L’ABBE PERROT, UN TEMOIN POUR NOTRE TEMPS (2)

Amzer-lenn / Temps de lecture : 6 min

Hier nous vous évoquions la figure de l’abbé Perrot et la genèse de son engagement. Voici la suite de cette chronique proposée à l’occasion du 70ème anniversaire de sa mort, texte réalisé à partir de documents originaux et parfois inédits. Nous rappelons à nos lecteurs que toute utilisation autre qu’une citation partielle correspondant à un paragraphe (et mentionnant la source AR GEDOUR) nécessite une autorisation écrite de l’auteur et d’AR GEDOUR. 

 

SUR LA LANGUE BRETONNE

 

langue bretonne, brezhoneg, yann vari perrot, perrotLa langue bretonne est le cœur de son combat, parce que c’est par elle que s’exprime toute l’âme, toute la culture, toutes les vénérables traditions, toute la foi des Bretons.

Sur ce front il a, avec des militants de toutes sensibilités, à se battre durement contre un Etat jacobin qui interdit l’usage du breton aussi bien dans les écoles catholiques et publiques qu’à l’église où les prêtres sont sommés de prêcher, de faire le catéchisme et d’enseigner en français.

C’est le ministre de l’Instruction publique, Anatole De Monzie qui déclare avec une stupéfiante indécence, « Pour l’unité linguistique de la France, la langue bretonne doit disparaître ! » . Des propos aussi provocateurs ne peuvent que révolter l’abbé Perrot et radicaliser une jeunesse militante bien décidée à tout faire pour que la Bretagne reste bretonne.

Et l’abbé Perrot de déclarer : « Je ne veux pas assister passivement à la mort de la langue bretonne, et je ne suis pas de ceux qui accepte le servage intellectuel de ma nation infortunée ». Un constat s’impose : nos politiciens actuels tous partis politiques confondus sont bien les fidèles continuateurs de ce jacobinisme destructeur.

L’abbé Perrot est constamment en conflit avec ses supérieurs, non pas sur le fond, mais sur les formes. Monseigneur Duparc, évêque de Quimper et Léon, grand érudit, parfait bretonnant, est un fervent partisan de l’enseignement de la langue et de l’histoire de Bretagne : «  C’est la langue qui révèle l’âme d’un peuple, qui garde sa personnalité, qui protège sa liberté, qui entretient son patriotisme, qui unit fraternellement ses enfants, qui enrichit son patrimoine intellectuel, qui traduit bien tout ce qu’il y a de plus intime, ses convictions religieuses et ses affections de famille. Elle devrait pouvoir entrer la tête haute dans tous les établissements scolaires ».

Il donnera à son clergé des directives très précises pour mettre en œuvre ses propos :

«L’obligation de faire apprendre le catéchisme en breton dans toutes les paroisses de son diocèse, d’enseigner la langue bretonne, l’Histoire, la géographie de la Bretagne dans toutes les écoles relevant de son autorité » (directive du 3 décembre 1935) .

 

Malgré cela, l’abbé Perrot ne peut que constater la propension de trop de ses collègues à rejeter le breton au bénéfice du français dans l’exercice de leur ministère : « Que de jeunes catholiques bretons ont perdu la foi, déserté l’église en voyant que trop de prêtres sont devenus de vulgaires agents de propagande française ». Quand l’abbé Perrot dit que « Toute son action bretonne s’inspire sur les Lumineuses encycliques des papes », il pense entre bien d’autres à celle de Pie XII, Summi Pontificatus du 20 octobre 1939 : « L’Eglise voit avec plaisir et bénit avec son cœur de Mère, le soin que prend chaque peuple pour conserver et pour faire fleurir sa langue et ses sages traditions ».

L’Eglise est toutefois le dernier bastion où la culture et la langue bretonne ont droit de cité. A partir des années 50, elle va abandonner toute identité bretonne et faire le choix de la francisation, se comportant en « corps étranger » au point de passer pour l’ennemi de cette identité. Une certaine lecture de la réforme conciliaire sur l’usage des langues vernaculaires dans la liturgie a pour conséquences d’accélérer et d’achever ce processus de francisation et d’exclure le breton avec son riche patrimoine de cantiques des églises. Cette situation est responsable d’une désaffection de beaucoup de Bretons, qui attachés à leur patrimoine culturel et spirituel ne se reconnaissent plus dans une liturgie entièrement francisée. On ne peut que penser à ce que disait l’abbé Perrot sur ces prêtres qui combattaient leur propre langue. Dans l’exercice de son sacerdoce, l’abbé Perrot pratique tout naturellement, « l’inculturation » c’est à dire en utilisant la culture, les traditions du pays dans ce qu’elles ont de bonnes et de non -contraire à la foi pour répandre l’Evangile. Les papes n’auront de cesse de le rappeler, et notamment Jean-Paul II et Benoît XVI.

Le pape François a récemment invité les prêtres à êtres de « vrais pasteurs qui ont pris l’odeur de leurs brebis », autrement dit de prendre en compte la culture, l’âme du peuple qui leur est confié, et non de se comporter par ignorance et par indifférence en ennemi. Il est clair qu’en Bretagne tout ce concept est à repenser. Le combat de l’abbé Perrot s’avère être un combat pour notre temps, pour un retour de l’âme bretonne dans nos églises, être un « outil de référence » pour la « Nouvelle Evangélisation ». A ce titre, l’abbé Perrot apparaît, aujourd’hui autant qu’hier, comme le modèle du prêtre breton enraciné pour une nouvelle génération de prêtres bretons.

Jean-Paul II parlant de la langue de son pays la Pologne, écrivait : « Quand j’entends autour de moi diverses langues, je sens croître les générations, chacune apporte un trésor de leur terre, choses anciennes et choses nouvelles. Quand on entend alentour diverses langues, une seule-la nôtre résonne en nous. La langue de mes pères, celles des nations ne lui ont pas fait accueil : elles l’ont dite trop difficile, superflue ».( Mémoire et Identité, Testament politique et spirituel).

 

A suivre demain : Le Patriotisme de l’abbé Perrot

Découvrez les articles déjà parus : 

 

Chapitre 1 : L’abbé Perrot contre toutes les idéologies & Feiz ha Breiz, les deux identités de la Bretagne

 

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SOURCES  ET NOTES :

 

Ci-dessus : Reproduction du portrait de l’abbé Perrot réalisé par Xavier de Langlais. Collection Y. Caouissin. 

 

A nos lecteurs qui souhaiteraient des précisions sur les sources des citations : elles n’ont volontairement pas été référencées sur ce blog pour ne pas indisposer certains descendants des destinataires de certaines correspondances.  Elles sont, sauf indication contraire, issues des archives de l’abbé Perrot et ont pour but d’illustrer le propos de cet article.

Il est évident que cet hommage à l’abbé Perrot n’a aucunement la prétention de retracer toute sa vie, toute son œuvre, ni de relater toutes ses pensées. Il se veut- être seulement un « survol » d’une vie extrêmement riche au service de la Foi et de la Bretagne, en espérant que cette évocation suscite un intérêt qui ne serait que justice.

Archives  abbé Perrot / Herry Caouissin / Ar Gedour : aucune utilisation du présent texte et des documents iconographiques ne peut-être faite sans l’accord écrit de l’auteur et du site « Ar Gedour ».

 

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À propos du rédacteur Youenn Caouissin

Auteur de nombreux articles dans la presse bretonne, il dresse pour Ar Gedour les portraits de hauts personnages de l'histoire religieuse bretonne, ou encore des articles sur l'aspect culturel et spirituel breton.

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