(1ère partie, la rupture)
Monseigneur Gourvès, ancien évêque de Vannes , dans sa très pertinente lettre pastorale « Le renouveau de la culture bretonne : un défi pour l’Eglise » (10/9/2003), a très bien résumé l’historique assez complexe d’une rupture entre l’Eglise (le clergé breton), la langue et la culture bretonne. Une rupture qu’il situe à partir des années 1950 : « Rupture soudaine , même si le problème a commencé à se poser dès la fin du 19 ème siècle » . Problème que l’on peut imputer,surtout à partir des années d’après-guerre (14/18), à une mutation de la société bretonne, mais plus encore à une volonté jacobine et anti-catholique de destruction de l’identité bretonne, d’autant plus que celle-ci plongeait ses racines dans une identité religieuse toute aussi forte. En feront foi les diverses lois liberticides à l’encontre du clergé lui faisant interdiction d’utiliser la langue bretonne, aussi bien dans ses prêches que dans l’enseignement du catéchisme (loi du 29/9/1902).
Il va de soi qu’une des expressions les plus populaires de la foi en était les cantiques bretons, que cette loi, même si elle ne les visait pas directement, ira également toucher.
Au début du 20ème siècle, la société, surtout en milieu rural, est pour le Finistère, les Côtes-d’Armor, le Morbihan, très largement bretonnante ; on peut dire que le français est encore alors une langue étrangère. La guerre de 1914/18 va provoquer non pas une « mutation » mais une révolution, accompagnée d’une accélération de la volonté de franciser la société bretonne.
Il n’est donc pas surprenant, que l’Eglise qui à cette époque avait encore une grande place dans la société, subisse l’influence grandissante de cette francisation, y comprit dans une frange, minoritaire il est vrai, de son clergé. Malgré cela, et quoi qu’en disent encore aujourd’hui certains « milieux bretons » ignorant de la question et fixés sur des vieux clichés, l’Eglise demeurait le seul «espace public» où la langue, la culture bretonne avait droit de cité, et ce fut l’honneur de l’Eglise, de très nombreux évêques, prêtres, moines, frères d’avoir été, à ces diverses époques, les seuls défenseurs, promoteurs de notre identité bretonne.
Dans ce combat, car c’était bien de cela dont il s’agissait, nombreux furent les Bretons qui la soutinrent, et ce sont, à de rares exceptions près, les catholiques qui formèrent les seuls « bastions » de défense de notre langue et culture, dans une époque où tout ce qui se disait laïque, républicain, socialiste, progressiste, de gauche se déclarait alors ouvertement anti-breton (cf citations en fin d’article).
On doit hélas convenir que depuis ces années de rupture dont parle Monseigneur Gourvès, toute l’identité bretonne, qu’elle soit dans son expression linguistique, culturelle, musicale, politique, et bien sûr religieuse a été depuis « confisquée » par une certaine frange politique, chrétienne ou non, qui jadis contribua si efficacement à sa destruction, profitant du terrain laissé libre par l’Eglise.
Monseigneur Gourvès, dans sa lettre en fera le constat, en disant que «c’est donc à la fois dans le domaine profane et dans le domaine religieux que s’est produit un phénomène d’abandon . Il est loin d’être totalement expliqué».
En fait, l’explication (les explications) on la trouve dans le lent processus de débretonnisation, qui allait de pair avec celui d’une déchristianisation de la Bretagne.
L’abbé Perrot, dès 1920, mettait en garde les Bretons contre deux dangers : la laïcisation et la francisation . Sa devise « Feiz ha Breiz » (Foi et Bretagne) témoignait que sans la foi il ne pouvait y avoir de Bretagne et que « foi et langue bretonne étaient sœurs », que la disparition de l’une entraînerait, tôt ou tard, la disparition de l’autre . Affirmation qui a soulevé bien des polémiques, qui pourtant aujourd’hui est d’actualité, même si la perte de la foi et de la pratique religieuse ont bien d’autres causes, on ne peut évacuer celle-ci .
Bien des « désertions » dans la pratique religieuse, la baisse de fréquentation des églises ont une partie de leurs explications dans cet abandon par l’Eglise de l’identité spirituelle bretonne, dont la langue en était l’expression. Des désertions qui se sont souvent faites dans la douleur et sur la pointe des pieds. La liturgie étaient devenue étrangère à cette identité bretonne, et ne s’adressait plus explicitement au coeur des bretons.
Si le « basculement » s’est définitivement opéré au début des années 1950, c’est parce que, déjà, il y avait depuis longtemps, en germe, un état d’esprit favorable à la francisation de l’Eglise en Bretagne bretonnante, un état d’esprit lié à une forme de « progressisme » voire de « gallicanisme » qui rejetaient les formes d’expressions populaires de la foi.
L’abbé Perrot s’en plaindra régulièrement auprès de son évêque, Monseigneur Duparc
« que certains de ses confrères se conduisent dans leur paroisse comme des ennemis de la langue bretonne, et agissent beaucoup plus efficacement que les agents de l’Etat français « .
Ce basculement des années 50 est d’autant plus surprenant que les années immédiates d’après- guerre, contre toute attente, vont êtres des années fastes du Bleun-Brug de l’abbé Perrot . On aurait pu légitimement craindre que la mort tragique du fondateur de cette grande fête religieuse et culturelle bretonne disparaisse avec lui. Il n’en fut rien et cette disparition interviendra aux alentours des années 1970, et hélas, ceux sont des chrétiens bretons progressistes, gauchisants qui lui donneront le coup de grâce . Le Bleun-Brug pourtant donnait toute les apparences d’un enracinement de l’Eglise dans la culture bretonne, la fameuse « inculturation » qui consiste tout simplement à ce que la foi dans toutes ses composantes s’exprime aussi par la culture du pays. Cette inculturation n’est pas du tout en contradiction avec l’universalité de l’Eglise mais est une confirmation de l ‘unité dans la diversité propre à chaque peuple.
L’Eglise en Bretagne avait donc en main toutes les cartes pour être, si l’on peut dire, le « leader » de la défense de la langue et de la culture bretonne comme elle l’avait toujours été.
Certains avancent une objection qui se veut imparable et sans appel : « L’Eglise n’a pas vocation à être un conservatoire de langues, de cultures, de musiques, si respectables qu’elles soient, mais d’annoncer l’Evangile avec les mots et les formes de son temps » .
Certes, on peut comprendre cet argument sur sa vocation première mais justement, l’annonce de l’Evangile peut-elle faire l’économie de l’identité d’un pays, de sa culture, faire en somme comme si celles-ci n’avaient jamais existé ?
L’enseignement de l’Eglise et des papes n’ont de cesse de réaffirmer la nécessité que la foi s’exprime par la culture du pays. La prise en compte par l’Eglise de la culture d’un pays a toujours été son souci (inculturation), dès lors où cette culture, ces traditions étaient profondément respectables et n’entraient pas en contradiction avec la Foi.
La Bretagne est un parfait exemple de cette « fusion » entre foi culture et traditions. Si içi et là, il y a eu de la part d’un clergé « trop zélé » des dérapages remettant en question ces cultures et traditions, ils furent minoritaires, et on ne peut les nier. Cependant, en aucun cas ceux-ci doivent servir de socle à la légende que « L’Eglise est l’ennemi de la culture des peuples » et qu’en Bretagne elle en aurait été l’agent destructeur. Si il y a un accusé , c’est bien le jacobinisme uniformiste de l’Etat, et des diverses formes d’universalismes négateurs des particularismes de chaque peuples, à ne pas confondre avec l’universalité du christianisme, dont le message christique ( l’Evangile) s’adresse sans exclusif à tous les peuples, à charge à chacun de l’intégrer dans ce qu’il a de meilleur dans son identité culturelle et dans ses traditions.
Ne serait-il pas honnête d’inviter les Bretons à faire leur propre examen de conscience, car dans cette « rupture », ils ont aussi leur part de responsabilité et en rendre l’Eglise l’unique responsable est trop facile ….
Pour conclure cette première partie , nous citerons parallèlement ce que disent les Papes et ce que disent (ou ont dit) certains hommes politiques sur la culture et la langue bretonne. C’est assez parlant et devrait suffire à ne plus faire de « procès » à l’Eglise, mais à comprendre les causes de cette « rupture » , en la considérant aujourd’hui comme une parenthèse regrettable qui n’hypothèque en rien l’avenir, dès lors où une volonté d’y remédier se manifeste .
Citations de quelques hommes politiques :
« Il faut extirper le dialecte breton, barbare relique d’un autre âge » (Bienvenu-Martin, ministre de l’Instruction publique. Circulaire aux Préfets de Bretagne, 1905)
« Il y a un intérêt de premier ordre à ce que les Bretons comprennent et parlent la langue nationale : ils ne seront vraiment français qu’à cette condition. Ce sont des Français qu’il faut pour franciser les Bretons, ils ne se franciseront pas tous seuls . » (I . Carré , Inspecteur général de l’Enseignement, de son livre, « Méthode de langage », A . Colin, 1922) .
« Pour l’unité linguistique de la France, il faut que la langue bretonne disparaisse » ( Anatole de Monzie , ministre de l’Instruction publique , discours du 29 juillet 1925) .
Citations des Papes :
« L’ Eglise voit avec plaisir et bénit avec son cœur de Mère, le soin que prend chaque peuple pour conserver et pour faire fleurir sa langue et ses sages coutumes » (Summi Pontificatus , 20 octobre 1939) .
« Ne prétendez imposer à aucun membre de la famille des peuples, fut-il petit ou faible, des renonciations à des droits substantiels et à des nécessités vitales que vous-mêmes, s’il s’agissait de les appliquer à votre propre peuple, jugeriez impossibles » . (Pie XII , Noël 1943)
Jean-Paul II , dans son livre « Mémoire et Identité », dans le chapitre « Nation et Culture » écrit : « Chaque nation vit des œuvres de sa propre culture » .
Dans son très beau poème « Quand je pense : Patrie », il écrit encore « Quand j’entends autour de moi diverses langues, je sens croître les générations, chacune apporte un trésor de leur terre, choses anciennes et choses nouvelles »
Le pape Benoît XVI , lors de ses nombreux voyages n’a de cesse de rappeler aux pays qu’il visite d’êtres fidèles à leurs racines culturelles par lesquelles passe l’expression de leur foi chrétienne , et que les deux sont intimement liées . Il nous plait donc de rapprocher ses propos de ceux de l’abbé Perrot sur « l’intimité » qu’il y a entre la foi et la culture d’un pays (sa langue) .
Nous pourrions multiplier ainsi les citations de l’Eglise en faveur des cultures, des traditions, de la langue du pays, et les opposer à autant de citations contraires, destructrices de politiciens, d’hier comme d’aujourd’hui, sans racines , négateurs des Patries . Les Bretons peuvent donc très clairement et sans crainte demander à ce que leur langue et le riche répertoire de leurs cantiques retrouve « droit de cité » dans leurs églises, au sein de la liturgie, apportant à la louange de Dieu toute la beauté, le sens profond du sacré qu’ils expriment .
L’abbé Perrot ne cessera de rappeler avec raison que « toute son action pour la langue et la culture bretonne » s’appuie sur « Les lumineuses Encycliques des Papes » , donnant à son action toute sa légitimité …et donc à la nôtre, demander que notre langue, nos cantiques retrouvent, aux côtés du français et du latin toute sa place .…
A SUIVRE
Belle analyse.
On attend la suite avec impatience.
Et à nous d’entonner les cantiques qui font se réveiller l’assemblée ! Avez-vous remarqué le regain de vigueur lorsque l’assemblée chante un « Santel » ou un « Anjeluz » ?
Et on remplacerait avantageusement des pseudo-credo (« Je crois en Dieu qui chante et qui fait chanter la vie ») par les cantiques en breton.
Très intéressant !