BRINDILLES CHAMPÊTRES : L’EAU BENITE

Amzer-lenn / Temps de lecture : 5 min

En compagnie de l’’œuvre poétique de l’abbé Joseph Le Cornet (1), dont sont extraits nos articles «Brindilles champêtres», nous poursuivons notre promenade campagnarde.

Après l’évocation de nos églises, de nos chapelles et de leurs clochers,  c’est à l’eau bénite que notre abbé poète  nous convie pour en approfondir le sens, les rituels qui parsèment bien des moments de notre vie chrétienne. Un arrêt sur cette eau bénite que nous ne trouvons plus à l’entrée de nos églises, remplacées par le fameux gel hydro-alcoolique.

Jadis, car il convient  de parler au passé tant bien des traditions vénérables ont disparues sans aucune raison justifiables, ou si elles subsistent encore, sont tellement galvaudées, qu’elles n’ont plus de sens, de sacralité, et l’eau bénite est un peu de celle-là. L’eau don gratuit du Ciel, source de toute vie, était vénérée par nos ancêtres, au point qu’ils lui construisirent toutes ces délicates fontaines qui souvent  jouxtent  nos chapelles, et étaient à l’honneur le jour du Pardon. En supprimant ces « détails » de la liturgie. Fontaines, puits, leur eau était sacrée, et il importait qu’elle soit clair, pure. L’Eglise ajoutera au respect dû à ce bien précieux, la sanctification par sa bénédiction ; de saine, elle rendra l’eau sainte.  On savait que l’eau des fontaines était saine à la vie aquatique qui évoluait  par la présence des tritons, des salamandres, des dytiques, des araignées d’eaux douces, des libellules, et aussi de toute une flore. Hélas, ces temps ne sont plus. Par nos activités agricoles, industrielles, nos manques de respect de la nature, nous avons rendu ces eaux si fraîches imbuvables … et invivables pour la faune, la flore.

Voyons ce qu’en dit notre abbé Poète :

 « Le premier objet qui s’offre à nos regards en entrant dans nos églises, c’est le bénitier qui remplace les fontaines placées en des temps plus anciens encore  au milieu du parvis ou sous les porches et qui étaient destinées à la purification des mains et du visage. L’esprit de l’Eglise, en nous invitant à user d’eau bénite, est avant tout intérieur : « Lave tes péchés et non pas seulement ton visage », nous dit-elle. Invitation qui se renouvelait chaque dimanche avant la Grand-Messe par le chant de l’antienne Asperges Me, ou au Temps Pascal du Vidi Aquam. Ce rôle de l’eau bénite est trop important pour être passé sous silence, d’autant plus que l’Eglise l’emploie au baptême, au mariage et aux funérailles de ses enfants.

  Quant à l’eau bénite que nous emportions si dévotement dans nos demeures après la longue cérémonie du Samedi-Saint, elle était à l’honneur dans les vieux bénitiers d’alors, si modestement accrochés aux murs de nos maisons. Beaucoup avait coutume d’aller bénir leurs champs, leurs animaux  avec cette eau qui venait d’être bénite avec tant de solennité. Autrefois, non seulement on s’en servait le matin et  le soir, mais encore avant d’entreprendre une chose importante et surtout avant de quitter le seuil de sa demeure pour le moindre voyage, disant : « Eau bénite, je te prends – Si la mort me surprend – Tu me serviras de sacrement.»

Un dernier usage de l’eau bénite concerne notre personnalité. Quand pour nous tout sera fini, quand le cercueil fermé aura pris nos corps tristes et las, l’Eglise nous aspergera une dernière fois pour soustraire nos corps aux outrages des démons, et aussi comme symbole de la purification de nos âmes, afin de hâter notre entrée au séjour des bienheureux. »

A la fin des années cinquante, je me souviens que l’usage de l’eau bénite était encore fréquent dans bien des fermes. A l’entrée de notre maison -nous habitions en région parisienne – nous avions un magnifique bénitier de faïence de chez Henriot-Quimper. Celui-ci n’était jamais vide. Tous les soirs, avant la prière familiale, nous étions invités par notre mère à y tremper notre main.

Chez les antiquaires, dans les diverses brocantes, les bénitiers  domestiques ont rejoints les « vieilleries » : couronnes de mariées, crucifix, statues de la Vierge, vieux missels paroissiens, anciennes images religieuses / chromos, portraits des ancêtres. De grands débarras qui témoignent d’un affadissement des racines, des traditions chrétiennes au sein même des familles. Même dans certaines de nos églises, le bénitier comme le baptistère ne sont plus que des meubles oubliés, délaissés, remplacés par des cuvettes de cuivre, de gré dans lesquelles, même avec beaucoup d’imagination, on chercherait la marque de leur sacralité. Et puis maintenant, Covid oblige, le distributeur de gel hydro-alcoolique a pris la place…

Temps et rituels en grande partie révolus ! Assurément, on ne peut le nier, et c’est regrettable, l’usage de l’eau bénite a été, à l’église comme dans la vie privée, bien trop raillée, comme relevant de la superstition. Et la célèbre épithète « Grenouilles de bénitiers », l’assimilait à l’hypocrisie, à la tartufferie, réduisant ce meuble sacré et cette eau sanctifiée aux eaux troubles et stagnantes d’une mare ou d’un étang. Rien n’interdit aujourd’hui dans les familles chrétiennes de rétablir ce saint usage, car il n’appartient pas au monde des superstitions, ni  à un « folklore religieux désuet », ni des modes … démodées, mais bien à une nécessité d’une vie chrétienne sanctifiée par des gestes retrouvant tous leurs sens.

À propos du rédacteur Youenn Caouissin

Auteur de nombreux articles dans la presse bretonne, il dresse pour Ar Gedour les portraits de hauts personnages de l'histoire religieuse bretonne, ou encore des articles sur l'aspect culturel et spirituel breton.

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2 Commentaires

  1. Merci pour ce bel article ! Merci….. J’ai de l’Eau Bénite à la maison et ne m’en sépare pas ! je me signe assez souvent avant la prière du soir… ou le matin tout dépend.

  2. Dominique de Lafforest

    merci Youenn, pour ces rappels si nécessaires !

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