Quand la beauté de la campagne est une prière

Amzer-lenn / Temps de lecture : 6 min

Dernièrement, triant un lot de vieux livres, je suis tombé sur un petit ouvrage fort modeste par son aspect (120 pages) au ton sépia, et dont l’odeur  de vieux papier accusait son ancienneté. Sur la couverture, une inscription : « Essai sur le folklore régional et sur la beauté pittoresque du pays ».  Il n’avait pas du tout attiré mon attention, car il avait toutes les caractéristiques des livres que l’on classe sans intérêt, que l’on envoie chez un soldeur ou au pilon. Par conscience, afin de m’assurer que je ne me séparerais pas d’un trésor, je refis un tri du tri. Et c’est là que je pris la peine de feuilleter le modeste petit livre, d’en lire la préface et la table des chapitres.  Elle était faite d’une longue liste de petits titres (au total, soixante-trois), tous portant sur un sujet particulier en rapport avec la vie à la campagne, les saisons, la nature. D’ailleurs, le titre était déjà un indicateur : « Brindilles champêtres, regardons l’horizon par-dessus les buissons », et comme illustration de couverture, le célèbre tableau « L’Angélus » de Millet.  L’auteur, l’abbé Joseph  Le Cornet (1885-1960), prêtre pendant 19 ans à Paris, puis recteur de Saint Maudan (Côtes d’Armor). « Il aima cette petite paroisse rurale, son presbytère champêtre, vivant tout près des gens, partageant leur vie simple et saine. D’une âme sensible et poétique, il goûtait profondément la beauté et la paix de la nature. Les choses les plus humbles, les plus simples, lui étaient objet de contemplation pour s’élever vers Dieu. Il semble qu’il ait gardé jusqu’à la fin, l’âme naïve et limpide de l’enfant qui s’extasie chaque jour devant le monde qu’il découvre » (1).

 Ce petit livre  oublié, inconnu (pas d’éditeur, sinon l’imprimerie des Orphelins apprentis d’Auteuil, donc une autoédition ayant recours à une école Maison religieuse. 1950), est un véritable trésor, qui précisément est le reflet de cette âme simple et pure.  Il n’est pas possible de vous donner les titres de chaque chapitre, mais justement, comme le dit si bien son titre « Brindilles champêtres », chacun d’entre eux est une brindille cueillie qui nous invite à la découverte de la vie simple de la campagne, de nos villages, à la découverte de maintes de nos traditions. Des « brindilles » qui outre leur réelle  poésie,  sont comme des cierges allumés, pour autant de  petites prières et des méditations. C’est bien ce que propose le sous-titre  : «Regardons l’horizon par-dessus les buissons » ; nous apprendre à regarder les innombrables cantiques de la campagne que sont, la vie, le travail des hommes, la nature, les animaux, le carillon des cloches, celui de l’horloge, les couleurs des saisons, l’aube et le crépuscule, et par ce regard chrétien qui élève nos pensées, à louer Dieu, notre Créateur de tant de beauté.

A la lecture de ce petit livre, nous sommes surpris qu’il n’ait pas bénéficié d’une Préface d’une autorité ecclésiastique, car il le méritait, l’auteur s’est donc contenté de son propre « Avant-Propos » pour expliquer son intention en écrivant ce recueil :

« Ce petit recueil a une origine toute simple et bien modeste : composé au jour le jour, il n’a d’autre ambition que de faire mieux connaître le terroir, si cher à nos aïeux. Il ne s’agit donc pas de littérature, mais de souvenirs et d’actualités agrestes, dont le but serait ; d’émouvoir et non d’éblouir, de faire penser plutôt que d’amuser, de persuader plutôt que de surprendre. Ce petit essai, nous le dédions, tel quel, à tous les braves et dignes gens de chez nous. Puissions-nous pouvoir leur dire :

Voici des fleurs, des fruits, des feuilles et des branches. Le vieux monde s’en va et avec lui ses respectables dévotions, ses traditions, parfois naïves, et ses costumes si pittoresques. Cependant, le passé de notre peuple est chrétien et grâce à Dieu nous vivons encore des richesses et des belles traditions de jadis. D’où l’importance de s’y retremper souvent, comme en une fontaine de Jouvence. Certes, nous ne manquons pas de richesses sous la main, encore faut-il savoir les monnayer ».

Certains pourront voir dans ce livre de la nostalgie pour un monde qui n’est plus, et que de ce fait, en parler est inutile, négatif, pas « constructif ». La nostalgie n’est ni un gros mot, ni un péché : elle peut au contraire être aussi source d’enseignements, de leçons à méditer.  Elle est ici source de méditation et de prière. Chaque  « brindille », nous rappelle les paroles de bien de nos cantiques, qui chantent cette beauté de la nature, de nos églises, comme notre Aman pell diouz an trouz (Ici loin du bruit), comme Salut deoc’h iliz ma farrouz (Salut église de ma paroisse), Dans le silence du matin ou encore Avant d’aller dormir sous les étoiles,  à moins que ce ne soit un de nos Bénédicités qui demandent au Seigneur de bénir « ce pain, travail des paysans, du boulanger, cette table si bien préparée »,  de reconnaître que si « Dieu donne pâture aux petits oiseaux et bénie notre eau », combien Il nous donnera aussi notre pain quotidien.

L’abbé Le Cornet, fidèle à sa grande humilité, n’ayant aucune prétention littéraire, de sa main a ajouté à l’intérieur une autre dédicace (pour qui ?) : « Dans l’espoir d’être utile ! ». Eh bien oui, cher Monsieur l’abbé, vous avez été utile. Du Ciel, voyez-vous, soixante-dix ans après, découvrant ce beau « tas de brindilles champêtres» que vous avez formé, nous les distribuons à notre tour, à qui voudra bien les prendre et les méditer. Vous nous rappelez que la Bretagne fût riche d’un clergé érudit : poètes, musiciens, écrivains, linguistes, savants et chercheurs ; un clergé  qui prenait alors en compte toute la culture du peuple dont il avait la charge…

Aujourd’hui, même les « bruits » les plus naturels de la campagne, de la nature, de nos villes, de nos villages indisposent trop de gens : chants des oiseaux, aboiements des  chiens, grenouilles qui croassent, Angélus qui sonne, etc. En ces temps matérialistes où toute beauté, où tout sacré, où tous silence sont bannis, la lecture de ce modeste ouvrage est stimulante. L’abbé Joseph Le Cornet nous invite à puiser dans la beauté simple de la création et du travail des hommes, la sève vivifiante des vertus chrétiennes oubliées, un vrai petit psautier  d’écologie chrétienne.

Nous nous proposons donc, par la publication régulière de quelques une de ces « Brindilles champêtres », de faire découvrir cette belle symphonie  de nos campagnes. Nous verrons alors, que loin d’être de la nostalgie, elles sont au contraire une invitation à redécouvrir les vraies vertus d’une prière authentiquement… écologique, c’est-à-dire cette  osmose entre le chrétien, ses activités et l’œuvre créatrice de Dieu, la nature.

1)    Extrait de sa Nécrologie, parue dans la Semaine Religieuse (N°48) de novembre 1960.

La première brindille a été publiée en 2019 :  Nos défunts et le cimetière. Au bord mystérieux de l’Au-delà. Les autres suivront.

À propos du rédacteur Youenn Caouissin

Auteur de nombreux articles dans la presse bretonne, il dresse pour Ar Gedour les portraits de hauts personnages de l'histoire religieuse bretonne, ou encore des articles sur l'aspect culturel et spirituel breton.

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2 Commentaires

  1. Très bel article sur ce petit livre “Brindilles Champêtres” écrit par cet abbé inconnu (de moi du moins…), et dans l’attente d’en retrouver des extraits sur Ar Gedour.
    Gilles Ropars

  2. Mat e vefe embann adarre ul levr ker brav ha ker talvoudus ! Gant ur rakskrid skrivet gant an Aotrou Caouissin evel just. Ur blijadur eo lenn an tammoù roet deomp amañ.

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