Les légendes bretonnes cherchent des bouches pour dire, des oreilles pour entendre…

Amzer-lenn / Temps de lecture : 3 min

Une légende est « ce qui doit être lu ou transmis ». Il en est ainsi depuis la nuit des temps et chez tous les peuples. Ainsi font les griots d’Afrique au pied des baobabs, les rabbins qui transmettent les traditions et légendes juives aux enfants avant leur Bar Mitsva, les maîtres védiques qui placent dans l’esprit des disciples l’immense patrimoine de textes entre Rgveda, Atharvaveda, Sãmaveda… Le comportement aujourd’hui est de rire des vieilles croyances. Il me plaît pourtant de penser que les légendes qui n’ont pas été dites errent sans fin jusqu’à ce qu’elles trouvent les mots qui leur donneront vie, des bouches pour dire et des oreilles pour entendre.

Mille causes expliquent l’effacement des récits populaires dans les mémoires. L’esprit des Lumières les a renvoyés aux vieilles lunes d’un passé désormais perçu comme primitif, arriéré, méprisable. Cette lecture de l’histoire comme marche irréversible vers le progrès est à l’évidence orgueilleuse et simpliste. Comme l’est la doxa universitaire expliquant paresseusement aux étudiants que la naissance de la philosophie grecque avait mis un terme définitif à la pensée mythique. Le logos contre le mythos. La rationalité prosaïque contre le merveilleux poétique. En réalité, le passé ne meurt jamais, il n’est qu’enfoui. Le monde moderne, troquant la religion pour l’idéologie scientifique, a fait accroire que les légendes relevaient de la crédulité naïve des peuples et qu’il convenait de s’en défaire. Pour autant, est-ce parce que cela a été inventé que ce n’est pas vrai ? Evoquez dans un village les apparitions de la Dame Blanche et il est bien rare si quelqu’un dans l’assistance n’assure tenir d’une personne qui elle-même l’a reçu d’une autre qu’une dame vêtue de blanc a été croisée, la nuit, au bord d’une route, à l’entrée du pont de Plougastel, au seuil d’un parc…

Qui n’a envie d’en savoir plus ?

Et cet intérêt perdure même si l’industrialisation a vidé les campagnes et supprimé du même coup les veillées qui réunissaient les générations. La nouvelle organisation des familles, de plus en plus restreintes, a éloigné de leurs petits-enfants les grands-parents pas avares d’histoires édifiantes mais les promenades de vacances sont toujours l’occasion pour eux de nourrir les jeunes rêves de légendes locales où il est question de dragons, de loups domptés, de princes aux pieds nus… Et si le totalitarisme numérique a colonisé les esprits – jusqu’à quatre heures par jour pour les enfants de moins de douze ans – il restera peut-être encore un peu d’attention pour des histoires terrifiantes qui ont le mérite de maintenir un lien avec des racines ancestrales.

À propos du rédacteur Philippe Abjean

Souhaitant redonner à la Bretagne une nouvelle dimension spirituelle et culturelle, Philippe Abjean a remis à l'honneur le pèlerinage du Tro Breizh (Tour de Bretagne), fondé la Vallée des Saints et l'Oeuvre de St Joseph. Ancien professeur de philosophie, il a publié plusieurs ouvrages, retraçant ses intuitions et ses engagements (que vous pouvez retrouver sur Ar Gedour).

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Un commentaire

  1. Je vous rejoint totalement Monsieur Abjean, et vos efforts (Tro Breizh; Vallée des Saints; Stone Breizh) vont dans le sens de se réapproprier le pouvoir guérisseur des mythes et des légendes. Le mythe du Roi Arthur n’a-t-il pas aidé les Celtes, et les Bretons en particulier, à guérir de toutes les calamités qui se sont abattues sur eux (peste; famine gravissime – l’éruption titanesque d’un volcan lointain ayant occulté la lumière du soleil et provoqué une famine contemporaine d’une peste dévastatrice-; l’arrivée des Saxons n’étant que la troisième calamité, et loin d’être la seule !). Ils se réfugièrent en Armorique, avec ses vastes forêts, ses rivières pleines de saumons, ses mers poissonneuses, en sachant qu’ Arthur reviendrait. Beaucoup de légendes et contes bretons étaient des histoires guérisseuses que les rebouteux et guérisseurs utilisaient durant leurs séances de guérison. Le Dr Lewis Mehl-Madronna, médecin d’origine Lakota et Cherokee, utilise avec succès les histoires guérisseuse de son peuple. Il a écrit : “La médecine narrative” et “Ces histoires qui guérissent”. Nous attendons le chercheur breton qui retrouvera dans le fatras des collectes, le fil d’or des histoires, mythes, légendes, qui ont servi, au cours de siècles, à guérir , à soulager, à garder espoir.

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