Saints bretons à découvrir

BRINDILLES CHAMPÊTRES : le pain béni

Amzer-lenn / Temps de lecture : 7 min

Dans notre précédente « randonnée champêtre », nous avons redécouvert, ou découvert la vertu sanctifiante de l’eau bénite, et cela nous mène tout naturellement au pain béni.

Ah, oui ! Le pain, quoi que de plus banal que le pain !

Nous sommes si habitués à cet aliment de base, de première nécessité, que nous ne lui accordons plus la considération qu’il mérite. Dans le Notre Père, nous demandons à Dieu de « nous donner notre pain quotidien », ou si l’on préfère, « de ce jour ». Remarquons que nous ne demandons pas qu’il nous donne notre pain de « tous les jours », mais seulement du jour présent, sans quoi ce serait un manque de confiance en sa bonté, en la Providence. Le Christ nous le fait bien comprendre dans sa belle parabole :

« Observez les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles ni moissons, ils n’entassent pas de provisions dans les greniers, et pourtant, c’est votre Père du ciel qui les nourrit. N’auriez-vous pas plus de prix que les moineaux ? »

Mais, dans le Notre Père, le Christ nous invite aussi à demander davantage que le pain aliment du corps, mais aussi le pain « Parole de Dieu ». Saint Mathieu nous le dit « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Le Christ dans ses paraboles parle beaucoup des moissons, du blé qui nous donne ce pain si nécessaire, et ce pain aliment, le Jeudi Saint sera sublimé, divinisé par la Transsubstantiation du pain céréale en Corps du Christ : « Ceci est mon corps ». Dès lors, pour l’Eglise, pour le chrétien, le pain aliment revêt une dimension sacrée, il est par nature «aliment béni», d’où l’obligation que nous avons de l’entourer de respect. Autrefois, dans les écoles catholiques où le Bénédicité et les Grâces étaient dites, gaspiller le moindre petit morceau de pain était sanctionné, et il n’était pas rare que le gaspilleur, surtout s’il était récidiviste, voit sur son carnet de notes de fâcheuses annotations, preuve que l’on ne plaisantait pas avec le respect dû à un aliment aussi chargé de symboles, et fruit du travail des hommes : l’agriculteur, le boulanger …

La très belle tradition du pain béni, distribué à la fin de la Grand-Messe, si en usage  autrefois, est bien tombée en désuétude : elle fut regardée comme  étant sans objet et relevant de la superstition. L’abbé Le Cornet, auquel nous empruntons le texte ci-dessous, le déplorait déjà au début des années 1950 :

« Quant au pain bénit, son usage tend à disparaître, ce qui est très regrettable, tant au point de vue chrétien que social ! Il était offert à tour de rôle par les familles, c’était à chaque fois pour celle-ci un grand honneur. Il y avait là, non seulement un symbole très fort d’égalité sociale et d’union fraternelle, mais aussi une grande leçon d’humilité vis-à-vis de nous-mêmes, en même temps qu’une grande confiance en la miséricorde et la bonté de Dieu.

Il ne s’agit pas ici de récriminer hors de propos, mais plutôt de constater que la non observance des usages chrétiens, habitue peu à peu à se passer de Dieu. D’autant plus que les petites choses sont parfois éminemment caractéristiques de la vie, de l’âme et des traditions d’un peuple.

Le Bénédicité, récité ou chanté, et il y en a de si beaux, est lui aussi moins observé  qu’autrefois (de nos jours inconnu dans la majorité des familles, mêmes les plus chrétiennes …) Pourtant, il nous invite à demander à Dieu de manger à notre faim, et aussi de « donner du pain à ceux qui n’en ont pas ». Un autre usage tant encore à disparaître, faire pieusement le signe de la croix sur la miche avant d’entamer le «chanteau » (la croûte), c’est dire tout le respect dû, à juste titre, au pain. Et cela nous renvoi à « la Multiplication des pains ». C’était un autre honneur, souvent pratiqué par le père de famille, mais aussi par la maîtresse de maison ou un enfant que de bénir ces grandes miches dorées, croustillantes. »

Le respect dû au pain était si grand, que même les miettes étaient délicatement recueillies et distribuées aux oiseaux domestiques ou sauvages. Le prêtre ne prend-t-il pas les mêmes précautions lorsqu’il entoure les vases et linges sacrés qui ont été en contact avec les Saintes Espèces, rappelant ainsi que la moindre parcelle du Corps du Christ pouvait s’y être déposée, et qu’il convenait donc de s’assurer de ne pont les jeter.

Toutefois, nous pouvons constater avec bonheur que, lors de quelques Pardons, revient l’usage du pain béni. Rappelons que le Pain béni était une sorte « d’union de ceux qui n’avait pas communiés au Corps du Christ avec ceux qui l’avaient reçu ».

LA  SAINTE  NAPPE  DE  LA  TABLE  DE  COMMUNION

Une autre tradition directement liée à la communion était l’usage de « la nappe de la Table de communion » que l’on accrochait à la grille, à la balustrade si finement forgée, si finement sculptée  qui la symbolisait.  Les familles de la paroisse étaient à tour de rôle invitées à fournir ce dimanche-ci la nappe qui y serait fixée, et aucune ne se serait dérobée à cet honneur.

Il était hors de question d’offrir à ce saint usage n’importe quoi : la famille apportait ce qu’elle avait de plus beau, de plus brodé, de plus dentelé. Alors, on pouvait voir les fidèles s’agenouiller et prendre de leurs deux mains un pan de la nappe comme pour y recueillir, si besoin en était, la plus petite parcelle du Corps du Christ. Cette belle tradition a aussi disparue avec l’enlèvement des Tables de communion. La communion dans la main, et la quasi interdiction de s’agenouiller pour communier rendait de facto désuète cette coutume. On prétendait ainsi rapprocher les fidèles du Corps du Christ, leur rendre plus intelligible l’Eucharistie. En fait on était surtout parvenu à leur retirer tous le sens du sacré le plus profond qui entourait ce sacrement : le signe de croix sur la miche de pain rappelait qu’il était nourriture sacré du corps ; la nappe, la Table de communion rappelait que le Corps du Christ était nourriture de l’âme. En supprimant ces « détails » d’une pieuse tradition domestique, de la liturgie, on avait aussi supprimé le rappel de l’essentiel : respect du Corps du Christ, respect du fruit de la terre dû au dur travail des hommes.

A la lecture de cette « Promenade » d’aucun penseront que nous faisons dans la nostalgie ritualiste, d’usages qui de nos jours n’ont plus de raisons d’être pratiqués, à chaque époque ses manières d’exprimer sa foi, ses croyances. Assurément, sauf qu’il faudrait, avec de solides arguments à l’appui, nous prouver en quoi la disparition de ces saints usages aient été bénéfiques pour la foi, la pratique religieuse, et réfléchir à ce que nous y avons gagné, mais davantage à ce que nous y avons perdus. On peut même se poser la question : si à la perte du respect dû au pain, si souvent gaspillé, ne correspond pas la perte du respect dû plus encore au « Pain Corps du Christ » parfois reçu en communion de manière bien plus que désinvolte …

Il y a déjà un certain temps, j’avais lu un article qui racontait qu’un musulman observant la manière dont bien des chrétiens communiaient, en était scandalisé. Il fit remarquer « Que si vraiment c’était bien là le Corps du Christ qu’ils recevaient, eh bien lui, à leur place, ce n’est même pas à genoux qu’il aurait été communié, mais en rampant, tant il se serait senti indigne d’approcher, de recevoir le Corps Divin de son Dieu ».

Quelle belle leçon, alors que certains à l’imagination débordante et provocante, verraient très bien la Sainte Communion accessible par le truchement de distributeurs automatiques, évitant ainsi les … virus, car nous en sommes là, le Corps du Christ pourrait être lui aussi contagieux. Sur ce point, nous pourrions être d’accord, mais dans le sens sacramentel  d’une « sainte contagion », celle de la Foi …

 

À propos du rédacteur Youenn Caouissin

Auteur de nombreux articles dans la presse bretonne, il dresse pour Ar Gedour les portraits de hauts personnages de l'histoire religieuse bretonne, ou encore des articles sur l'aspect culturel et spirituel breton.

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Un commentaire

  1. Merci pour ce bel article ! …. Dans ma famille, nous bénissons toujours le pain et lorsque je dois le congeler je le bénis avant de le mettre dans le congélateur, nous disons le bénédicité et dans mon Ile nous avons à la Saint Antoine Abbé, ou Abatte ou son cochon, la distribution de petits pains bénits soit que nous mangeons tout de suite ou que nous conservons pour l’émietter si un incendie se déclare…. Bref, étant bretonne et corse les traditions et la Foi sont restées intactes dans notre famille. Merci encore pour votre travail…. et bon courage.

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