Saints bretons à découvrir

SAINTS ET SAINTES DE BRETAGNE CHERCHENT LOGEMENT

Amzer-lenn / Temps de lecture : 11 min

IMG_0123.jpgSur les façades de nos cathédrales, basiliques, églises et chapelles, et parfois sur nos calvaires, nous pouvons encore voir les stigmates de la haine iconoclaste des sans-culottes de la Révolution Française : statues mutilées, milliers de niches et de socles vides. Même l’ignorant de toute architecture et de l’histoire religieuse du sanctuaire sait bien qu’il y a dans ces vides une situation anormale et qu’il n’en fût pas toujours ainsi. Mais les générations se sont tellement habituées à voir ces niches vides, qu’en l’état elles faisaient partie du paysage, et -hélas- le font toujours. Parfois même, le souvenir de ce qu’elles abritaient a disparu. L’ignorant en vient à penser que c’est la niche vide qui est l’ornement naturel et qu’elles ont été réalisées pour être ainsi….

Or ces niches vides ont été peuplées d’une armée de saints, de saintes, d’apôtres, de la Vierge Marie, du Christ, de statues Trinitaires ou d’anges. Certaines même, servaient de « cachette » à un « Ankou » armé de sa célèbre faux, en embuscade, comme pour rappeler au croyant qu’un jour il lui fixerait l’ultime « rendez-vous ». Toutes ces statues de granit ou de bois, qui étaient polychromes, avaient, certes un rôle d’ornement architectural, mais étaient au même titre que les vitraux un catéchisme de plein air pour l’édification des fidèles. Ainsi, lorsqu’ils se rendaient aux offices, c’est un véritable « Comité d’Accueil Céleste » qui les attendaient. En entrant dans le sanctuaire par le porche, le fidèle ne pouvait échapper aux regards de cette « haie d’honneur »

Mais nombreuses aussi sont les personnes qui ont pensé qu’il était vraiment dommage que ces niches restent vides, et de se demander pourquoi ne pas y replacer une statue ?

Assurément, c’est une bonne question.

 

 

LE CULTE DE LA RUINE, OU SURTOUT «NE PAS FAIRE DU VIOLLET-LE-DUC»

En matière de restauration des «monuments historiques» il y a deux «écoles» ; d’un côté, nous trouvons les dévots de la ruine : on la laisse en l’état tout en la consolidant pour qu’elle se stabilise. Elle est ainsi considérée comme un «témoignage», non plus tellement de ce qu’elle fût avant d’être ruine, mais de l’événement qui l’a mené à cet état. C’est, en France, cette «école» qui impose sa vision «conservatoire de ruines». L’Ecosse, le Pays de Galles, l’Irlande sont célèbres pour leurs très nombreuses ruines de sanctuaires et manoirs ; elles font partie de l’image touristique de ces pays, mais il en est ainsi de bien d’autres pays, y comprit en Bretagne. Nous en convenons, la ruine au clair de lune, chargée de lierre façon bandelettes de momies, c’est romantique, et l’on peut aimer cela. Mais on peut aussi déplorer la constance de cet état et préférer voir le vénérable bâtiment, grâce à une restauration intelligente, retrouver une réelle santé et sa beauté : c’est ici que nous retrouvons la deuxième «école». Celle-ci envisagera de restaurer l’édifice et de lui rendre, au besoin par des matériaux neufs, l’aspect qu’il avait autrefois (relèvement des murs, sculptures de nouvelles pierres nobles pour remplacer les manquantes, nouvelles toitures, etc). Parfois, il pourra être question de reconstruire totalement les parties du bâtiment ayant disparu avec le temps et le vandalisme (par exemple : tours, clochers ).

Beaucoup de monuments ont pendant des décennies servi de carrières. Mais ce refus de la ruine a beaucoup d’adversaires, notamment aux Monuments Historiques. Une restauration totale, incluant de rebâtir ce qui a disparu est considéré dans cette institution comme une aberration ou une imposture ; et de dire, « mais c’est du Viollet-le-Duc que vous prétendez faire ! » (1). Nous y voilà : « faire du Viollet-le-Duc », le reproche suprême et sans appel. Et que reproche-t-on donc à cet architecte doué du XIX siècle ? Tout simplement de n’avoir pas supporté les stigmates du vandalisme révolutionnaire et d’avoir voulu en effacer les traces en restaurant intégralement les monuments ruinés. Parfois, il a voulu terminer des monuments restés inachevés. L’exemple le plus célèbre est la cathédrale Notre-Dame de Paris, où il a entièrement refait la statuaire extérieure disparue, et en a profité pour inventer d’autres statues, ornements divers (les fameuses gargouilles entre autres), la flèche centrale. Il ne trouvait pas anormal de « refaire du médiéval ». [Note d’AR GEDOUR : nous vous invitons sur ce sujet à lire notre article « Une bien étrange chapelle« ]

Les bâtisseurs de cathédrales ont parfois mis de cinquante à deux cent ans pour les achever, et certaines d’entres elles ne l’ont jamais été. Alors, que dans les siècles suivants d’autres reprennent le chantier là où il avait été laissé de côté, pour diverses raisons, pourquoi pas ? Et pourquoi nous serait-il interdit de réparer, d’effacer les outrages du temps, mais surtout celui des hommes ? Est-ce donc si scandaleux de « refaire du Moyen-Age » ? D’ailleurs, rien ne nous oblige à le « plagier ». Notre époque peut fort bien apporter sa « propre  touche », à condition de respecter le beau, le sacré. Nos artistes bretons des associations des »Seiz Breur » et de « An Droellen », entre les années 1920 et 1945, ont bien démontrés qu’il était possible d’unir tradition et modernité, et d’avoir un style qui n’était ni du plagiat du médiéval, ni du baroque, ni même du Saint Sulpicien, mais un « style breton ». Aujourd’hui, nous ne manquons pas, en matière de sculpteurs, d’authentiques artistes qui savent travailler la pierre et le bois. Evidemment, serait éliminés d’un tel projet tous les pseudo-artistes auto-proclamés à « l’inspiration tourmentée », fruit de leurs fantasmes et de leur ignorance religieuse.

Pour en revenir aux niches vides de nos sanctuaires, nous avons donc la réponse à ces vides : refuspatrimoine breton,statues,eglises,idées bretonnes au nom du « respect » de ce qui a été de réparer les outrages des hommes. Mais à cet argument, vient évidemment s’ajouter des considérations budgétaires. Pour réelles que soit ces considérations, elles n’en restent pas moins très discutables. En résumé, les opposants à une restauration de ce qui a été détruit n’ont guère plus que deux arguments pour défendre leurs positions. On peut aussi en ajouter un autre, venant tout autant des pouvoirs publics que de l’Eglise, comme : « en matière de dépenses, il y a beaucoup plus urgent que de replacer des saints dans des niches vides », et d’ajouter que « le budget déjà alloué aux restaurations des édifices religieux est maigre, ce n’est donc pas pour aller solliciter d’autres dépenses ». Quant à l’Eglise, obsédé par une « Eglise des pauvres, de l’enfouissement, du profil bas et autres complexes qui ne sont que caricatures de l’humilité évangélique, elle ne manquera pas de se scandaliser à l’idée de repeupler les niches vides. Et de se poser la question d’une telle utilité  ?

 En revanche, les partisans peuvent avancer de solides arguments qui balayent d’un coup les premiers. Développons…

EMPLOIS , TOURISME ET … CATECHESE

Nous sommes à une époque où tout doit être comptabilisé et rentable ; enfin…presque si l’on considère les innombrables dilapidations d’argent public et privé pour des projets ou des réalisations plus que douteuses. Alors, comptabilisons :

Replacer des saints et des saintes dans les niches vides implique donc de faire appel à des sculpteurs. Quand on considère qu’une seule église peut avoir sur ses façades extérieurs de deux à vingt niches, et que ces chiffres sont à multiplier par autant de sanctuaires sur toute la Bretagne, il est facile d’imaginer la somme de travail qui pourrait être donnée à des dizaines d’artisans.( sculpteurs sur pierres, sur bois, peintres, etc). Et qui dit statues, dit granit. De quoi dynamiser les filières de ce secteur. L’exemple de la « Vallée des Saints » de Carnoët en est une preuve. Le tourisme ne pourrait lui aussi qu’y trouver son compte. Imaginons nos sanctuaires retrouvant leurs statues : il est incontestable qu’ils attireraient la curiosité et que les retombées touristiques en bien des domaines feraient chanter les tiroirs-caisses.

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Mais, il est un autre domaine, spirituel celui-là ; ce retour de nos saints et de nos saintes dans leurs niches serait, comme jadis, une formidable école de catéchèse. Nous avons autant, sinon plus, comme nos ancêtres besoin d’un enseignement religieux visuel, et ce serait bien là la finalité d’un tel projet.

Résumons l’argumentaire des « pour » : travail donné à des granitiers, des sculpteurs, des maçons = emplois. Tourisme = retombées diverses sur l’économie locale, régionale. Religion = prise d’une conscience et d’un enracinement spirituel.

Reste l’argument majeur, l’argent. Où trouver de quoi financer tout cela ?

Pas de panique : La majorité des sanctuaires appartiennent à l’Etat, aux communes, qui ont un devoir de leur entretien et de leur restauration au besoin. Or nous savons que l’Etat, les régions et les communes n’ont aucun état d’âme pour dépenser notre argent, et pas toujours sur des projets intelligents.

Nous connaissons tous, sur notre commune et dans notre département des réalisations qui ont exigées un budget proche du scandale, des réalisations parfois d’une utilité et d’un goût assez contestable. On peut entre bien d’autres réalisations évoquer la « rond-point-mania » dont sont atteintes toutes les communes. Et aussi, certaines autres qui par des moyens détournés financent certains établissements « culturels » qui ont vite fait de se transformer en « Centres Cultuels ». S’il y a des économies à faire, des choix, ils sont bien dans ces domaines, sans oublier les pluies de subventions à d’innombrables associations aussi inutiles que néfastes.

Mais les « pour » ont un autre argument : l’appel au mécénat, et il serait étonnant qu’une entreprise locale, régionale, ne se fasse pas un point d’honneur, voir un devoir d’êtres de ceux qui replaceraient nos saints et nos saintes dans leurs niches.

Ainsi, comme pour la statue de Sainte Anne du Menez-Hom, nous avons là encore un projet qui serait à creuser. Nous cherchons souvent des idées pour relancer l’économie, l’emploi, le tourisme : en voilà une, deux. Nous cherchons tout autant comment faire prendre conscience aux Bretons de la richesse de leur Histoire, de leur culture profane et religieuse, de dynamiser par des moyens concrets leur foi, ce pourrait-être une voie à emprunter.

Nous sommes dans une époque où le vandalisme se porte bien. Il est considéré comme affaire sans importance, à condition que ce vandalisme s’exerce contre des lieux chrétiens, car pour d’autres lieux cultuels, les grandes orgues, les tubas et autres grosses caisses médiatiques et idéologiques jouent à fond la même symphonie de l’outrage. Tous ces derniers mois, la Bretagne n’a pas été épargnée par ce vandalisme de détraqués, mais dont la responsabilité incombe aussi à nos sociétés matérialistes et anti-chrétiennes, à des idéologues travaillés par la nostalgie des « Grandes heures de 1793 ». On peut alors se demander s’il serait bon de multiplier les possibilité de vandalisme en repeuplant les niches de nos sanctuaires. N’a-t-on pas déjà assez à faire pour surveiller, prévenir de tels actes ? Oui, mais considérer cette situation pour ne rien faire, reviendrait à reconnaître que les vandales ont gagné.

N’oublions pas non plus les «vandales de la pensée», fervents dévots et gardiens des «valeurs laïques de la République», de «la virginité de l’espace public républicain», ou encore soucieux de «l’offense à la culture, à la foi de l’autre» qui pourrait êtres horrifiés par cette armée de saints et de saintes ayant reprit possession de leur «logement». Et si cette «Armée de Saints et de Saintes» devenait la force qui ferait obstacle à la programmation de la destruction d’églises pour cause d’inutilité et de ruines menaçantes. Car n’en doutons pas, il suffirait qu’une seule ville, qu’un seul village décide de replacer des saints dans les niches vides de leurs sanctuaires, pour que cette initiative, par un effet de stimulation, fasse «boule-de-neige». Personne, croyant ou non, ne voudrait rester en dehors de cet élan artistique et spirituel, comme pour les «Comités de quartier de chapelle».

 

1) . Viollet-le-Duc Eugène, architecte et écrivain (1814-1879). Il restaura un grand nombre de monuments du Moyen-Age (Notre-Dame-de-Paris, Vézelay, le château de Pierrefonds, le Cité de Carcassonne. Il est l’auteur d’un « Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XI e au XVI e siècle » et d’un « Dictionnaire du mobilier ».

À propos du rédacteur Youenn Caouissin

Auteur de nombreux articles dans la presse bretonne, il dresse pour Ar Gedour les portraits de hauts personnages de l'histoire religieuse bretonne, ou encore des articles sur l'aspect culturel et spirituel breton.

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2 Commentaires

  1. Une excellente idée!!! A noter que nous voyons aussi tous nos monuments avec le charme du granit brut. Tout en conservant ce charme en grande partie, on peut imaginer d’en rendre aussi quelques uns polychromes comme autrefois, dans un but touristique, entre autres…

  2. merci pour ce bel article,et vos suggestions! Je suis sûr – par expérience en ce domaine- que l’exemple d’une ou deux communes « repeuplant les murs deleurs chapelles,en entraîrerait d’autres . Imaginez Saint Jean Balaznant ( Léon) ou Le Folgoët,retrouvant les saints ou les couleurs vives des blasons martelés aux frais des citoyens de 1792 ! Je ne doute pas que le retour des « imaiges » jadis installées par la foi populaire et l’intelligence des bienfaiteurs,produis des effets salutaires pour notre temps.

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