Saints bretons à découvrir

Sainte Anne d’Auray, 11 octobre 2015, messe des paysans

Amzer-lenn / Temps de lecture : 11 min

Ça n’était pas annoncé tout à fait ainsi ; la présence de l’évêque, Monseigneur Centène qui a célébré ses 10 années de consécration épiscopale à la tête du diocèse de Vannes, était bien acquise pour présider l’office dominical, mais à l’occasion de la clôture du colloque consacré à l’héritage du petit séminaire de Sainte Anne d’Auray ouvert en 1815, intitulé 200 ans d’enseignement, de culture et d’art.

Nous étions nombreux, plus d’un millier, surtout des anciens, comme moi, mais aussi des jeunes et des femmes, pour exprimer à la fois notre solidarité avec une profession agricole en difficulté financière et notre nostalgie d’une vie paysanne aujourd’hui malmenée.

L’esplanade avait été transformée par les soins de Jacques Jeffredo, et sur son initiative, en cimetière militaire, à l’instar de la nécropole nationale sise à proximité, sur la route de Plumergat, avec ses croix blanches en polystyrène que le petit vent automnal de nordet venait bousculer, à l’image de cette profession sinistrée et de ses membres suicidés, 600 par an, même si ce n’est pas là la statistique officielle de la MSA qui préfère ignorer ce mode de décès.

C’était, avec la messe à l’intention des agriculteurs suicidés, notre moyen à nous, paysans bretons, de protester contre le sort réservé à notre métier, nos enfants, nos familles, notre terre.

 

Comme par un fait exprès, les lectures en ce 28° dimanche du temps ordinaire, après Pentecôte, étaient extraites du livre de la Sagesse, celle acquise à force de prières par le roi Salomon reconnaissant qu’avec elle « me sont venus tous les biens et, par ses mains, une incalculable richesse » (7, 11) et de la lettre de Paul rappelant aux Hébreux que « tout est nu et découvert aux yeux de celui à qui nous devons rendre compte » (4, 13b). Entre ces deux lectures nous avons chanté le psaume 89 « n’oublie pas, Seigneur, le cri des malheureux ! » puis écouté l’Evangile de Marc et la réponse de Jésus à ses disciples qui lui demandent qui peut être sauvé ? « Pour les hommes c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu » (10, 27).

Tout est dit : voilà des gens dont le métier est de nourrir leurs semblables et qui se donnent la mort ! Alors qu’il leur est donné de contempler la création qu’ils poursuivent de leur travail, on leur en gâche la joie, pourtant, il s’agit bien, là aussi, d’un don de Dieu comme le rapporte un autre livre de sagesse de la Bible (Ecclésiaste, chapitre 3, versets 12 et 13).

La rétribution qu’ils cherchent de leur travail serait-elle uniquement constituée du profit ? « Vanité des vanités » nous répète Qohelet, l’Ecclésiaste (1, 2 et 12,8).

Si le paysan perd la crainte de Dieu, qui l’aura ?

Attention, la crainte de Dieu n’en est pas la frayeur, c’est reconnaitre qu’il a sa place qui n’est pas la nôtre.

Comme Job, Yvon Nicolazic était « un homme intègre et droit qui craignait Dieu et se gardait du mal ». Sa statue en granit de Cornouaille, le montre droit, fier devant sa gerbe de blé fraichement moissonnée. Son chapeau à la main qu’égraine un chapelet, tête nue, il arbore une calvitie naissante, marque certaine d’une sagesse paysanne acquise au fil des ans.

Son image, due au ciseau de Robert Vaillant, dressée avec la révérence propre à ceux qui savent se tenir à leur place, aux pieds de celle, monumentale, de Mam Goz, Santez Anna enseignant la petite Marie, été dévoilée et inaugurée à l’issue de la messe par Monseigneur Centène.

Il n’est certes pas, pas encore, porté sur les autels mais qu’est ce qui nous empêcherait de le prier, comme nous prions ceux de nos parents et amis que nous avons connus et reconnus « intègres et droits, craignant Dieu et se gardant du mal ».

Il faut un miracle pour être béatifié, puis un deuxième pour être sanctifié, mais pour obtenir une guérison miraculeuse, encore convient-il de le prier de l’accomplir !

Yvon Nicolazic, fais toi l’avocat de tous ces paysans qui ont succombé sous le poids d’une charge qui s’est avérée trop lourde pour eux ; fais en sorte qu’il ne leur soit pas tenu rigueur de leur faiblesse, mais illustre la parcelle d’espérance qui était en eux : n’étaient-ils pas tout simplement un peu pressés ?

On est tous avec toi, comme on reste finalement avec ceux que l’on n’a pas su réconforter ou insuffisamment.

Nous crions tous de leur cri et ça fait du bruit !

Plus d’un millier nous étions, Il y en avait même qui étaient venus de Belgique. De Pierre Camenen, président de l’association locale des membres de l’ordre du Mérite Agricole, à Jean Yves Talhouarn, administrateur des Journées Paysannes, c’est dire…

Bien mieux …  écoutez  l’homélie de Monseigneur Centène :

 Frères et sœurs, 

A la lumière des lectures que nous venons d’entendre et en particulier à la lumière de cette question « Bon Maitre, que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle en héritage ? », nous sommes réunis ce matin dans cette basilique pour dire notre solidarité avec le monde paysan en souffrance. 

Une souffrance qui n’est pas seulement d’ordre économique, même si tout se tient, mais une souffrance qui est plus profonde et qui touche à l’existentiel, au sens même de l’existence, puisqu’elle se traduit, dans un trop grand nombre de cas, par la suppression de la vie. 

D’où l’importance de la question posée dans l’évangile de ce jour « Bon Maitre que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle en héritage ? ». 

Les croix déposées devant la basilique traduisent la réalité de cette situation comme un signe fort qui veut nous faire prendre conscience de ce drame. 

Derrière chacune de ces croix, une vie brisée, parfois dans la pleine floraison de la jeunesse. 

Derrière chacune de ces croix, la souffrance d’une famille désemparée qui se croit coupable de n’avoir pas su détecter les signes avant-coureurs, de n’avoir pas su être suffisamment à l’écoute, de n’avoir su trouver les bonnes réponses, les bonnes solutions. 

Derrière chacune de ces croix, le sentiment de culpabilité d’un entourage, d’une communauté humaine, qui n’a pas su trouver à temps les chemins d’une solidarité authentique et efficace. 

Si un suicide, et toute mort quelle qu’en soit la cause, est toujours un drame parce qu’avec elle c’est un univers qui disparait, le suicide d’un paysan revêt un caractère particulier parce qu’il touche à une lourde symbolique. 

Celui qui a la charge de la vie des plantes et des bêtes, celui qui par vocation contribue à la vie de ses frères en humanité en leur fournissant la nourriture nécessaire au maintien et à la croissance de la vie, celui-là, en est venu à détester sa propre vie jusqu’à décider d’y mettre lui-même un terme en se donnant la mort. 

Nous sentons bien qu’il y a là une dimension contre-nature qui vient ajouter encore à notre désarroi : celui-là même à qui Dieu a confié la charge de la création, fait œuvre de destruction sur lui-même.

L’élément déclencheur de ce drame est souvent économique. Il n’y a pas que la guerre, il n’y a pas que les armes, qui tuent dans le monde, la loi du marché est bien plus destructrice. Elle commence avec gourmandise puis elle prend la saveur des appétits assassins, des ambitions scélérates, des pouvoirs criminels. 

Les excès de la course au profit et d’un productivisme extrême s’opposent à une vision de la terre où le respect de la vie doit être le premier commandement. 

Le pape François, s’inscrivant dans la pensée sociale de l’Eglise, ne cesse de nous inviter à être les artisans d’un monde dans lequel l’homme, et non la finance, doit être au cœur du système économique. 

Si le paysan est plus vulnérable que les autres aux aléas parfois mortifères de la vie économique de nos sociétés, c’est parce que le lien qui l’unit à son outil de production : la terre, est un lien sacré. 

Un capital peut se reconstituer, une usine peut se reconstruire, un magasin peut se racheter, mais le lien qui unit le paysan à sa terre est un lien unique et imprescriptible. 

Si l’argent n’a pas d’odeur, la terre, elle, est imprégnée de l’odeur de la transpiration, des larmes et du sang des générations qui nous ont précédés. Elle est une parcelle du sol de la patrie, la terre des pères, elle est un héritage ! 

Elle est profondément liée à l’identité de celui qui la détient parce qu’il l’a reçue, et il est dans l’ordre des choses qu’il puisse la transmette ! 

Elle a l’odeur des floraisons, du grain moulu ou des vendanges, elle éveille les sens qui parlent à l’âme. 

Elle a l’odeur de la vie et de l’amour, de l’espoir et de la fécondité. 

Et, même si depuis les physiocrates on a fait de lui un agriculteur avant d’en faire un exploitant ou un producteur, le paysan sait que sa terre est sacrée parce que l’homme vient de la terre et qu’il doit retourner à la terre. 

La terre est le lieu de l’enracinement dans lequel la philosophe Simone Weil voyait « le plus grand besoin de l’âme ». 

Le paysan sait cela, il le sait par intuition, il le sait par science infuse, il le sait par grâce divine. « Bénis sois-tu, Père, parce que ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux touts petits. » 

Parmi toutes ses parcelles, il en est une qui est plus sacrée que les autres, c’est celle dans laquelle reposent ses morts et qui les sanctifie toutes. 

Parce que le lien qui unit le paysan à sa terre est un lien sacré, parce qu’il nous dit quelque chose de la noblesse de l’homme, le paysan veut vivre de son travail. C’est l’honneur de l’homme de vivre de son travail et pas de subventions, de primes et de délais de paiements qui lui font perdre sa fierté. Le drame de l’agriculture, même s’il est économique, a des racines spirituelles profondes. 

C’est donc aussi par des moyens spirituels qu’il nous faut y répondre. 

Il faut redécouvrir la beauté de la création et la bonté du créateur comme le pape nous y invite dans sa dernière encyclique. 

Le réchauffement du monde ne peut pas être compensé par le refroidissement des âmes ! 

Il nous faut redécouvrir la solidarité face à l’individualisme, la dimension spirituelle, la prière et le retour aux sacrements face au matérialisme, le sens face à l’action aveugle 

Que sainte Anne, patronne de la terre de Bretagne et Yvon Nicolazic, paysan Breton, nous aident à répondre à cette question que posait l’Evangile de ce jour : « Bon Maitre, que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle en héritage ? »

Le temps n’est plus où l’Eglise réservait un traitement de seconde zone aux suicidés ; plus que d’autres, ils ont droit à la Miséricorde : ce sont des pauvres, reconnus comme tels.

Le Saint Père, lui-même, oui, le Pape François, qui s’apprête à ouvrir l’année jubilaire de la Miséricorde le 8 décembre prochain, jour de la fête de l’immaculée conception, s’est associé à cette cérémonie et sa bénédiction apostolique nous a été fidèlement transmise par notre évêque.

Merci Monseigneur, faites-vous, auprès de notre Saint Père, l’interprète de notre filiale fidélité.

L’après-midi de ce même jour, à la cathédrale Saint Pierre de Vannes, vous avez ordonné diacre Nicolas le Poulichet et François Gouthe, le talabarder.

Il se dit, avec envie, que, dans notre diocèse, prêtres et diacres sont ordonnés par Centène !

Allez, kenavo, a galon !

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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Un commentaire

  1. merci pour ce bel écho qui nous permet,même à New York,de redoubler dans la prière confiante en faveur des responsables des drames causés par l’oubli de notre Créateur et Père !

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