CŒURS DE  HEROS (ou le sens du don de soi)

Amzer-lenn / Temps de lecture : 21 min

L’admirable sacrifice du Lieutenant-colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame, prenant la place d’une femme, prise en otage par un terroriste islamiste, a remis à l’honneur la vertu de héros, mais avec ce « plus » inestimable quand cette vertu trouve ses racines profondes dans la foi chrétienne : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour les autres », comme le Christ sur la Croix nous en donné l’exemple. D’autres religions, d’autres philosophies donnent-elles cet enseignement , Car « le sacrifice d’Arnaud Beltrame ne peut se comprendre qu’en prenant en compte toute sa foi chrétienne » affirmera son épouse. Dans notre époque qui a fait du rejet de Dieu, du christianisme, de la foi sa colonne vertébrale, une telle affirmation est très forte, et raffermit notre propre foi souvent défaillante.

 

COEUR DE HEROS

Des esprits chagrins, toujours prompts à relativiser toutes les vertus qui viennent du christianisme se sont aussitôt posés en censeurs, affirmant que le concept de héros n’appartenait en rien au seul christianisme, que le héros était universel, que toutes les civilisations, peuples, religions avaient leurs héros à même de se sacrifier pour sauver d’autres vies. Et l’auteur de ce « point de vue » que nous sert le très humaniste Ouest-France, de craindre « une concurrence des martyrs » (sic), d’où le soin apporté, avec beaucoup de précautions de plume, à également relativiser  le sacrifice d’Arnaud Beltrame (1). Que ces fâcheux, titillés par le virus d’un christianisme « tête basse et rase-murs » que l’on voudrait voir appartenir à une époque post-conciliaire révolue,  se rassurent : nul ne prétend que ce sens du sacrifice suprême est une exclusivité chrétienne. Cependant le héros chrétien, n’en déplaise à certain, se distingue : son acte est toujours, même à son insu, transcendé par la foi, par  l’exemple du Christ.  Le héros chrétien, qui d’ailleurs ne revendique jamais ce titre, et a parfois oublié qu’il était chrétien, qu’il était issu d’une civilisation qui avait modelé tout son être dans ce sens du devoir, du sacrifice, se diffère donc des innombrables héros des mythologies et des « héros » de consommation façon Superman,  du cinéma et des jeux vidéos.  La chevalerie dans ce qu’elle avait d’authentique par ses racines chrétiennes a sublimé le héros, le désir de se dépasser, de se faire serviteur des plus vulnérables, des innocents.  L’homme d’honneur, « l’honnête homme », comme l’on disait jadis, savait qu’il se devait d’être le premier en tout, non pas pour être servi, mais pour servir et pour montrer l’exemple. Le chef, ne pouvait qu’être respecté qu’à cette condition : « SERVIR », la devise de tout militaire. Le sacrifice du lieutenant- colonel Beltrame a remis à sa vraie place ce qu’est un authentique héros, et justement c’est bien sa foi chrétienne qui a dicté son sens du sacrifice.

De nos jours le « héros »  ressemble à ces décorations  galvaudées et distribuées à n’importe qui, pour n’importe quoi ; elles n’ont plus aucune signification qu’être des breloques désacralisées  satisfaisant la vanité des récipiendaires. Pourtant, sans pour autant donner sa vie, mais en en prenant tout de même le risque, les actualités nous donnent tous les jours des exemples de personnes, de tous corps de métiers, qui n’hésitent pas à mettre leur vie en jeu pour sauver celle des autres.

Saint Paul disait : « Que le bien ne fait pas de bruit, mais que le bruit ne fait pas de bien ». Il voulait dire ainsi que le bien est comme la charité, « il ne se vante pas, il ne se gonfle pas de lui-même », sans quoi, l’intéressé a déjà, par sa  vanité, reçu sa récompense (2). Or la qualité du héros est l’humilité. Jean-Pierre Calloc’h, dans son magnifique chant Me zo ganet é kreiz er mor, rendra ainsi hommage à ses parents humbles pêcheurs « Mon père était comme ses pères – Un matelot – Il a vécu obscur et sans gloire – Le pauvre, personne ne chante ses gloires – Ma mère aussi travaille – Et blancs sont ses cheveux ». Il chante là l’héroïcité au quotidien des humbles gens…

Et qui dit héros, dit souvent martyr, car l’héroïcité mène très souvent au martyre. Mais comme pour le héros désacralisé, devenu une  sorte de « Monsieur muscles », la  qualité de martyr a été banalisée, désacralisée, affublant de ce titre lourd de sens n’importe qui, quelles que soient les causes de son « martyre ».  Le vrai martyr renvoie à un impératif chrétien auquel certaines idéologies etreligions ne peuvent prétendre, car le véritable amour du prochain est totalement étranger à leur fondement, sinon qu’en détournant le vrai sens du mot. Un martyr est un « Témoin » : c’est le sens même du mot, et le martyr chrétien est, par son sacrifice, le témoin privilégié du martyre et de la Passion  du Christ. Le martyr chrétien ne devient pas martyr  en versant le sang des autres, mais en versant le sien. Le soldat authentique ne fait pas la guerre avec la peau des autres, mais avec la sienne. Le médecin par son serment sauve des vie, il n’est pas appelé à tuer. Là sont toutes les différences.

 

QUAND  L’EDUCATION  ENSEIGNAIT  L’ESPRIT  DE  SACRIFICE

Il n’y a pas si longtemps encore, ce sens du héros était partout enseigné : écoles (qu’elles soient  chrétiennes )ou laïques, patronages, scoutisme, médecine, et bien évidemment dans tous les corps d’armées, chez les pompiers, etc. Le sens du devoir d’état était inné. On nous objectera  (toujours ces esprits chagrins  pour qu’il y a les « bons héros » et les « mauvais héros »), que cela est selon le camp,  les idéologies et le sens donné à l’Histoire. Il est vrai que certains préfèrent  parler de « valeurs » qui guident les actes des héros, plutôt que de vertus, car la vertu, contrairement à la valeur renvoie aux notions chrétiennes. Dans notre monde nihiliste, de laïcité exaspérée, le héros se doit d’être « citoyen, humaniste », ce qui permet d’en faire un héros modelable, faisant consensus dans le « bien vivre ensemble ». Son sacrifice devient alors un acte citoyen, républicain, et non plus un acte chrétien, car il importe que l’héroïsme soit tout, sauf chrétien.

Un des ouvrages emblématiques  de cette éducation fut le célèbre  « Tour de la France par deux enfants : Devoir et Patrie » (3), qui était une sorte de livre de chevet de toutes les écoles. Certes, certains nous dirons que cet ouvrage exacerbait un patriotisme à fleur de peau, voire un jacobinisme,  et pouvait déboucher sur des déviances nationalistes, dévoyant par là même la notion de héros.  Et, hélas, la guerre de 1914- 1918, comme celle de 1939-1945, sembleront  leur donner raison.  L’Histoire nous apprend aussi  que les héros de tel pays ne sont  pas ceux  de tel autre, ils en sont alors  même  les  contraires. Pourtant, ce qui réunit  les héros, c’est le sens du devoir, de l’oubli de soi pour le  service du prochain, et nous en revenons toujours à cet esprit de chevalerie qui est l’esprit … chrétien. Le vrai militaire, s’il est emmené à faire la guerre, se doit de la faire sans haine. Malheureusement, Dieu sait combien, les conflits modernes ont été submergés par la haine de l’adversaire. Le héros chrétien est d’abord apôtre,  d’abord  serviteur.

En 1940, fut créé le célèbre illustré pour la jeunesse bretonne, Ololê. On disait alors illustré plutôt que journal ou revue.  Ololê, avec ses éditions de livres exaltait les héros de l’Histoire de Bretagne, ses saints et ses saintes, invitant ses jeunes lecteurs à les imiter dans  leurs vertus chrétiennes. Un de ces ouvrages avait pour titre  Cœurs de Héros : à partir de 20 histoires authentiques, il présentait les  sacrifices d’hommes, de  femmes, militaires, religieux, paysans, artisans, marins, souvent même de jeunes enfants qui par leur sens de l’honneur, du devoir n’hésitèrent pas à mettre en jeu leur propre vie pour sauver celles des autres. Ces héros ont tous un trait commun : leur  grande foi chrétienne. Et nous avons là toute l’explication de leur choix ! Si nous faison abstraction de cette foi, alors leur sacrifice devient, comme pour Arnaud Beltrame, incompréhensible ; il devient folie inutile.

L’album est magnifiquement illustré par des artistes comme  Herrouard, Le Rallic, Yan. Le dessin se devait d’être à la hauteur du texte, être beau parce que, textes  et dessins avaient pour vocation d’élever l’esprit, l’âme, de donner aux jeunes lecteurs le sens de la beauté, du sacré qui nourrit la foi et mène à Dieu, et à l’amour de la Patrie.  En exergue, cette dédicace : « Aux jeunes de Bretagne, ces pages sont dédiées ! Qu’elles soient pour eux des exemples du devoir et leur rappellent les nobles traditions celtes et bretonnes d’héroïsme ! » (4).

De ces 20 histoires, nous en avons retenus une  qui est emblématique  de ce don de soi.

ROZENN – WENN   (La Rose Blanche)

Dans le parc du château de Keraoul, deux enfants jouaient : la fillette portait des fleurs dans sa jupe relevée d’une main, tandis que de l’autre elle tenait les cornes d’une chèvre qui regimbait et faisait mine de donner de la tête contre une grappe de raisins que lui présentait le petit garçon en l’agaçant.

Le comte et la comtesse souriaient à ce tableau : « Dieu nous a comblés, dit-il », « Nous sommes trop heureux, répondit-elle. »  C’était par une douce soirée de 1770…

Vingt ans se sont écoulés ! Un vent de terreur souffle sur la terre d’Arvor. En cette soirée de juin 1795, deux femmes veillent dans la grande salle du manoir : la comtesse de Keraoul est veuve depuis plusieurs années, et sa fille Rozenn, est maintenant une gracieuse jeune fille de vingt-deux ans … Tandis que sa mère dit son chapelet, Rozenn est penchée sur un gilet qu’elle destine à son frère ! …

  • Ma pauvre enfant, je crains bien que Hoël ne le porte jamais, hélas ! Depuis si si longtemps nous sommes sans nouvelles de lui. Dieu seul sait s’il vit encore.

Soudain la cloche d’entrée du manoir retentit…

  • Qui donc peut venir à cette heure, se demande Madame de Keraoul.
  • Pourvu que ce ne soit pas les « Sans culottes », pense Rozenn.

Un domestique entre l’air bouleversé :

  • Un étranger d’allure bizarre est là qui demande l’hospitalité pour la nuit… Madame il serait, je crois prudent de se méfier !
  • On ne peut laisser un chrétien dehors par ce temps. QUoiqu’il arrive, Dieu est témoin de notre charité, dit la comtesse.

On fit donc entrer l’inconnu, drapé dans un grand manteau sombre. Un large chapeau empêchait de voir son visage. Ami ou ennemi ?  se demandaient les deux femmes angoissées. Mais, lorsque le domestique se fut retiré, l’étranger enleva son chapeau pour découvrir un visage jeune encadré de cheveix blonds semblables à ceux de Rozenn.

  • Hoël ! s’écrièrent ensemble la mère et la fille.
  • C’est Dieu qui t’envoie, murmure la mère, la voix coupée par l’émotion.

Hoël alors leur raconta son odyssée depuis le jour où il avait dû quitter le manoir ancestral pour échapper aux Bleus. Ils causèrent fort tard dans la nuit, puis Madame de Keraoul conduisit son fils dans sa chambre.

Rozenn allait aussi se retirer, lorsque Gab, le vieux domestique de confiance, lui fit signe qu’il voulait lui parler. S’assurant que la comtesse et Hoël ne pouvaient l’entendre, il dit avec émotion :

  • Si vous saviez, Mademoiselle Rozenn ! Monsieur Hoël est venu vous voir … pour la dernière fois.
  • Que voulez-vous dire ?
  • Soyez courageuse. Demain matin, il doit… mourir…

Et le vieux domestique, en pleurant, raconta qu’une armée d’émigrés, et parmi eux Hoël de Keraoul venait de débarquer à Quiberon pour tenter un grand coup contre le régime, mais, par suite de circonstances malheureuses et de trahisons, elle a été faite prisonnière et presque tous ses membres condamnés à mort. On avait seulement permis à quelques-uns, habitant les environs, dont Hoël de Keraoul, de revoir une dernière fois les leurs, à la condition toutefois, qu’ils donnent leur parole d’honneur d’être de retour à Vannes le lendemain matin. Et c’était pour cette ultime visite que Hoël était là.

  • Il m’a prié, conclut le vieux Gab, de le réveiller demain matin à cinq heures et de l’attendre près de la porte du souterrain avec ma voiture. Mais je jure de ne pas lui obéir, car je ne veux pas conduire à la mort le dernier des Keraoul.

Rozenn avait écouté sans prononcer une parole. Seul son visage reflètait son atroce angoisse.

  • Pauvre Gab, dit-elle, une parole donnée est sacrée ! Ce sera moi qui réveillerai mon frère demain à cinq heures ! Vous l’attendrez une demi-heure plus tard à la porte du souterrain.

Puis, quittant le dévoué serviteur, elle alla se recueillir dans la petite chapelle du manoir.

Là, elle donna libre cours à sa douleur et quand elle se releva elle parut calmée et une résolution farouche se lisait dans son regard si doux d’ordinaire. Avant de quitter le sanctuaire elle fit cette ultime prière : « Mon Dieu et vous mes vaillants ancêtres, donnez-moi la force nécessaire pour que vive le dernier des Keraoul ! »

En quittant la chapelle, Rozenn entra doucement dans la chambre de son frère qui, brisé par la fatigue et l’émotion, dormait profondément. Sur la table un livre de piété était ouvert aux prières des agonisants. Le courageux jeune homme avait préparé son âme à paraître devant Dieu. A côté était une lettre pour sa mère et sa sœur…

Sans bruit, Rozenn s’empara des vêtements de Hoël et après l’avoir longuement regardé, elle lui envoya un baiser du bout de ses doigts fins et se retira silencieusement…

Alors, elle coupa quelques boucles de ses beaux cheveux blonds, revêtit le costume  de son frère, et s’agenouillant, supplia une dernière fois : « Sainte Anne, donnez-moi la force nécessaire pour porter ma croix ».

Il était cinq heures, l’heure du sacrifice approchait… En traversant le parc elle cueillit une rose blanche, à cet endroit où elle avait joué si souvent avec Hoël en un temps plus heureux, et elle la cacha sur sa poitrine.

Elle avait fini par persuader le vieux Gab que ce n’était pas pour les assassiner qu’on les faisait revenir à Vannes, et il était au rendez-vous avec sa voiture…

Arrivée à Vannes, Rozenn, qui évitait de parler pour ne pas se trahir, fut introduite dans un cachot où se trouvaient les prisonniers de Quiberon. Malgré la promesse faite par Hoche de leur accorder la vie sauve, ils avaient été jugés par des cours martiales et condamnés à mort.

La jeune fille ne cessait de penser à sa mère, à son frère et demandait à Dieu de leur donner le courage nécessaire…

Mais l’heure de mourir arrive pour les condamnés. On les appelle par leur nom : « Hoël de Keraoul ».

Sa ressemblance frappante avec son frère n’attire pas l’attention des Bleus. Elle se dirige vers l’endroit indiqué.

Et voilà qu’au mépris de la parole donnée la fusillade éclate et les prisonniers, la plus belle fleur de la noblesse bretonne, tombent les uns après les autres sous les coups des Républicains.

Rozenn, touchée en plein cœur , tombe sans pousser un cri, son beau visage tourné vers le ciel, rayonnant dans la mort, la main crispée sur la rose blanche rougie de son sang généreux.

Gab, fou de douleur, quittait Vannes la mort dans l’âme lorsqu’il se trouva face à face avec Hoël de Keraoul, qu’il croyait mort.

  • Gab ! s’écria le jeune homme, d’où viens-tu, malheureux ?
  • Mais, si ce n’est pas vous, qui donc ai-je vu tomber là-bas sous les balles des Bleus ?, répondit le vieux serviteur, tout bouleversé !

Hoël devina la tragédie qui venait de se passer. Il arrivait trop tard ! Il avait appelé sa sœur en vain et comprenait le sacrifice  sublime de Rozenn, morte à sa place en martyre !

La douleur de la comtesse fut immense. Mais Hoël, le dernier des Keraoul, resta près d’elle ; perdre deux enfants à la fois eût été trop dur, et Dieu ne le lui demanda pas.

Dix ans plus tard, Hoël mène chaque jour, dans la chapelle de Keraoul ses trois enfants prier devant un mausolée de marbre blanc portant tout simplement ce nom « Rozenn ». Dans un reliquaire d’or, sur un lit de satin rouge est posée la « Rose blanche » tachée de sang. Là repose l’héroïque sœur. Les enfants connaissent le geste héroïque de leur tante et la vénèrent à l’égale d’une sainte. Et pour perpétuer un martyre grâce auquel le nom des Keraoul fut continué, toutes les filles premières-nées des enfants d’Hoël et petit-enfants s’appelèrent « Rozenn-Wenn » : Rose-Blanche.

Nous entendons certains nous dire : « Votre histoire est bien jolie, romantique à souhait, mais elle appartient à un passé». Sauf, que abstraction faite de l’époque, les jeunes héros pourraient être aussi bien de notre temps, et bien de jeunes chrétiens dans les pays où «le Christ pleure » parce que des idéologies totalitaires les persécutent, n’hésitent pas à sacrifier leur vie pour Dieu, pour leur prochain, et à ce titre, sont les frères et les sœurs de Hoël et Rozenn.

 

L’HEROÏSME, UNE VERTU DE TOUS LES TEMPS

Toutes les époques ont eu leurs héros et leurs martyrs. Nous nous plaçons, bien évidemment sur le plan du martyr chrétien qui, cela va de soi, inclut la vertu d’héroïsme. De l’Empire Romain, en passant par la Révolution française et les dictatures modernes, les martyrs furent légions. Le 20e siècle à lui seul, et en ce début du 21e les martyrs furent, et sont tous pays confondus,  bien plus nombreux que durant les 1900 ans écoulés.

De  ces martyrs qui, en toute connaissance de cause, alors que rien ne les y obligeait si ce n’est leur amour infini du prochain, prirent la place d’une autre personne afin de les sauver de la mort, nous citerons l’un des plus emblématiques de notre époque, le père Maximilien Kolbe qui en camp de concentration s’offrit à prendre la place d’un père de famille condamné, avec des dizaines d’autres, à mourir de faim dans un bloc. Il a été canonisé.

Nous connaissons aussi les cas de certaines mères de famille qui ayant une grossesse difficile  ont eu le choix entre sacrifier la vie de l’enfant qu’elles attendaient et la leur. Elles choisirent, dans un élan d’immense amour maternel de sacrifier leur propre vie pour que vive leur enfant. Actes héroïques, actes de martyrs, actes de saintes.

Nous Bretons, nous avons eu aussi  pour notre temps un  geste semblable à celui du père Kolbe, celui de l’abbé Yann-Vari Perrot, déjà relaté sur Ar Gedour :

22 juillet 1918,  c’est la grande offensive allemande du général Ludendorff : l’abbé Perrot apprend qu’un père de famille nombreuse a été désigné d’office pour aller secourir au cœur même du front un blessé. Il est évident que sous la pluie d’obus, de gaz qui recouvre comme un brouillard le terrain, et les routes qui sont violemment battues par l’artillerie ennemie,  le malheureux soldat n’a guère de chance de réussir sa mission, mais d’être tué. L’abbé Perrot remarque que le pauvre homme est mort de peur, tétanisé : une raison supplémentaire pour qu’il échoue. Qu’importe, les ordres sont les ordres, et il ne saurait y avoir de passe-droit.   L’abbé Perrot a vite fait de comprendre le drame qui se joue, il se présente alors à l’officier qui a donné l’ordre de secourir le blessé, et lui propose de prendre la place du soldat désigné, soulignant bien que celui-ci est dans l’incapacité physique et psychologique de remplir sa mission.

L’officier, dans un premier temps refuse,  car un ordre ne se discute pas ; le soldat doit aller chercher le blessé, et il ira. Mais l’abbé Perrot va se montrer si persuasif, que l’officier cède. Munie d’une brouette, il part chercher le soldat au milieu de l’orage de feu et d’acier. L’abbé Perrot sait que lui aussi n’a guère de chance de réussir la mission. Les mètres lui semblent être des kilomètres Au moins a-t-il le temps à chaque avancée de prier. Et contre toute attente, il réussira à ramener dans les lignes arrière son compatriote. Cet acte de dévouement, de courage lui vaudra de recevoir la Croix du combattant, d’être cité à l’ordre du jour pour « Action d’éclat » et de recevoir la médaille interalliée de la Victoire. Sur son livret militaire est portée l’appréciation : « Ordre n°64 du 22juillet 1918 : S’est présenté comme volontaire pour évacuer sur une brouette un blessé urgent sur une route très violemment battue par l’artillerie et malgré les gaz toxiques. A réussi à accomplir sa mission dont il était chargé » (5).

Le fait que l’abbé Perrot n’ait pas été tué en allant secourir ce soldat, ne diminue en rien son geste d’abnégation totale, sachant parfaitement qu’en prenant la place du père de famille désigné, il avait, lui aussi,  neuf chances sur dix d’être tué.

Car l’abbé Perrot était de cette étoffe dont on fait les héros et les martyrs. Le héros de 1918 deviendra 23 ans plus tard, le prêtre martyr assassiné après avoir célébré la messe de la Saint Corentin, en disant son chapelet, le 12 décembre 1943. Assassiné dans les mêmes circonstances, sur le même chemin que son prédécesseur, l’abbé Klaoda Jégou, à Pâques 1797. Un de ces prêtres qui sous la Révolution avaient refusés d’abandonner leurs ouailles, sachant qu’à tous instants ils risquaient leur vie. Beaucoup moururent sur l’échafaud, donnant aussi l’exemple du sacrifice suprême.

Accepter, en toute connaissance de cause, de donner sa vie pour sauver celle des autres, fait déjà, avant même que l’acte ultime soit accomplie, le martyr, le saint, le héros. Titres que ces âmes chevaleresques ne revendiqueront jamais (d’ailleurs elles  n’en revendiquent aucun). Elles n’attendent aucune récompense, car leur récompense est l’accomplissement de la recommandation du Christ « Il n’y a pas de plus grande preuve d’amour que celle qui consiste à donner sa vie pour sauver celle de son prochain ». Et c’est encore la prière scoute  qui nous fait dire :

« Seigneur Jésus, apprenez-nous à être généreux. A vous servir comme vous le méritez. A donner sans compter. A combattre sans souci des blessures. A nous dépenser, sans attendre d’autre récompense que celle de savoir que nous faisons Votre sainte volonté ».

Tout le programme du véritable héros chrétien…

Sources :

  • Ouest-France du 29 mars 2018, « Point de vue » de Jean-François Bouthors : Un sacrifice universel.
  • Lettre de Saint Paul aux Corinthiens. Dimanche de la Quinquagésime.
  • Le Tour de la France par deux enfants de G.Bruno, éditions Librairie classique Eugène Belin Frères (1902)
  • Cœurs de Héros, Editions Ololê-Landerneau (1942).
  • « J’ai tant pleuré sur la Bretagne. Vie de l’abbé Perrot. Youenn Caouissin. Editions Via Romana-Versailles (2017).

À propos du rédacteur Youenn Caouissin

Auteur de nombreux articles dans la presse bretonne, il dresse pour Ar Gedour les portraits de hauts personnages de l'histoire religieuse bretonne, ou encore des articles sur l'aspect culturel et spirituel breton.

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Un commentaire

  1. Un grand merci pour ce très bel article et la belle histoire qui l’illustre ! Vos propos remettent bien des choses en place dans une société pourrie par l’individualisme, l’égoïsme et l’athéisme qui se complet à « républicaniser » l’esprit de sacrifice qui est, reste et demeurera quoi que certains en penses une vertu catholique !

    Je profite de cet article pour dire mon regret que notre Bretagne n’ai plus aujourd’hui une revue comme Ololê, revue qui dans nos kiosques devrait avoir la première place pour l’éducation de la jeunesse, en lieu et place des torches-c… qu’on propose aujourd’hui aux jeunes !

    Merci à Ar Gedour de nous proposer de tels articles qui font plaisir à lire, cela fait vraiment du bien !

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