attendre des institutions des subsides qu’elles n’ont plus. Nous avons même dans notre équipe des idées audacieuses que nous publierons peut-être.

chapelle bretonne à l'abandon
Chapelle bretonne à l’abandon (photo Ar Gedour)

Mais je constate aujourd’hui (et notamment sur les réseaux sociaux) que tout le monde pleure quand arrivent les bulldozers, et lorsque de rares personnes tirent la sonnette d’alarme en amont et appellent à l’aide, peu répondent. Je le dis sans velléité mais avec une pointe de dépit et surtout dans l’espoir d’un électrochoc : lorsque les chapelles tomberont, une à une, envahies de ronces et de lierre, nous ne ferons peut-être plus partie de ceux qui les défendront. Parce que nous aurons rempli nos rôles de lanceurs d’alerte avec une énergie folle, mais parfois sans grand succès.

Qu’elles soient rasées, transformées en place de marché, en discothèque, en gîte, en restaurant, en salle de spectacle ou en salle de sport pourra alors révolter certains, faire la une éphémère de quelques médias, mais finalement, qu’auront-ils fait pour les sauver ?

Je ne me contente pas d’être spectateur : je fais un don

Une campagne choc ?

Ne pouvant cependant se  contenter d’un tel état de fait, l’OSJ – soutenue par Ar Gedour – lance donc sur les réseaux sociaux une campagne de sensibilisation, à la fois pour la sauvegarde de l’abbatiale mais pas seulement ! Des visuels marquants invitant à la prise de conscience. Choisissons-nous l’abandon ?

Chacun d’entre nous peut changer la donne en contribuant à sa manière, par un don (aussi modeste soit-il) ou par un engagement bénévole dans un comité de chapelle ou dans une association de sauvegarde du patrimoine, qui n’attendent justement que ça : des bénévoles engagés sur qui compter. Il suffit de le vouloir. Pas demain, mais dès aujourd’hui.

 

Sur le même thème, lire : Pierres vivantes et églises de pierres

À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD". En 2024, il a également publié avec René Le Honzec la BD "L'histoire du Pèlerinage Militaire International".

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5 Commentaires

  1. « Deskit din va Doue ar gerioù a zihun ur bobl, ha mont a rin kannad a oanag d’o adlarez d’am Breizhig kousket »

  2. La chapelle Saint Germain (paroisse d’hennebont et non de Languidic) va être rénovée sur l’initiative de son comité

  3. Thiercelin Dominique

    Pour être honnête avec vous, il m’est arrivé qu’une seule fois de donner pour la restauration d’une Église. Au niveau des dons nous sommes très sollicité aussi bien par l’urgence caritative que par la nécessité de soutenir l’église via le denier du culte ou la fondation pour le clergé. Je reconnais honnêtement que l’aide au patrimoine religieux quelque soit la région ont aussi leur importance, mais dure dure de faire un choix entre la nécessité de soutenir les plus fragile, l’église humaine mais aussi ces lieux de cultes. Sans nos prêtres nos évêques nos communautés religieuses les laïcs engagés et l’ensemble des laïc nos lieux de cultes serait rien. Et en même temps une église on a besoin de ces lieux de cultes pour l’eucharistie vivre de l’ensemble des sacrements et autres temps de prière. Les plus faibles ont aussi réellement besoin de notre engagement humain ou financier. Ce n’est pas parce que l’on donne peu pour notre patrimoine religieux qu’on y est pas profondément attaché, malheureusement parfois il faut choisir

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